Dr Vasantrao Gujadhur : « La situation sanitaire post-Covid est toujours inquiétante »

Notre invité de ce dimanche est le Dr Vasantrao Gujadhur, ancien responsable de la Santé, qui s’est fait connaître pour son franc-parler pendant la période de confinement due au Covid-19. Dans l’interview qu’il nous a accordée vendredi, il revient d’abord sur la grève de la faim de Nishal Joyram, dont il a été le consultant médical. Dans la seconde partie de l’interview, le Dr Gujadhur souligne que le Covid est toujours présent à Maurice et qu’il est indispensable de prendre les précautions nécessaires pour y faire face.

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l Après avoir été très actif, et surtout très écouté, pendant la pandémie de Covid, vous avez disparu dans la nature. Où étiez-vous passé, Dr Gujadhur ?

— J’ai été très actif pendant le Covid en donnant au public les informations que le gouvernement ne voulait pas communiquer. Je suis toujours là, à essayer d’aider autour de moi, de faire profiter aux autres de mes connaissances et de mon expérience dans le domaine de la santé. Je suis moins visible depuis qu’on a levé les restrictions prises pour lutter contre le Covid. On n’en parle plus beaucoup, on ne tient pas le public informé de la situation, on le laisse croire que l’épidémie est vaincue, que le danger est écarté. Ce n’est pas vrai…

l Nous aurons l’occasion de reparler du Covid plus tard au cours de l’interview. Mais avant, dites-nous comment vous êtes devenu le médecin traitant de Nishal Joyram, le citoyen mauricien qui avait entamé une grève de la faim pour demander une baisse des prix des produits pétroliers ? Prix qui ont baissé au niveau mondial, mais qui n’ont pas été répercutés à Maurice…

— Je ne connaissais pas Nishal Joyram et je ne l’avais jamais rencontré. Je l’avais entendu faire une déclaration pour expliquer ce qu’il allait faire et puis il a commencé sa grève de la faim, et le deuxième jour, je suis allé le voir devant la cathédrale. Je suis revenu lui rendre visite le lendemain et là nous avons eu l’occasion de dialoguer, et il m’a expliqué le sens de sa démarche. C’est un éducateur qui a une vie confortable et qui est touché par la souffrance des Mauriciens au bas de l’échelle sociale. Il veut pouvoir donner un coup de main, essayer d’améliorer un peu le sort de ses compatriotes et a pensé qu’il fallait faire une action en ce sens. Il a choisi la question du prix, très élevé, de l’essence à cause des taxes gouvernementales qui touchent tous les Mauriciens. Son combat n’est pas politique, c’est une revendication sociale qui concerne l’ensemble des Mauriciens, c’est un combat que j’approuve et j’ai décidé de lui donner un coup de main sur le plan médical. Je suis allé le voir tous les jours pour faire son suivi en vérifiant ses paramètres médicaux.

l Un gréviste de la faim a-t-il besoin d’un suivi médical ?

— Il le faut. À partir du cinquième jour de grève, il a commencé à se sentir mal et on a dû faire venir le SAMU qui a fait un examen et a conclu que Nishal était déshydraté, qu’il fallait lui administrer un sérum et le faire admettre à l’hôpital, ce que le gréviste a refusé. Suite à ça, il y a eu des palabres: Il n’y a pas d’autre mot, pour tenter de décrédibiliser la grève de la faim de Nishal Joyram. Un directeur du SAMU s’est même permis d’aller à la MBC, qui ne couvrait pas la grève de la faim, pour faire une déclaration. Il a déclaré qu’un gréviste de la faim ne pouvait pas tenir plus de cinq jours.

l C’était visiblement une tentative de mettre en doute l’action du gréviste…

— C’est ce que tout le monde a compris. Ce directeur s’est bien gardé de dire qu’il existe deux types de grèves de la faim. La première est une grève totale sans boire et sans manger, et une deuxième où on boit beaucoup d’eau et on ne se dépense pas physiquement. Ce type de grève peut durer trois à quatre semaines, et il y a eu des cas à Maurice dans le passé, ce que semble ignorer ce directeur du SAMU ! On a accusé Joyram d’avoir politisé son action qui était une protestation, mais que dire alors du comportement de ce directeur dont il me semble que le travail n’est pas d’aller faire des déclarations à la MBC !

Il y a eu mieux, si on peut dire. Le Premier ministre n’a pas manqué de faire des commentaires sur la grève et le gréviste…

— Lors d’une fête de fin d’année dans un régional du MSM à Port-Louis, où il y avait à boire et à manger, le Premier ministre a déclaré que quelqu’un était en train de faire une grève de la faim et voulait casser un record dans le Guinness Book ! Il a ajouté que l’opposition soutenait le mouvement et que c’était une action démagogique. Qui a politisé la grève : Joyram ou le Premier ministre, qui a fait la déclaration que je viens de vous rapporter, sans doute entre deux bouchées de briani ? J’aimerais aussi dire qu’en parlant des membres de l’opposition, qui en soutenant Joyram ont fait de la démagogie, il semble avoir la mémoire courte. Il a oublié que quand il était dans l’opposition, il est allé visiter, avec des membres du MSM, au moins deux grévistes de la faim ! À ce moment-là, il n’était pas question de démagogie !

l Pour quelle raison est-ce que Nishal Joyram a décidé de mettre fin à la grève, mercredi dernier ?

