Franco Quirin : « Je ne me suis pas auto-exclu du parti, c’est le BP du MMM qui m’a mis dehors ! »

C’est l’affaire politique du moment. Franco Quirin, vieux de la vieille du MMM, député du Numéro 20 plusieurs fois réélu, dont en novembre dernier, s’est, selon la version de la direction mauve, « auto-exclu » de son parti par ses absences, alors que l’élu affirme que c’est la direction qui l’a mis dehors. Franco Quirin, qui était en vacances à l’étranger, est rentré au pays vendredi après-midi. Le lendemain, il a répondu à nos questions et donné sa version de cette curieuse affaire qui agite le MMM. Avec les mots d’un militant blessé par l’attitude de la direction de son parti.

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Vous êtes un militan koltar qui a gravi les échelons pour faire partie du BP avant d’être nommé vice-président du MMM…
— Effectivement, ça fait une trentaine d’années que je suis membre du MMM, depuis les années 1990, influencé par certains de mes enseignants au collège St Mary’s, dont Noël Lee Cheong Lem et Bashir Khodabux, qui encourageaient les élèves à s’engager socialement et politiquement. Par la suite, j’ai intégré la branche MMM de Buswell à Rose-Hill et j’ai été désigné comme candidat du MMM aux municipales de Beau-Bassin/Rose-Hill. J’ai été conseiller, puis maire et ensuite député à partir de 2010, puis en 2014 j’ai été désigné Best Loser et réélu aux élections de 2019. Dans l’opposition, j’ai été en charge du dossier des sports.

Pendant ces trente ans, vous avez été un bon militant obéissant aux directives de la direction du parti. Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’aujourd’hui cette direction du MMM vous a repris le poste de vice-président et semble vouloir vous exclure de toutes les instances dirigeantes du parti ?
— Pour moi, être un bon militant ne veut pas dire être un béni-oui-oui ou un chatwa de la direction. Un bon militant doit être fidèle, sincère et faire le travail politique comme il le faut, dans le respect, mais il ne doit pas être un yes man. Ce qui est mon cas, que certains qualifient d’arrogance, parce que j’ai le courage de mes opinions. Malheureusement, dans le monde d’aujourd’hui, quand on a le courage de s’exprimer, de dire le fond de sa pensée, certains, qui n’ont pas ce courage, vous qualifient d’arrogant.

Il semble qu’ils ne sont pas nombreux dans les instances dirigeantes du MMM à dire le fond de leur pensée, surtout si elle va a l’encontre de celle de la direction…
— Il y a quand même des discussions, et je ne prétends pas avoir été le seul à m’exprimer, mais sans vouloir manquer de respect à mes camarades, ils étaient très peu à avoir le courage de leurs opinions.

Comment est-on arrivé à cette situation où la direction du MMM semble vouloir vous mettre à l’écart de ses instances, peut-être même du parti ?
— Je pense que cela découle du fait que la direction n’ait pas apprécié que j’ai déclaré que la méritocratie n’était pas respectée au MMM.

Vous avez fait cette déclaration parce que, contrairement à vos attentes, vous n’avez pas été nommé ministre des Sports…
— C’est vrai que j’ai été déçu de ne pas avoir été nommé ministre des Sports, mais pas ministre tout court. Pour moi, cela fait toute la différence. Pourquoi les sports…

Mais Franco Quirin, est-ce que le vieux militant que vous êtes ne connaît pas les paroles de l’hymne du parti Soldat Lalit dont un des vers est « dans lalit pena rekonpans » ?
— Mais je ne parle pas de récompense, mais de reconnaissance du travail effectué, de la sincérité, du dévouement au parti. Est-ce que la méritocratie n’est pas censée être l’une des valeurs principales du parti ? Est-ce que nous n’avons pas fait la dernière campagne électorale en martelant le slogan « The right man at the right place » ?!

Considérez-vous qu’aujourd’hui au ministère des Sports il n’y a pas « the right man at the right place » en la personne de Deven Nagalingum ?
— Je sais que Deven Nagalingum est un bon supporter de Manchester United, mais je ne sais pas si ça lui donne la carrure pour être un bon ministre des Sports ! Je ne crois pas l’avoir entendu poser une seule question sur les sports au Parlement au cours des cinq dernières années.

