Le cycle de la tromperie…

Un “gran pake” a, de nouveau, été “kase” par l’ICAC, jeudi. La commission a procédé à la saisie de documents relatifs au contrat de Rs 5 milliards passé entre le Central Electricity Board (CEB) et la firme Corexsolar, suivant la vague de dénonciations des dessous de ce deal, ces derniers quinze jours.
Échaudée et dupée depuis longtemps, la population a réagi, ici et là, en disant ne rien attendre de ce même mauvais film qui ne connaît jamais de suites concrètes et des condamnations. D’autres, devenus résolument plus méfiants, ont vite supputé que les documents saisis sont ceux-là même qui auraient pu établir la responsabilité ou la culpabilité de certains protagonistes. Et qu’ils seront désormais sous bonne garde pour ne pas déranger les voleurs et les fraudeurs.
Ainsi donc, après les communiqués, les démentis, les dépositions en cascade à la police et le papier timbré servi par le ministre Joe Lesjongard à Joanna Bérenger, voilà que l’ICAC entre en scène. Elle n’a pas attendu d’avoir une dénonciation en bonne et due forme pour se précipiter au quartier général du CEB et “sécuriser” tous les papiers relatifs au dossier Corexsolar.
Les Mauriciens n’attendent rien de ce polar de mauvais goût parce qu’ils ne jugent que sur pièce. Et la pièce est d’un vide abyssal et d’un creux résonant. Ils en veulent pour illustration toutes les enquêtes récentes supposément entreprises par l’ICAC et qui n’ont abouti à rien.
Angus Road, ses petits paiements style “mammouth” comme l’avait décrit la sagesse populaire, la terrible confusion entre le vrai propriétaire et l’authentique payeur, toute cette affaire est, sans doute, un peu trop ancienne pour que même ceux qui ont bonne mémoire s’en souviennent encore.
Mais les dossiers récents pourtant liés de près ou de loin au trafic de drogue sont assez éloquents pour que l’on prenne la pleine mesure des agitations stériles de l’ICAC. La Stag Party ? Une arrestation pour la forme, tandis que le signataire du bail, Maneesh Gobin, ancien cadre de l’ICAC, qui a bravé le confinement pour passer du bon temps sur le site et jouir de la “générosité” de ses hôtes et bénéficiaires du contrat, n’est même pas invité à… prendre le thé à Réduit.
Molnupiravir ? Une déculottée devant la justice qui s’est étonnée que l’enquête n’ait été que partielle et ciblée et que tous les protagonistes n’aient pas été sommés de s’expliquer. Avec pour résultat que le seul poisson ferré par l’ICAC s’en est assez facilement sorti.
St Louis ? Cela fait bientôt quatre ans que l’ICAC enquête, ici même et à l’étranger, suivant le “bout de papier” secret que Pravind Jugnauth lui a remis.
Là aussi, quelques actes spectaculaires puis plus rien. On ne sait toujours pas si le moindre dossier a atterri sur la table du bureau du Directeur des Poursuites Publiques pour qu’il puisse loger les charges formelles devant les tribunaux.
Après le CEB, il paraît que c’est aussi à Air Mauritius que la commission s’attaquera après la suspension de l’oiseau rare de Croatie qui faisait office de CEO, déniché par la bande à Ken Arian et celle du Chief Finance Officer, Jean-Laval Ah Chip.
Et comme le veut le narratif usuel, des documents ont été emportés du Paille en Queue Court pour démêler l’écheveau des choix de la direction qui seraient discutables. Dommage que l’ICAC, pour continuer à faire semblant, ne se soit pas intéressée au pillage commis pendant le confinement avec les avions vendus à prix cassés et des locations coûteuses qui ont ensuite été effectuées une fois les frontières rouvertes et sur les plus que généreux honoraires que des administrateurs se sont octroyés.
Le plus inquiétant et révoltant dans les affaires récentes qui ont défrayé la chronique, c’est que la police autant que l’ICAC semblent s’intéresser en priorité à ceux qui, pour une raison ou une autre, ont décidé d’ouvrir les dossiers et les porter sur la place publique pour que chacun puisse juger de l’étendue des tours de passe-passe organisés pour graisser la pâte à certaines personnalités publiques.
Shooting the messenger plutôt que traquer ceux qui pillent les fonds publics et qui s’enrichissent sur le dos de la population. Voilà la priorité absolue.
Alors même que le Prevention of Corruption Act dispose de quelques clauses qui octroient une certaine protection aux dénonciateurs et aux témoins. Lorsqu’on sait que l’ICAC peut même agir à partir de lettres anonymes, on ne peut que s’indigner de la démarche qui consiste à pister les dénonciateurs.
La chasse aux dénonciateurs a pris une grande ampleur depuis 2015. Lorsque le rapport de l’enquête judiciaire conduite par la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath sur l’assassinat de Soopramanien Kistnen, que le gouvernement voulait absolument cacher, a trouvé la place publique, Maneesh Gobin, ancien Attorney General, avait annoncé saisir la police pour une enquête sur la fuite de ce document.
Et comment là ne pas penser à Transparency Mauritius qui, lui aussi, avait “kase enn gran pake” en mars dernier lorsque son directeur a été à la rencontre du Premier ministre, non pas pour parler d’Angus Road ou de la dégringolade de Maurice au classement de Transparence International, mais pour lui remettre l’ébauche d’un Whistleblowers’ Protection Bill. Tout ça, assorti d’une photo éloquente postée sur le site de Transparency Mauritius.
Le soin fut aussi pris d’adresser le texte au Président de la République, sans lui demander ce qu’il était advenu de ses valises en surnombre à l’aéroport de Varanasi, à l’attorney General qui n’était autre alors que Maneesh Gobin ainsi qu’au ministre des Services Financiers, celui qui nous avait plongé dans la liste noire, avant de se démener à grands frais pour nous en extirper.
Les descentes, les convocations pour la forme, on nous en servira tel un plat réchauffé. Les dossiers CEB et Air Mauritius feront oublier la Stag Party et un autre scandale viendra, à son tour chasser ceux dont on parle aujourd’hui.
Ainsi va le cycle de la tromperie…

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JOSIE LEBRASSE

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