Reena Kangloo, avocate : « Seule la police peut enquêter sur le contenu d’un affidavit »

«Affidavit », le mot de la semaine. Reena Kangloo, avocate spécialisée en droit bancaire et financier, décrypte ce mot qui a fait la une des médias depuis quelques jours à cause d’une affaire relevant d’un imbroglio politique, en l’occurrence la mort non élucidée d’un agent du MSM, Soopramanien Kistnen. L’avocate, formée à l’anglaise dans les universités de Londres et du Pays de Galles, a été admise au barreau de l’Honourable Society of the Inner Temple avant de rentrer au pays pour exercer notamment à la Banque de Maurice. Entre ses études à l’Université de Technologie où elle prépare un MSc en finances, la mise en place d’une compagnie et ses engagements professionnels, Reena Kangloo a trouvé le temps de s’exprimer sur la transparence, le financement des partis politiques… car elle est aussi membre du conseil de Transparency Mauritius.

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l Pour nos lecteurs qui suivent de près les « révélations » de Vishal Shibchurn (en prison) sur le meurtre non résolu de Soopramanien Kistnen, pouvez-vous leur donner un éclairage sur la valeur juridique d’un affidavit ?

Lorsqu’une personne doit se présenter en Cour pour attester et confirmer ses informations, elle peut, sous serment solennel devant un officier de justice assermenté, faire rédiger ce qu’elle affirme dans un affidavit, lequel est un document à valeur juridique. Tout comme dans le cas que vous mentionnez, lorsqu’une personne ne peut se présenter en Cour, c’est un avoué qui va rédiger son affidavit. Par contre, il y a des cas de parjure, c’est-à-dire quand une personne ment sous serment dans un affidavit, ce qui constitue un délit grave entraînant une poursuite sous la charge de «Swearing false Affidavit» avec emprisonnement. Cependant, si un affidavit comprend des erreurs de frappe portant sur les dates et noms, la loi à Maurice a fait provision pour y apporter des corrections. Ces erreurs ne remettent nullement en question le contenu essentiel ou la véracité de l’affidavit. Il y a des situations, comme celle de l’affidavit de Vishal Shibchurn, où il reviendra à la police d’enquêter pour vérifier la véracité de ses affirmations. Seule la police, et personne d’autre, peut enquêter sur le contenu d’un affidavit pour déterminer s’il est vrai ou non. Mais la plupart du temps, connaissant les implications graves d’un parjure, les gens réfléchissent à deux fois avant de mentir sous serment.

l Vu le climat actuel, on ne peut pas dire que les Mauriciens ont une confiance aveugle dans les institutions, dont la police. Que faire pour rétablir une confiance ébranlée par tant de scandales qui les éclaboussent ?

D’abord, je suis convaincue qu’il y a des professionnels compétents et intègres dans chacune de nos institutions. Ce n’est pas parce qu’il y a eu des dérapages ou des scandales dans un système que tous ceux qui s’y trouvent sont impliqués et incompétents. Mon métier me donne l’occasion de rencontrer des policiers honnêtes et dignes de leur travail. C’est vrai qu’il y a des cas d’abus, etc., qui peuvent entraîner une perte de confiance du public. Mais il nous faut croire en la démocratie. Les enquêtes policières ne s’arrêtent pas à la police. Il y a la phase de la justice, car la finalité d’une enquête arrive toujours en Cour. Et le judiciaire est une institution indépendante. Cela dit, pour que nos institutions nous inspirent plus de confiance, il est nécessaire qu’il y ait des personnes indépendantes à leur tête, y compris un mécanisme qui veille à cela afin que le travail accompli soit dans l’intérêt des Mauriciens et non autrement. Ce qui n’est pas le cas à Maurice. Ici, la plupart des institutions sont politisées et c’est cette pratique qui, malheureusement, déconstruit la confiance du public. Nos institutions doivent fonctionner pleinement et en toute indépendance. Une situation de « State capture » est nocive à une démocratie qui aspire à la transparence.

l Vous êtes aussi membre du conseil de Transparency Mauritius. Cet organisme a un rôle à jouer dans le rétablissement de la confiance des Mauriciens dans les institutions de l’État. Quelle est votre opinion? 

