On a beaucoup parlé des Chagos cette semaine dans le cadre de la célébration, le 12 mars, du 57ème anniversaire de l’indépendance de Maurice et du 33ème anniversaire de l’accession au statut de République. Certains espéraient manifestement que cela aurait pu être l’occasion d’annoncer la conclusion du tant attendu deal entre la Grande Bretagne et Maurice au sujet de la souveraineté retrouvée de Maurice sur l’archipel, et les conditions financières de la location à bail de l’île principale de Diego Garcia aux Etats Unis pour la préservation de leur base militaire. Ce que certains annoncent comme une ultime étape de la décolonisation.
L’annonce n’est finalement pas venue. Mais elle est clairement in the pipeline.
Si l’ex-Premier ministre Pravind Jugnauth s’était hâté, en octobre dernier, de se vanter de la conclusion d’un accord avec la Grande Bretagne à la veille de l’annonce des élections législatives à Maurice, sa défaite électorale n’a pas entraîné une rupture des discussions. Celles-ci ont été reprises par le nouveau gouvernement de Navin Ramgoolam, qui disait vouloir revoir et améliorer certaines des conditions négociées par le précédent gouvernement. Qui, rappelons-le, concernait la reconnaissance par la Grande Bretagne de la souveraineté de Maurice sur les Chagos à l’exclusion de l’île principale de Diego Garcia, sur laquelle la Grande Bretagne exercera la souveraineté pour Maurice pendant 99 ans supplémentaires au moins. Le tout assorti du versement d’une compensation financière et d’une location.
Avec l’arrivée de Donald Trump à la présidence des Etats Unis, beaucoup craignaient que ces conditions négociées sous la présidence de Joe Biden soient renversées. Mais après la rencontre le 27 février dernier entre le Premier ministre britannique Keir Starmer et le président américain Donald Trump, ce dernier a fait savoir publiquement, il y a une semaine, qu’il serait favorable à ce traité qui assurerait aux Etats Unis de conserver le contrôle sur Diego Gracia et de continuer à opérer l’importante base militaire que les Américains y ont installée dans les années 1970.
À n’en pas douter, Maurice se retrouve là au cœur d’un enjeu géostratégique international d’une portée majeure. C’est aussi ce dont témoignent les discussions tenues cette semaine lors de la visite du président indien Narendra Modi, chief guest des célébrations du 57ème anniversaire de l’indépendance. M. Modi a à cette occasion réitéré le soutien inconditionnel de l’Inde à Maurice dans sa revendication de souveraineté sur l’archipel des Chagos. Position déjà affirmée par le Foreign Secretary indien, Vikram Misra, qui avait déclaré, en réponse à une question de la presse à New Delhi, que l’Inde appuie Maurice dans sa recherche d’un « mutually beneficial deal with the UK » sur les Chagos. “We’ve supported Mauritius in its stance on its sovereignty over Chagos, and this is obviously in keeping with our long-standing position with regard to decolonisation and support for the sovereignty and territorial integrity of other countries », a-t-il insisté.
au fait que son nom est souvent cité De son côté, l’autre grand acteur qu’est la Chine a finalement réagi cette semaine au cœur du rapport de force géostratégique qui s’exerce autour des Chagos. Le nom de la Chine étant agité en épouvantail par ceux, aux Etats Unis et en Grande Bretagne, qui disent que la rétrocession des Chagos à Maurice risquerait de favoriser la prise de contrôle de l’océan Indien par Pékin.
Ce vendredi 14 mars, le China Military Online, organe de communication de l’armée chinoise, a ainsi publié un communiqué affirmant que « Toute rhétorique associant la question (des Chagos) à la Chine est purement infondée et vise à fabriquer une menace chinoise inexistante. De tels arguments ne font que révéler la mentalité persistante de la Guerre froide et l’anxiété géopolitique de ces politiciens occidentaux. » La Chine stipule ainsi que le différend territorial sur l’archipel des Chagos relève exclusivement d’une négociation entre le Royaume-Uni et Maurice, et réfute tout rôle dans cette question. « Le retour des îles Chagos à Maurice n’a rien à voir avec la Chine », martèle China Military Online, qui qualifie ces affirmations de
« spéculations malveillantes sans fondement ».
Tout semble donc aligné pour que le deal sur les Chagos aille rapidement de l’avant, malgré l’opposition de celles et ceux qui continuent à militer pour un océan Indien zone de paix, et donc pour le refus que Maurice donne son blanc-seing à la continuation de l’opération de la base militaire américaine de Diego Garcia.
Mais il n’y a pas que cela.
En cette première semaine de mars 2025, 415 Chagossien-nes ont quitté Maurice pour aller s’installer en Angleterre, après avoir reçu leurs documents des autorités britanniques. Selon certaines informations, 3 personnes ont été refoulées à l’aéroport de Heathrow. Les 412 autres sont en train tant bien que mal de s’installer dans différentes régions du Council de Manchester. Pour la plupart, elles semblent vouloir se rallier au BIOT Citizens (British Indian Ocean Territory) mené par Misley Mandarin. Opposant juré d’Olivier Bancoult et de son Groupe Réfugiés Chagos, Misley Mandarin et son groupe s’opposent farouchement à ce que la Grande Bretagne reconnaisse et restitue la souveraineté de Maurice sur les Chagos, comme préconisé en 2019 par la Cour internationale de Justice qui a jugé illégale la présence britannique sur l’archipel et a recommandé sa restitution à Maurice. Position soutenue la même année par une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies.
Misley Mandarin a ainsi réaffirmé cette semaine que son groupe de Chagossien-nes établis en Grande Bretagne refuse que les Chagos deviennent une colonie de Maurice (et de l’Inde), qu’ils veulent rester citoyens britanniques (et devenir citoyens américains à l’avenir), et qu’ils se battront jusqu’au bout pour l’auto-détermination. Un grand rallye est ainsi prévu fin avril à Manchester pour faire entendre haut et fort cette revendication, à laquelle viendront probablement s’ajouter les 412 voix qui viennent d’y rejoindre une communauté chagossienne qui ne cesse de s’accroître.
Drame humain au-delà d’un enjeu géostratégique et politique de premier plan, l’histoire des Chagos témoigne aujourd’hui d’une division majeure au sein de ce peuple dont l’histoire ne cesse d’être tragique. Entre natifs de l’archipel et descendants. Entre une souveraineté ou une autre. Entre une dépossession ou une reconquête. Entre argent et puissance. Entre allégeance divisives et contrastées.
Et l’on ne peut que se demander ce qu’en auraient pensé Charlesia Alexis et tou-tes les autres pionniè-res du combat chagossien, qui chaque année, au moment du 12 mars, revivaient leur déportation à laquelle les Britanniques avaient conditionné notre accession à l’indépendance. On parle de milliards de dollars à être versés. Mais quel prix humain sera-t-il encore imposé ?
SHENAZ PATEL