Notre invitée de ce dimanche est Elsa Di Meo, candidate du nouveau Front Populaire dans la circonscription Numéro 10 des Français de l’étranger, dont Maurice fait partie. Elle a répondu à nos questions lors de son bref déplacement à Maurice dans le cadre de la campagne électorale.
Commençons par les présentations. Qui êtes-vous, Elsa Di Meo et quel est votre parcours professionnel et politique ?
— J’ai quarante-deux ans et je me suis engagée en politique au lendemain du 21 avril 2002, quand Jean Marie Le Pen est arrivé au deuxième tour de l’élection présidentielle française. À ce moment, je me suis engagée au-delà de l’engagement syndical et associatif, que j’avais déjà, en adhérant au Parti Socialiste pour mener le combat contre l’extrême droite, en tant qu’élue locale en France, puis quand ma vie professionnelle, en tant que fonctionnaire de la Casse des Dépôts et Consignation, m’a amenée à aller travailler en Afrique de l’Ouest sur des projets spécifiques, puis en tant que responsable de la coopération européenne au Cameroun. Je suis restée militante engagée de mon parti et aujourd’hui je me réengage parce qu’on est directement face à l’extrême droite. C’est un peu le combat de ma vie et c’est pour cela que je suis au premier plan dans cette bataille électorale. Je vis depuis plus de dix ans en Afrique, d’abord à l’ouest, puis au centre, et Anne-Claire Yaeesh, ma suppléante vit au Moyen-Orient où elle a fait à peu près dix pays. Demain, nous porterons non seulement les enjeux nationaux, mais aussi ceux des Français qui habitent la 10e circonscription.
Comment fait-on campagne en une semaine quand la circonscription comporte 155 460 électeurs répartis dans 49 pays d’Afrique, du Moyen-Orient et compte 155 460 électeurs ?
— J’essaye de faire campagne à l’image de la députée de proximité que je serai. Je suis déterminée à aller à la rencontre des Français, des services français qui sont dans cette circonscription et je crois que c’est très, très important. On n’est pas uniquement dans une logique d’aller convaincre des gens, qui sont déjà convaincus par notre démarche, on est dans une logique d’aller plus loin, de montrer aux Français hors de France à quel point ils sont importants et à quel point nous souhaitons demain leur donner plus de moyens et de ressources.
Vous venez de dire votre souhait d’être une députée de proximité. Comment le faire alors que votre circonscription comprend 49 pays ?
— C’est vraiment une circonscription très étonnante : 49 pays sur trois continents. Avec Anne-Claire Yaeesh, ma suppléante, nous sommes repartis dans un certain nombre de pays et des déplacements différents, nous faisons également des réunions Zoom à distance pour pouvoir avoir des rencontres avec les Français installés aux quatre coins de la circonscription. Mais vous avez eu raison de souligner que c’est une élection précipitée avec une dissolution du Parlement qui ne donne que trois semaines de campagne aux candidats et aux partis, ce qui est une atteinte à la démocratie. Je suis sur le terrain, je suis la candidate qui a visité le plus de bureaux de vote importants pendant cette préparation de campagne et je vais continuer dans l’entre-deux tours. Mais je vous dirai surtout que demain, en tant que députée, j’entretiendrai un lien permanent avec les pays de la circonscription.
Êtes-vous en train de dire que ce lien n’existait pas ?
— Je suis en train de vous dire que je suis étonnée du bilan de la députée sortante Amal Lakrafi de la République en Marche. Je suis étonnée d’avoir découvert dans les statistiques de l’Assemblée nationale qu’elle était une des députées les moins présentes et les moins actives de l’Assemblée et qu’en sept ans, elle a fait zéro proposition, ce qui veut dire qu’elle n’a jamais défendu les intérêts de ses électeurs à travers la loi. Par ailleurs, elle n’a pas visité les services français installés dans la circonscription, comme les lycées d’enseignement français à l’étranger qui sont la richesse du lien entre la francophonie et le système éducatif des pays concernés. Je ne peux que constater qu’elle a été absente de ces enjeux.
Pour quelle raison avez-vous choisi de venir faire campagne à Maurice, qui ne comprend qu’une petite portion des plus des 155 000 électeurs de la circonscription ?
— Il faut savoir que Maurice est, avec le Liban et Madagascar, les trois lieux les plus importants où sont installés et enregistrés les Français de la circonscription. Maurice parce que c’est à l’image de ce que veut porter le nouveau Front Populaire, c’est-à-dire à la fois des enjeux d’accompagnement des Français de l’étranger et ceux hors de France.