Comment se fait-il qu’il ait été nommé ministre des Sports alors que, tout le monde le sait, vous avez géré le dossier des sports au cours de ces six dernières années au moins ? Est-ce que déjà, pendant la campagne électorale, vous avez senti un changement à ce niveau ?
— Pendant la campagne, j’ai participé en tant que responsable du dossier sport de l’Alliance du Changement à des émissions de radio et même à la télévision. Tout le monde à Maurice savait que je m’occupais de ce dossier et pensait, naturellement, que j’allais occuper ce poste, en dehors de la direction du MMM. Je ne suis pas frustré comme certains ont pu l’écrire sur les réseaux sociaux, mais je suis profondément déçu de l’attitude de certains à la direction du MMM qui ont préféré une approche communale dans la nomination…

Pensez-vous que le facteur communal ait joué un rôle dans votre non-nomination au ministère des Sports ?
— Il faut savoir ce que l’on veut. Si on veut avoir the right person at the right place, il faut d’abord s’intéresser à ses capacités et son expérience plutôt qu’à son appartenance communale. Ce n’est pas de ma faute si je suis un créole et que je me suis occupé du dossier des sports, que je l’ai fait comme il se doit, que je méritais d’être nommé ministre. J’ai le sentiment que le fait d’appartenir à la communauté créole ait joué en ma défaveur quand il a été question, pour le MMM, de choisir le ministre des Sports. Le choix ne s’est pas fait sur la compétence et la méritocratie. Lors d’une réunion avec les dirigeants de l’alliance après les élections, je me suis rendu compte qu’il y avait des difficultés en ce qui concernait le partage du nombre de ministères et qu’au MMM le critère communal risquait d’être prépondérant.

À l’époque, vous étiez vice-président du MMM. Le leader n’a-t-il pas communiqué avec vous sur les difficultés à nommer les ministres ?
— Si le leader avait communiqué avec moi sur ce sujet, si nous avions eu une conversation d’homme à homme, il est probable que je ne serais pas en train de vous accorder une interview.

Comment avez-vous appris que vous aviez été écarté du portefeuille de ministre des Sports ?
— D’abord par un journaliste bien informé, puis Deven Nagalingum m’a appelé pour me dire qu’on lui avait proposé le ministère des Sports et qu’il ne pouvait refuser. Je lui ai souhaité bonne chance et, dans l’après-midi, Paul Bérenger m’a appelé et je lui ai demandé ce qui s’était passé pour les Sports. Il a été énervé par ma question et m’a dit que la décision avait été déjà prise et qu’il était au courant des insanités que j’étais en train de répandre. Et il m’a proposé le poste de Deputy Chief Whip et je lui ai dit que j’allais répondre plus tard, puis j’ai refusé le poste en téléphonant à sa secrétaire.

Je ne sais pas si ça fait partie des insanités que vous reprochez Paul Bérenger, mais toujours est-il qu’on a répandu la rumeur que vous aviez demandé à un prêtre catholique de faire intervenir l’Évêque de Port-Louis pour faire pression afin que vous obteniez le poste de ministre des Sports. Vous confirmez ?
— Je suis un fidèle de la paroisse du Sacré Cœur, dont le curé, Jean-Claude Véder, défenseur de la cause créole sans être communaliste, est un ami avec qui j’ai l’habitude d’échanger et de partager. Je l’ai mis au courant de la situation, ce qui l’a étonné, et il a téléphoné à Rajesh Bhagwan et à Paul Bérenger pour demander des informations sur la situation, et on a voulu interpréter sa démarche comme tentative de pression ! J’en profite pour souligner que quand un président d’association culturelle appelle les dirigeants, c’est perçu comme étant une conversation, pas une pression !

L’autre grande insanité —ou péché – que l’on vous reproche, c’est d’avoir fait une demande d’adhésion à un autre parti politique…
— C’est totalement faux et je ne suis pas du genre, comme certains à rire avec vous sans hésiter à vous poignarder dans le dos juste après ! Cette personne se reconnaîtra ! À un moment où la déception était très forte, j’ai voulu m’éloigner du MMM, mais en restant comme député de l’Alliance du Changement. J’ai appelé le président du PTr, qui est un ami, pour lui dire d’informer son leader que j’étais mal à l’aise au sein du MMM après tout ce qui était arrivé. Je n’ai jamais demandé mon adhésion à un autre parti malgré le fait que mon parti, le MMM, m’ait exclu de ses rangs.

