— « La MASA ne devrait pas être entièrement autonome »
Gérard Louis, président du conseil d’administration de la Mauritius Society of Authors (MASA), a fait partie des premiers nominés politiques à soumettre leur démission peu après la défaite cuisante du régime de Pravind Jugnauth. Musicien, producteur et fondateur du groupe Cassiya, Gérard Louis avait été nommé par le conseil des ministres en 2020 pour prendre la présidence du conseil d’administration de cette société, qui traversait alors une période d’instabilité. La même année, il avait été élevé au rang d’Officier de l’Ordre du Service Civil (OSK). Bien qu’il ne soit plus président de la société, il en reste membre. Selon lui, la MASA — à qui la MBC et Mauritius Telecom doivent une ardoise conséquente — devrait rester sous la tutelle du ministère des Arts et du Patrimoine culturel, mais avec un conseil d’administration qui fonctionnerait en toute indépendance.
Dans quel état d’esprit aviez-vous déposé votre lettre de démission à la MASA mercredi dernier ?
Avec un sentiment de satisfaction, car durant ces quatre dernières années de mon mandat, j’ai pu mettre en place plusieurs projets. J’ai quitté la présidence du conseil d’administration avec un bilan exhaustif. À commencer par la tenue de trois assemblées générales annuelles, l’élection des membres du conseil d’administration — qui, je le rappelle, était réclamée depuis longtemps —, le paiement des arrérages du MASA Artist Solidarity Scheme, l’adoption de la MASA Senior Members Allowance, la mise en place d’un programme d’assistance financière pour les soins médicaux des membres, ainsi que l’instauration d’une politique anticorruption et d’une charte du conseil d’administration.
La MASA n’avait pas soumis ses comptes depuis 2016, ce que j’ai réussi à rétablir. Les comptes ont été audités et ceux de 2022 à 2023 sont en cours d’examen. Nous savons tous que les artistes, en particulier les chanteurs, jouissent d’une grande popularité aux Seychelles, où ils sont largement diffusés sur les radios et autres médias. Toutefois, contrairement à La Réunion, où nos artistes perçoivent leurs droits via la SACEM, ils ne touchaient jusque-là rien des Seychelles. Nous avons signé un accord avec la SACS, la société seychelloise, pour permettre aux artistes mauriciens de percevoir leurs droits.
Cette semaine, Olav Stokkmo, consultant en gestion des droits d’auteur et des droits collectifs, sera au ministère des Arts et du Patrimoine culturel pour la mise en place d’un comité sur le droit de reproduction par reprographie. On ne peut donc pas dire que je pars sans laisser un bilan concret. Je quitte le personnel de la MASA avec un pincement au cœur. Nous avons toujours travaillé dans un esprit de cordialité, tout comme avec tous les fonctionnaires que j’ai côtoyés durant mon mandat et que je remercie d’ailleurs.
Votre mandat devait prendre fin en 2025, vous vous attendiez à partir plus tôt que prévu ?
Même si l’Alliance Lepep avait remporté les élections, j’aurais tout de même soumis ma démission. Si le gouvernement sortant avait été reconduit, il y aurait probablement eu un nouveau ministre des Arts et du Patrimoine culturel, qui aurait, sans doute, recommandé la nomination d’un nouveau président à la MASA. Quoi qu’il en soit, je n’étais pas à ce poste pour m’accrocher au siège de la présidence.
En rappelant que les nominations à la MASA sont politiques, vous confirmez que la société n’est pas indépendante. Que répondez-vous à cela ?
Tous les gouvernements ont toujours nommé le président de la MASA. Pour ma part, j’ai toujours accompli le travail qui était attendu de moi en toute indépendance. D’ailleurs, lors du budget de 2023, lorsque les artistes avaient convoqué la presse pour exprimer leur mécontentement, car les consultations prébudgétaires n’avaient rien donné, j’étais à leurs côtés. Je partageais également leur point de vue, car je suis moi-même artiste. Le président de la MASA se doit d’agir en toute indépendance, dans l’intérêt de la société et de ses membres. Néanmoins, je reste convaincu que la MASA ne devrait pas être une entité entièrement autonome.
Et pourquoi ?
La communauté des artistes est très vaste. Il est tout à fait normal et démocratique que chacun ait un avis sur la gestion de la MASA. Cependant, cette grande communauté est aussi divisée, et cette division peut devenir problématique lorsqu’il s’agit d’élire un président. On trouvera toujours le moyen de dire que le président n’est pas impartial parce qu’il appartient à tel ou tel groupe d’artistes. Toutefois, je maintiens qu’il devrait y avoir plus d’artistes que de fonctionnaires au sein du conseil d’administration de la MASA. Le président devrait être un artiste confirmé, qui connaît et comprend la réalité de la communauté artistique. Avec un conseil d’administration majoritairement composé d’artistes, y compris le président, et lorsque toutes les décisions seront prises et approuvées par ce conseil, la MASA pourra demeurer tout aussi indépendante.
Durant votre mandat, vous avez proposé une nouvelle structure organisationnelle pour la MASA. En quoi cette refonte est-elle urgente ?
Elle est à la fois urgente et essentielle, car la MASA manque de personnel. Cette situation constitue un handicap pour la société, l’empêchant, par exemple, d’aller à la rencontre des établissements qui doivent verser des droits d’auteur à ses membres. Autrefois, la MASA pouvait envoyer, plus ou moins régulièrement, ses officiers à Rodrigues pour accomplir cette mission. Ce n’est malheureusement plus le cas aujourd’hui. Nous avons dû nous y rendre nous-mêmes pour rattraper ce retard et, en l’espace de quatre jours, nous avons rencontré des opérateurs touristiques diffusant les œuvres de nos membres. Ceux-ci ont depuis commencé à s’acquitter du paiement des droits d’auteur.
Cependant, il faut souligner qu’il existe encore des établissements qui utilisent la musique et les chansons d’artistes locaux sans payer de frais de copyright ! Par ailleurs, la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC) doit plusieurs millions de roupies à la MASA, tandis que Mauritius Telecom en doit plus de Rs 100 millions. La MBC persiste à vouloir régler les droits d’auteur en se basant sur l’ancienne grille tarifaire ! Cette question a été abordée lors du conseil d’administration en octobre dernier, et nous avons même adressé une lettre au bureau du Premier ministre pour signaler la situation.
Les membres pensent que la MASA refuse de leur verser les royalties issues de l’utilisation de leurs œuvres par ces deux établissements, alors qu’en réalité, ce sont eux qui posent des obstacles. En ce sens, je comprends parfaitement la frustration des artistes.