Quelle est la première préoccupation des électeurs que vous avez pu rencontrer jusqu’à présent ?
— Que va devenir la France ? Ce n’est pas uniquement de petites thématiques, mais est-ce qu’on reconnaît encore la France quand elle est attaquée avec Emmanuel Macron sur le projet de loi émigration ou les déclarations de l’extrême droite sur les binationaux, sur l’impossibilité pour eux, demain, de pouvoir exercer des postes de responsabilité ? Plus globalement, les enjeux de cette élection sont : quelle France on veut, quelle France dans le monde et surtout qu’elle solidarité française on veut en France et à l’étranger ?
En fin de compte, avec sa dissolution surprise, destinée à provoquer l’éclatement de la gauche, Emmanuel Macron aura réussi l’exploit de la réconcilier pour former le nouveau Front Populaire. Un nouveau front fragile si l’on s’en tient aux déclarations et attaques des uns et des autres qui la composent. En tant que socialiste, vous sentez-vous à l’aise dans ce front dominé numériquement par la France Insoumise ?
— Moi je suis une militante de l’union de la gauche. C’est dans l’ADN des socialistes de toujours rechercher l’union de la gauche, non pas comme un totem, mais comme une possibilité de changer la vie des gens. Quand on a apporté de grandes réformes sociales en France, nous l’avons fait avec l’ensemble des composantes de la gauche. Vous ne trouverez pas chez moi une seule déclaration qui ait vocation à mettre en difficulté cette union. Nous avons été extrêmement responsables…
Et vous vous êtes extrêmement prudente dans votre réponse…
— Avec cette dissolution, Emmanuel Macron a fait exploser le paysage politique français en risquant de créer une crise institutionnelle sans précédent. Notre responsabilité, c’est de trouver les moyens pour dire au peuple français que nous avons compris la gravité de la situation et je crois que c’est ce que représente le nouveau Front Populaire : la possibilité de montrer qu’il y a un bulletin de vote qui peut être utile pour régler la situation. On voit bien que même avec cette dynamique, la tentative xénophobe en France — et en Europe — est très forte et que donc, il y a besoin d’une alternative vraiment unie face à ça. Je suis très à l’aise dans quelque chose avec le nouveau Front Populaire : c’est que nous n’avons pas seulement un accord électoral, mais également un accord programmatique sans précédent autour de trois axes principaux. Ce qui a été décidé ; et c’est la seule chose qui compte ; c’est que ce sont les députés élus qui voteront pour savoir qui incarnera le Front Populaire. Je ne crois pas à l’hégémonie d’un groupe sur un autre. Nous sommes en train de créer une nouvelle dynamique, une nouvelle force politique.
Mais la possibilité que Jean-Luc Mélanchon soit l’incarnation du nouveau Front Populaire est une des questions centrales du débat…
— Si c’est le cas, c’est que nous avons gagné le pari de paraître comme l’alternative crédible au risque de l’arrivée de l’extrême droite au gouvernement pour la France. C’est tout le mal que je nous souhaite. Ce qui est important, c’est de faire barrage à l’extrême droite, et j’aimerais que les composantes de ce front passent leur journée à dire la même chose ! Je veux dans cette campagne traiter des questions essentielles, pas des artefacts médiatiques…
… repris, commentés et développés par les politiques de tous bords !
— C’est pour cette raison que je viens de vous dire que je souhaite que les politiques passent leurs journées à parler du fond en laissant l’ensemble des ego de côté.
Les sondages donnent le RN loin devant la gauche et en constante progression. Est-ce que vous êtes convaincue que le nouveau Front Populaire pourrait rattraper le retard et remporter les élections ?
— Je vous répète que je suis déterminée à mener la bataille en sachant que le danger est réel. Nous sommes face à un choix déterminant et on va voir comment il se focalise dans les derniers jours de la campagne. Mais il n’y a jamais une élection qui est une certitude, qui est gagnée d’avance. En ce qui concerne la dixième circonscription, pour la première fois — et c’est historique —, nous avons la possibilité de la faire basculer du bon côté du point de vue national. Ce sont les circonscriptions comme la dixième qui vont faire la différence au niveau national entre le bloc d’extrême droite et celui de la gauche. Il n’y a qu’un seul vote utile pour battre le Rassemblement National, celui du nouveau Front Populaire.
Et ce message est entendu, écouté et bien accueilli par les électeurs ?