Mais en tant que vice-président et membre du BP, vous n’avez pas, depuis les élections, participé aux réunions des instances mauves où ces questions sont discutées ?
— La veille de la prestation de serment des députés au Parlement, j’ai reçu un appel d’un journaliste qui m’a demandé quel était mon état d’esprit après les événements. Je lui ai répondu que j’étais très déçu, mais que la vie devait continuer. Le lendemain, Rajesh Bhagwan m’a transmis un message de Paul Bérenger de ne pas venir au CC puisqu’on allait discuter de mon cas. Je lui au dit quel avait été l’échange entre le président du PTr et moi. D’après ce que je comprends, cette information n’a jamais été transmise au CC et au BP. J’ai appris par la suite que le leader, qui m’avait demandé de ne pas assister à la réunion du CC, a déclaré que si j’avais été présent, il aurait présenté une motion d’expulsion contre moi ! Le lendemain, le sujet a été évoqué dans le BP et on a demandé à Reza Uteem, le président du parti, de m’informer qu’on allait me retirer du BP et des instances du parti.

Quand il est venu me voir, j’ai demandé que le BP mette par écrit ce qui m’était reproché afin que je puisse me défendre et répondre. Jusqu’à l’heure, je n’ai reçu aucune lettre ou communication de la direction du MMM en, ce sens !

À aucun moment les instances du MMM ne vous ont-elles demandé de venir vous expliquer sur les reproches qu’on pouvait vous faire ?
— Non. Pour la direction, je m’étais auto-exclu du parti en ne participant pas à quelques réunions. Le 16 décembre, elle a pris la décision de m’exclure, on a enlevé mon nom de la liste du WhatsApp du BP et ce n’est qu’un mois après que cette décision, prise en catimini, a été annoncée officiellement. C’est une vieille décision qui est annoncée maintenant pour essayer de faire croire que ça fait longtemps que je n’assiste plus aux réunions et que je ne suis auto-exclu du parti. Je le répète, je ne me suis pas auto-exclu, c’est la direction qui a décidé de m’exclure du parti pour des raisons qui ne m’ont encore été communiquées officiellement.

Aucun de ces camarades avec qui vous avez cheminé au sein du MMM au cours des trente dernières années n’a pris votre défense, ne s’est élevé contre cette expulsion ?
— À ma connaissance, il n’y a que Reza Uteem qui a eu le courage de s’exprimer sur cette question. Je sais aussi qu’il n’est pas partie prenante de certaines décisions du BP, comme le choix des ministres, et je ne suis pas convaincu qu’il ait obtenu le ministère qu’il souhaitait. En ce qui concerne les autres, je pense que beaucoup ont peur de s’exprimer, car la démocratie interne n’est pas pratiquée, tout comme la méritocratie au MMM. Certains se comportent comme des propriétaires, des actionnaires et des businessmen du parti, alors que le MMM est celui des militants et des militantes dont je fais partie. J’ai vécu difficilement cette période de trahison, il n’y a pas d’autre mot. Mais heureusement qu’il y a, au niveau de la base, des camarades sincères avec qui nous avons traversé les grandes et les mauvaises périodes de l’histoire du parti, qui sont là quand on a besoin d’eux. Je précise que je parle des militants, pas de ceux qui font partie des instances dirigeantes. On a fait circuler de fausses informations sur moi dans le pays, et en particulier dans ma circonscription. Les militants n’ont pas eu les bonnes informations, ne savent pas comment les choses se sont passées, ce n’est maintenant que je m’exprime, que je raconte la chronologie des événements. Je n’ai pas l’habitude de raconter des histoires, je n’ai qu’un langage, qu’une parole. Je ne suis pas comme certains qui peuvent avoir une opinion le matin et une autre, totalement différente, le soir.

Un poste de Junior Minister vous a-t-il été proposé en, disons, compensation ?
— Non. Jamais. La direction du MMM ne m’a rien proposé, mais on a laissé entendre, sans doute pour essayer de justifier ma non-nomination, qu’on m’a proposé un poste de Junior Minister que j’ai refusé. Certains osent écrire sur les réseaux sociaux que j’ai fait de la politique pour devenir ministre. Oui, j’avais l’ambition de devenir ministre dans un domaine que je maîtrise, et je n’ai pas commencé hier matin. Ce fait plus de quinze ans que je gère le dossier des sports pour le MMM. Si je faisais de la politique pour des gains personnels, j’aurais accepté le poste de Deputy Chief Whip pour avoir une belle voiture, un chauffeur, des gardes du corps et une sentinelle, mais je ne suis pas enn roder bout ! Je ne suis pas un lâche, je ne donne pas des coups de poignard dans le dos de mes amis, et quand j’ai quelque chose à dire, je le dis, comme je suis en train de le faire dans cette interview, en disant la stricte vérité.