Je précise quand même que cela ne fait que quelques mois seulement que je suis à Transparency Mauritius. Si outiller les acteurs de l’État à travers des formations pour que la transparence prévale sur l’opacité fait partie de notre mission, nous avons aussi le devoir de sensibiliser le public sur les mêmes thématiques. Nous sommes financés par l’Union européenne pour cela. C’est par souci de confiance que nous permettons au public de dénoncer des cas de corruption, de trafic d’influence, de mauvaises pratiques, etc., dans un cadre où la protection de son identité est assurée. C’est notre devoir de lui offrir une telle plateforme. Même si je ne dispose pas de données chiffrées au moment où je vous parle, je peux vous dire que nous recevons un certain nombre de lanceurs d’alerte dont les dénonciations font l’objet d’une enquête. D’autre part, nous avons actuellement des campagnes d’information et de sensibilisation destinées au grand public, inscrites sur notre agenda. Nous repensons notre visibilité dans une démarche proactive.

l Restons dans les paramètres de la transparence. Le projet de loi sur le financement des partis politiques n’a pas été voté. Est-ce une occasion ratée ?

Cette loi aurait été idéale comme rempart contre la corruption. Nous savons tous que de grosses compagnies du secteur privé financent les partis politiques. Mais est-ce que cette pratique est politiquement correcte ? Je ne pense pas, d’autant qu’il n’y a aucune loi qui la réglemente. Malgré le fait que nous avons une Constitution, la Representation of People’s Act, un Code of Conduct implémenté par le bureau électoral, il est un fait que l’absence d’une loi spécifique sur le financement des partis politiques est une mauvaise chose. N’oublions pas les polémiques comme la source du financement du Sun Trust Building et la provenance de l’argent qui se trouvait dans un certain coffre-fort ! Peut-on dire que le fait que l’Assemblée nationale n’a pas voté le Political Financing Bill est une occasion ratée, je ne sais pas. Mais ce qui est à retenir, c’est qu’un tel projet de loi doit faire consensus au Parlement pour refléter celui de la population dans son ensemble. Par ailleurs, ce projet de loi est intrinsèquement lié à la question de la réforme électorale à Maurice. Il est probablement l’heure que nous passions à la représentation proportionnelle, comme à Rodrigues !

l Vous intéressez-vous à la question paritaire en politique ?

Certainement. En tant que femme, cette question m’interpelle. Si seulement nous avions, à l’instar du système français, une loi dite sur « la parité » qui oblige les partis politiques à présenter un nombre égal d’hommes et de femmes lors des scrutins ! Lor swasant siez parlmanter dan Moris, ti bizin ena enn distribision ekitab 30:30. Au fil des décennies, et ce, découlant des combats menés par des Mauriciennes, la représentativité féminine a évolué dans différents secteurs, y compris le judiciaire. Si on adopte une logique basée sur la démographie, les femmes devraient être plus nombreuses que les hommes en politique (rires). Mais cela n’est qu’une théorie! À l’approche des élections, je trouve que les partis politiques devraient aligner une candidate, voire deux, dans chaque circonscription. En revanche, proposer trois candidatures exclusivement masculines ne reflète pas de manière appropriée l’électorat.

l Quelle est votre lecture sur la maîtrise insuffisante des langues anglaises et françaises, les lacunes en analyse critique et la capacité à plaider des aspirants avocats aux examens du barreau (source: rapport des examinateurs du Council for Vocational and Legal Education) ?

Je ne vais certainement pas remettre en question les observations du conseil. Toutefois, puisqu’on parle de lacunes, il faut maintenant apporter des corrections. Les avocats qui ont fait leurs études à l’étranger rentrent au pays avec une assurance qui relève de leur formation. Leur formation les a forgés pour la pratique. À Maurice, malgré notre bilinguisme, voire trilinguisme, on ne maîtrise pas mieux une langue que l’autre ! Il faudra se pencher sur l’apprentissage des langues à l’école. L’enseignement dans nos écoles a beau être en anglais, mais quand je me suis rendue en Angleterre où j’ai étudié, j’ai déchanté au début de ma première année (rires) ! Le système éducatif étant basé sur la compétition, l’école ne développe pas l’esprit d’analyse de nos jeunes. À Maurice, la formation des avocats est encore académique. En Angleterre, pendant mes études, nous étions mis en situation où nous devions interagir avec des juges, des magistrats, des seniors du barreau, de toutes les nationalités. Cette exposition nous a permis d’affûter notre capacité à discuter sans inhibitions, sans sentiment de complexe d’infériorité… Cette immersion est cruciale pour l’aspirant avocat qui va présenter sa plaidoirie lors de son examen. C’est triste de voir un jeune avocat qui débute ne pas pouvoir s’exprimer en Cour comme le ferait son confrère ou sa consœur formé(e) à l’étranger. L’Institute of Judicial and Legal Studies donne des formations, mais ce rapport vient nous rappeler qu’il est sans doute temps d’introduire un système de « Inns of Court » à Maurice.

 Sabrina Quirin

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