— J’ai rencontré beaucoup de Français, d’acteurs économiques, de réseaux culturels et d’associations de Français de l’étranger au cours de mon périple dans les pays que j’ai cités. Je crois que les gens sont conscients de l’importance du choix et du moment dans lequel nous sommes. Ils me demandent si nous allons défendre pas seulement les binationaux, mais l’ensemble des Français de l’étranger, veulent connaître le programme, quelle est notre position sur Gaza.
Quelle est justement votre position sur Gaza ?
— Avec ma suppléante, qui est Franco-Palestinienne, nous avons mis au coeur de notre campagne une parole forte de la France pour trouver une solution de paix qui cadre avec la dignité des populations et le droit international. Nous avons dit clairement que se battre contre l’extrême droite au niveau français, c’est aussi se battre contre l’extrême droite qui, aujourd’hui, dirige le gouvernement israélien. C’est important de qualifier l’ensemble de la politique internationale qui est aujourd’hui menée par Israël.
Revenons sur les déclarations du RN sur la binationalité, sujet très commenté chez les Français de l’étranger et les Mauriciens concernés…
— Le RN est fidèle aux déclarations de Jean Marie Le Pen sur la binationalité dans les années 1970. Le changement, si l’on peut dire, c’est que le RN s’est rendu compte dans cette campagne à quel point son projet xénophobe heurtait les Français et donc il essaye de se contorsionner pour se rattraper aux branches. De toute façon, ce que prône le RN c’est un rassemblement avec des Français divisés en catégories, et il est rejoint, hélas, par un certain nombre de macronnistes qui ont soutenu le projet de loi sur l’émigration qui, comme vient de le déclarer un membre du RN, fait le tri entre, disons, des Franco-Espagnols et des Franco-Africains, ces derniers devant être exclus, ce qui est intolérable.
Comment expliquez-vous que ce genre de discours puisse susciter l’adhésion en France aujourd’hui ?
— Je pense que la France est, à l’image d’un certain nombre de pays européens, profondément en crise, en train de traverser un vrai questionnement sur sa communauté nationale et son devenir et sur la manière d’apporter des réponses à ceux qui souffrent aujourd’hui. Mais que l’on ne se trompe pas : ce n’est pas en stigmatisant un certain nombre de Français que l’on aura des réponses sociales aux enjeux du quotidien. D’ailleurs, et c’est un des points sur lesquels j’insiste, ceux qui défendent le pouvoir d’achat et les plus vulnérables des Français sur le chômage, la retraite, c’est le nouveau Front Populaire, pas le Rassemblement National.
Qui est votre adversaire principal dans cette élection, le Rassemblement National ou ce qui reste des macronistes ?
— Mes adversaires politiques sont les candidats déclarés sur la circonscription. Mon ennemi principal c’est l’extrême droite et la xénophobie, même quand elle se place au sein du programme d’Emmanuel Macron. Par exemple, le projet de loi émigration et les attaques sans précédent aux corps sociaux, comme celle des diplomates, ce qui affaiblit la France sur le plan international.
Justement, quelle est votre réaction à la tribune signée par des dizaines de diplomates contre l’extrême droite et aux déclarations de hauts fonctionnaires de l’Éducation selon lesquelles en cas de victoire du RN, ils pourraient refuser de mettre en application sa politique ?
— D’abord, je crois que chacun de nous doit s’engager dans cette bataille et rappeler que l’extrême droite n’est pas un parti comme un autre et qu’en effet, pour les fondamentaux républicains et diplomatiques, c’est un danger sans précédent. Cette tribune est louable parce qu’elle permet de réaffirmer qu’il existe une digue républicaine. Ses signataires sont courageux et sont les défenseurs des valeurs républicaines dans ses fondamentaux.
Certains disent qu’en refusant de mettre en application le programme gouvernemental du RN, s’il remporte les élections, c’est une manière de contester le résultat des prochaines élections…
— Ce n’est pas une contestation des résultats du vote, mais une contestation des fondamentaux du projet du Rassemblement National. Ces fonctionnaires sont, au contraire, des défenseurs de la République contre le projet de l’extrême droite. Des hussards de la République.
Depuis la dissolution, Emmanuel Macron a plusieurs fois évoqué l’éventualité d’une guerre civile en France après les élections avec une éventuelle arrivée au pouvoir de ce qu’il qualifie des extrêmes : le Rassemblement National et le nouveau Front Populaire. Quelle est votre réaction à ces déclarations ?
