Dans le cadre des célébrations marquant l’anniversaire des 50 ans de l’Indépendance de Maurice, le ministère des Arts et de la Culture a décidé de récompenser certains artistes issus de différentes catégories d’expressions, pour leurs contributions à la Culture du pays. Firoz Ghanty, Moorthy Nagalingum, Vaco Baissac figuraient parmi les trois nominés. La cérémonie officielle de cette première édition du National Award Ceremony s’est déroulée au Ravenala Attitude Hotel, Balaclava, le mercredi 16 mai 2018, en présence du Premier ministre, Pravind Jugnauth, et d’autres personnalités politiques et aussi d’un public limité à quelques artistes. Firoz Ghanty, le lauréat de cette soirée, nous parle, entre autres de sa conception de la reconnaissance culturelle par l’Etat.
Firoz Ghanty, vous avez toujours été loin des salons, des prix que vous dites n’avoir jamais sollicités. Vous avez accepté cette récompense, à quelle condition, « under protest » comme l’écrivez dans le communiqué, acte de nature avant tout politique ?
J’avais deux possibilités, refuser ou accepter. Si j’avais refusé, je me mettais hors jeu. Nous avons besoin d’une continuité de la part de l’Etat, de politique culturelle, pas de passe-droit. L’idée de récompenser la participation des artistes à la culture est bien en soi. Je pense qu’il fallait déjà dans ce concours une part de reconnaissance posthume aux anciens. Et ne pas nécessairement rentrer dans le premier, deuxième ou troisième degré par le tri. Avec les nominés, comment juge-t-on ces trois écoles différentes de pensée ? Pourquoi moi en art contemporain et pas Ismet, qui travaillait avant moi ? C’est le raisonnement du système social, politique, de toujours avoir l’idée de la hiérarchie. Mais il ne faut pas fermer les portes à ce genre de manifestations. C’est de la responsabilité de l’Etat.
Artiste ayant subi une forme de répression, censuré, boycotté, quel a été votre combat ?
Je reste sur ma position. J’ai subi beaucoup de choses, je me suis battu face à un système unique. C’est important que les gens sachent que l’histoire de ce pays a été brutale et cruelle envers certains artistes à l’instar de Kaya, Gérard Bacorilal. Les artistes sont un danger potentiel pour le gouvernement. La culture est une forme de menace à la société fermée. J’ai connu comme d’autres l’humiliation. Je me bats pour la communauté des artistes.
Vous n’y allez pas de main morte dans votre déclaration à la presse « Under protest » : « Les Artistes ont toujours été utilisés par les politiciens comme faire-valoir ! » Comment expliquez-vous cette déclaration rédigée ?
Le capitalisme et la bourgeoisie politique trouvent toujours moyen de récupérer ceux qui sont hors de leur contrôle. Il faut trouver le moyen de les faire entrer dans leur système. Mais l’acte de mon communiqué est politique pour dire à la jeune génération : Restez vivants, restez entiers. Un art soumis est un art de salon. Je souhaite que les choses changent. On ne peut pas être dans les institutions (que je respecte) et avoir une totale liberté de pensée, de conscience et de respect.
Il semble que votre récompense vient avant tout du soutien populaire ?
Je puise aussi ma force dans le soutien populaire. J’utilise la rue comme un baromètre. Je suis un homme de la rue, c’est de la rue que vient la force de mes convictions. Je veux oeuvrer dans le sens de l’intérêt national. Toute ma vie, j’ai voulu que l’art sorte des salons. J’ai exposé dans des magasins, dans la rue. « Je me considère comme un intellectuel organique des masses. » Ma récompense est symbolique, C’est un certificat, un chèque, Un junior minister vous serre la main. L’Etat au eu un geste envers les artistes.
Peintre, illustrateur, militant, auteur, vous avez évolué dans votre travail selon quelle esthétique ? Vous pensez aussi à la transmission ?
Il y a deux lectures possibles de mon travail. D’abord, quelque chose d’équilibré, réfléchi, le travail de l’artisan. Il y a une deuxième lecture qui possède des clés (je puise par exemple dans l’ésotérisme). C’est une vaste palette de lectures. Mon travail a évolué, mais j’ai toujours un essentiel : la créolité qui est le soubassement de mon action politique, culturelle. Les couleurs du pays se retrouvent dans certains de mes travaux. J’accède à l’universel à partir du pays d’où je viens. Je suis un insulaire. Nous avons tous dans ce pays un récit national, une histoire commune. Le Mauricien a ce quelque chose de particulier. J’ai fait un choix qui a été difficile, nécessité du courage et de la conscience. Ne pas pouvoir s’exprimer librement est une blessure à la création. En matière de transmission, je dis à la jeune génération : sortez des écoles, consacrez-vous à la création. C’est la quintessence de l’art !