Comment envisagez-vous la suite de votre avenir politique ?
— J’ai été élu par les habitants de la circonscription Numéro 20 sur la base d’un programme que je compte aider à appliquer en jouant mon rôle activement. Je vais participer aux travaux du Parlement et apporter ma pierre à l’édifice que l’Alliance du Changement se propose de construire. Nous avons été élus pour un changement de gouvernement et la mise en place d’une nouvelle manière de gérer le pays à travers les propositions de notre manifeste qui se retrouvent dans le discours-programme. Nous voulons mettre de l’ordre dans le pays, apporter les réformes nécessaires et faire que la démocratie et la méritocratie ne soient pas que des slogans.

Allez-vous axer vos interventions au Parlement sur le dossier sportif, au risque d’embarrasser Deven Nagalingum ?
— Je n’ai pas à embarrasser qui que ce soit, même si on sait que Nagalingum était plus préparé pour les administrations régionales que pour le sport.

Donc, vous allez fonctionner comme un député du MMM sans être dans le parti ?
— Excusez-moi, mais je suis encore du MMM, je fais encore partie du parti. Personne ne m’a dit officiellement que j’ai été exclu des instances mauves. Tout ce que je sais sur cette question, je l’ai appris dans la presse ou sur les réseaux sociaux. Il y a des choses qui sont dites, qui sont rapportées, mais moi, je n’ai pas été, jusqu’à présent, notifié officiellement de quoi que ce soit. Il faut que le BP fasse une communication officielle pour dire que j’ai été exclu du MMM, ce qui me permettra de dire aux militants que je ne quitte pas le MMM, mais que c’est le BP mauve qui me met dehors. Si cette instance a des raisons de m’exclure, qu’elle rende ces raisons publiques.

À l’avenir, pourriez-vous vous retrouver dans un autre parti politique ?
— Cela ne m’intéresse pas. Je n’ai pas passé trente ans à faire de la politique pour devenir, du jour au lendemain, un transfuge ! Dans la vie, il vaut mieux être seul que mal accompagné. Être seul ne me dérange pas, et je continue à fonctionner comme avant. Quand on a fait son travail la tête haute et les mains propres, comme on disait autrefois au MMM, on n’a pas peur de quoi que ce soit.

Et si des personnes de bonne volonté — d’autres pourraient les appeler des “agwas” —arrivent à organiser une rencontre avec Paul Bérenger pour régler le problème que nous avons évoqué en long et ne large dans cette interview, est-ce que vous seriez partant ?
— (Moment d’hésitation) Je suis un homme de dialogue, mais je n’arrive pas à répondre à cette question. Beaucoup de choses se sont passées, mais une rencontre ne va tuer personne…

Un retour à lakaz mama ne va pas tuer personne, non plus ?
— Tout va dépendre dans quelques conditions. Je ne demande rien, je dis seulement que le MMM est le parti de tous les militants et des militantes dont je fais partie. Certaines ne peuvent pas, du jour au lendemain, décider de ce qu’ils veulent, quand ils le veulent. Je sais qu’en mon âme et conscience je n’ai commis aucune faute. J’ai seulement eu le courage d’exprimer mon sentiment à un moment donné pour faire sortir tout ce que j’avais en moi et je l’ai résumé en disant que la méritocratie n’a pas été respectée au MMM en ce qui concerne l’attribution du poste de ministre des Sports. C’est une déclaration fait à Week-End qui a été reprise et commentée sur Facebook. C’est une déclaration modérée, car j’aurais pu dire beaucoup plus. Que, par exemple, des gens qui viennent d’adhérer au parti ont la préséance sur les militants qui sont là depuis plus de trente ans.

Et là vous fait clairement allusion à Jyoti Jeetun…
— Beaucoup de militants considèrent le cas que vous citez comme une aberration, une injustice vis-à-vis des camarades qui sont dans le parti depuis longtemps. J’ai dû le dire quelque part et malgré le fait que cela ait dérangé la direction du MMM, c’est la vérité. Cela dit, je précise que je n’ai rien contre cette personne.

Que voulez-vous dire pour conclure cette interview ?
— Je voudrais dire à mes mandants que je suis un député élu sous la bannière de l’Alliance du Changement et que le travail que j’ai commencé depuis 2010 va continuer. Avec l’avantage que cette alliance est aujourd’hui au gouvernement et que le travail sera plus facile que quand le Numéro 20 était dans l’opposition. Je répète ce que j’ai toujours dit : je suis le député de tous les habitants de la circonscription, même de ceux qui n’ont pas voté pour moi. J’aimerais terminer en disant que la direction du MMM peut m’expulser du BP et des instances du parti, reprendre le titre de vice-président, mais elle ne pourra pas me prendre ma liberté de penser et de m’exprimer.

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