— Il aurait dû y penser avant de dissoudre le Parlement ! La décision de dissoudre, personne ne l’obligeait à la prendre. Il a créé une situation sans précédent, et parce qu’il perd complètement les pédales dans cette campagne, maintenant il nous renvoie la responsabilité en disant : attention, demain il y a un risque de guerre civile ! Mais il était évident que la dynamique de l’extrême droite représentait un vrai danger au premier tour pour la stabilité sociale du pays et la stabilité institutionnelle. Emmanuel Macron a été totalement irresponsable quand il a dissous le Parlement au soir des résultats des Européennes.
Continuons avec les déclarations. Marine Le Pen a déclaré mercredi dernier que le titre de chef de l’armée attribué au président de la République n’est qu’un titre honorifique et que c’est le Premier ministre qui est le véritable chef. On parle déjà d’ouverture d’une grave crise institutionnelle…
— Cette déclaration est la démonstration que Marine Le Pen n’est pas en train de se demander comment améliorer le sort des Français, mais de préparer la prochaine élection présidentielle. Cette déclaration est destinée à instrumentaliser Emmanuel Macron et sa déclaration que la France allait envoyer des troupes au sol en Ukraine, ce que personne ne veut en France. Mais Marine Le Pen oublie de parler de son alliance avec la Russie. Nous au nouveau Front Populaire, nous disons que nous ne voulons pas envoyer des troupes au sol en Ukraine, mais que nous serons aux côtés de son peuple pour le défendre face à la Russie. Marie Le Pen ne peut pas essayer de balayer d’un revers de main que ses alliés, voire ses financeurs pour un certain nombre d’élections, sont aujourd’hui ceux qui attaquent l’Ukraine.
Comment interprétez-vous le fait que Jordan Bardella demande, exige même, une majorité absolue au Parlement pour aller à Matignon ?
— Il essaye d’arriver le plus haut possible dans sa campagne, c’est sa stratégie. Est-ce qu’aujourd’hui il y a le risque d’une majorité absolue de l’extrême droite au Parlement ? Oui, si l’on en croit l’ensemble des sondages et la dynamique de terrain. Le seul rempart est de voter nouveau Front Populaire pour faire bloc contre l’extrême droite.
En cas hypothétique de défaite au premier tour, quelle sera votre consigne de vote aux électeurs de la 10e circonscription pour le deuxième tour ?
— Je vous dirai plutôt l’inverse eu égard aux dynamiques de la circonscription. La gauche était très nettement devant aux élections européennes et elle a toujours été présente aux législatives. Donc, je renvoie votre question à madame Amal Lakrafi : agira-t-elle en républicaine et appellera-t-elle à voter pour moi en cas d’un deuxième tour dont elle serait absente ?
De manière plus large, est-ce que le nouveau Front Populaire a donné des consignes pour le deuxième tour ?
— Elles ont été données et elles sont très claires : tout faire pour faire échec à l’extrême droite. Mais je demande au bloc qui a créé la situation dans laquelle nous nous trouvons — bloc qui continue à s’appeler majorité présidentielle, alors qu’elle n’existe plus depuis la dissolution ! — et qui est le seul à renvoyer dos à dos le Rassemblement National et le Front Populaire de se positionner. Les macronnistes feront-ils échec à l’extrême droite en votant pour le nouveau Front Populaire ?
Le Front National a réussi à se dédiaboliser en quelques années. Combien de temps faudra-t-il pour dédiaboliser Jean-Luc Mélachon qui est, pour 70% des Français, un repoussoir pour la gauche ?
— Je ne renvoie pas dos à dos l’extrême droite et le parti de Jean-Luc Mélanchon parce que, fondamentalement, ils ne sont pas comparables. L’extrémisme du Rassemblement National n’a rien à voir avec le radicalisme de la France Insoumise. C’est important de ne pas reprendre cette petite musique qu’a essayé de distiller Emmanuel Macron dans cette élection. Maintenant, si le fond de votre question est de savoir si la personnalité de Jean-Luc Mélanchon est particulièrement clivante…
C’est une question très souvent posée dans cette campagne électorale…
— Ce que je sais, c’est que la gauche aujourd’hui elle est plurielle, elle est avec un électorat radical autour de la France Insoumise qui a besoin d’affirmer haut et fort sa colère. Elle est profondément responsable autour des écologistes avec des enjeux de développement durable. Elle est profondément concernée par les rapports au travail et au capital avec le Parti communiste et elle est aussi dans une vision de la transformation sociale portée par les sociodémocrates, les socialistes et Raphael Gluskmann. C’est cette diversité qui fait la richesse du nouveau Front Populaire, et je ne fais pas partie de ceux qui pensent qu’il y a, en France, des gauches irréconciliables.