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Entre « victoire » et expulsion

Selon le ministre du Tourisme, le fait que la France a rétrogradé Maurice de l’écarlate au rouge est une grande victoire. À l’écouter au Parlement, on aurait pu croire qu’il avait personnellement mené les troupes mauriciennes au combat, à la victoire. Grande, évidemment. Mais comme l’a souligné, avec raison, une consœur, une victoire c’est le résultat d’un match, d’un affrontement, d’une guerre. Est-ce que Maurice aurait déclaré la guerre à la France parce que les autorités sanitaires de ce pays estimaient que Maurice était un pays à risque sanitaire et demandait à ses ressortissants de ne pas s’y rendre ? Décision que Maurice avait trouvée injuste avec des conséquences catastrophiques pour son secteur touristique. Tout en se scandalisant de la décision de la France, Maurice oubliait, fort opportunément, qu’elle avait fait la même chose en fermant ses frontières avec l’Afrique du Sud. Une variante de fais ce que je te demande et ne t’occupe pas de ce que je fais. Était-ce une victoire diplomatique ou une victoire sanitaire, Maurice ayant réussi à vaincre le variant Omicron ? Est-ce que le fait d’avoir envoyé les représentants de la MTPA, de l’AHRIM et l’ancien conseiller nommé PDG rencontrer l’ambassadrice de France était une étape décisive du combat menant à la victoire revendiquée ? Si victoire il y a, elle n’est pas totale, puisque La Réunion, un autre important marché touristique, maintient Maurice dans l’écarlate et demande à ses ressortissants d’éviter les vacances de fin d’année à l’île sœur. Est-ce que le ministre du Tourisme va remettre son armure pour aller affronter les Réunionnais ?

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Le problème, c’est que le Premier ministre revendique, lui aussi, le fait d’avoir fait la France rétrograder Maurice de l’écarlate au rouge. Jeudi soir, il s’est invité à la télévision pour une « adress to the nation. » Comme on le sait désormais, cette « address » radiotélévisée se déroule en trois séquences. Il y a tout d’abord l’allocution du Premier ministre, puis les explications du contenu de l’allocution par des ministres et enfin la publication d’un document résumant les mesures annoncées dans l’allocution. Au cours de son allocution, le Premier ministre a expliqué que c’est suite à son intervention personnelle auprès du président français que Maurice est sortie de l’écarlate pour entrer dans le rouge. Mais alors, si c’est Pravind qui a fait les démarches, comment se fait-il que Steeve Obeegadoo claironne et revendique la supposée victoire sur la France ? Est-ce que le ministre du Tourisme aurait, pour reprendre une savoureuse expression créole, « déclare piti ki pas pou li » ? Lors de son « address », le Premier ministre a demandé aux Mauriciens de faire attention à ce qu’ils disent sur les radios et écrivent dans la presse et sur les réseaux sociaux. Il se faisait sans doute l’écho de la campagne de la MBC, plus que jamais la voix de son maître, se permettant de questionner le travail « d’une certaine presse » et des correspondants des agences et télévisions étrangères dans l’insertion de Maurice sur la liste écarlate. Samedi de la semaine dernière, la MBC avait ouvert son JT avec un sujet plein de sous-entendus grossiers, des questions frisant la diffamation, illustré par des articles encadrés en rouge, accusant cette certaine presse et des correspondants d’agences d’avoir incité le gouvernement français à inscrire Maurice sur la liste écarlate. À suivre ce « sujet » on aurait cru faire un bon de sept ans en arrière pour retrouver la télévision travailliste dirigée par Dan Callikan, qui était coutumier de ces sujets. Un collègue me signale que tout le monde sait que l’actuel directeur par intérim de la MBC était un protégé et homme de basses besognes de Callikan. Et c’est cette MBC-là, plus que jamais instrument de la propagande gouvernementale, qui a le toupet de donner des leçons de journalisme à la presse mauricienne !

Lors de son « adress to the nation », Pravind Jugnauth a également déclaré que tous les Mauriciens devaient « maryé piké », mettre la main dans la main pour affronter ensemble les problèmes sanitaires et économiques auxquels le pays est confronté. Enfin un discours rassembleur, enfin un langage de Premier ministre au-dessus de la politicaille, se sont dit les Mauriciens. Ils se trompaient. Le lendemain, au Parlement, le Premier ministre a démontré que son appel à l’unité n’était qu’une jolie phrase dans un discours. Avec le concours du Speaker ayant retrouvé son ton « loud », il a provoqué l’opposition au point de déclencher deux walk-outs et deux expulsions. Et pour ne pas changer, c’est le Premier ministre qui appelait jeudi à l’unité qui a présenté la motion d’urgence pour réclamer l’expulsion du leader du MMM du Parlement. Motion secondée, comme c’est devenu la pratique, par le ministre du Tourisme.

Comme dirait l’autre, plus ça change, plus c’est la même chose.

Jean-Claude Antoine

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