— Il était de plus en plus fatigué, faible et sa tension commençait à baisser. Mais il était encouragé par les visites de soutien qu’il a reçues. Il faut savoir qu’il a reçu une moyenne de 500 visites par jour et que parmi il y avait des gens simples, mais aussi des personnalités, dont le cardinal Maurice Piat. Beaucoup de ces visiteurs lui ont demandé de mettre fin à son action, de penser à sa famille, de ne pas jouer avec sa santé. Suite aux déclarations du Premier ministre, il s’est senti tellement mal que j’ai demandé qu’il soit admis en clinique. Le lendemain, c’est lui qui a décidé de mettre fin à la grève.

l Est-ce qu’il faut considérer la fin de cette grève comme une défaite pour Nishal Joyram et son action ?

— Absolument pas ! Parce qu’il a réussi à conscientiser la population sur le prix élevé des produits pétroliers à Maurice. À partir du cinquième jour de grève, comme je vous l’ai dit, il recevait quotidiennement 500 visites. Des milliers de Mauriciens ont participé à la marche qu’il avait organisée à Port-Louis, des milliers d’autres l’on soutenu sur les réseaux sociaux. Des centaines de Mauriciens ont allumé leurs phares en plein jour en signe de soutien de son action, une action qui a été couverte non seulement par la presse locale et régionale, mais aussi par la presse internationale. Nous savions que le gouvernement n’allait pas céder, ne pouvait pas céder, parce que les caisses de la STC sont vides et que les taxes sur les produits pétroliers sont un de ses principaux revenus. Comme l’a dit, avec raison, un politicien, les taxes sur l’essence sont la vache à lait du gouvernement en termes de revenus. Il est regrettable que le PM et les membres du gouvernement n’aient pas eu un geste, une parole pour Nishal Joyram. Ils auraient pu dire : la situation économique ne nous permet pas de baisser le prix, nous le ferons dès que possible. Ils ne l’ont pas fait, parce que pour eux le terme “caring government” n’est qu’un slogan.

l Comment se porte l’ex-gréviste de la faim trois jours après avoir mis fin à son action ?

— Je lui ai parlé hier et il m’a envoyé un message aujourd’hui. Il commence à récupérer, suit un régime de light diet et de vitamines. Je pense que d’ici quelques jours, il ira mieux. Je peux vous dire qu’il a bon moral et que, comme il l’a déjà dit, il va continuer le combat sous d’autres formes pour que le gouvernement baisse le prix des produits pétroliers. Je voudrais souligner que Nishal Joyram a eu le courage d’entamer une action publique dans une société qui a, de plus en plus, peur de prendre position, de montrer son mécontentement à cause de possibles représailles. Il a eu le courage de dire tout haut ce que la majorité des Mauriciens pensent tout bas, et cela doit être salué.

l Arrivons-en au Covid 19. Dans le monde entier le nombre de cas est en augmentation et certains pays redoublent de mesures de précaution. En France, par exemple, le port du masque dans les transports publics est recommandé. À Maurice, on a le sentiment que le Covid a été vaincu, que tout cela est loin derrière nous…

— C’est terrible ce que le gouvernement est en train de faire dans le domaine de la santé, plus particulièrement en ce qui concerne le Covid. Le nombre de cas de Covid est en augmentation et le gouvernement ne communique pas, ou partiellement, sur le sujet. En octobre, il y avait plus de 900 cas répertoriés dans les hôpitaux. Il faut doubler ce chiffre par les malades qui vont dans les cliniques et au moins le tripler par ceux qui font de l’automédication et ceux qui, malades, ne le déclarent pas pour pouvoir continuer à travailler. Je parle des self-employed qui en ce faisant répandent l’épidémie sans le savoir.

l Êtes-vous en train de dire que l’épidémie est toujours là, latente, et qu’une vague pourrait surgir ?

— Le problème c’est que, comme le gouvernement, les Mauriciens pensent que nous sommes sortis de la crise sanitaire et que l’on n’a plus besoin de prendre les précautions nécessaires. Les pharmacies vendent beaucoup de kits pour détecter le Covid, ce qui est une indication de la propagation de la maladie. Le nombre de morts chez les personnes âgées continue d’augmenter, mais on laisse croire que c’est dû aux comorbidités, aux maladies dont elles sont atteintes, alors qu’il est possible que ce soit le Covid qui ait aggravé ces cas. Mais on ne le révèle pas, pour avoir des statistiques clean qui permettent de dire que le gouvernement a vaincu la pandémie.

l La situation sanitaire post-Covid est-elle inquiétante, selon vous ?

— Elle l’est définitivement et il faut s’en préoccuper. Le positivy rate du Covid est, selon les chiffres du gouvernement, de 20%. Ce qui veut dire que la community transmission est élevée, comme le risque de contracter la maladie.

l Certains disent que le Mauricien a fini par s’adapter au virus, qui a perdu de sa virulence…

— Il faut savoir qu’effectivement, à force de mutations; le virus du Covid a diminué de force. Mais le Covid reste dangereux parce que (i) il est toujours classé par l’OMS comme une pandémie et (ii) el a un taux de mortalité très fort comme (iii) son taux de reproduction. Il y a un risque qu’une des mutations du virus soit très dangereuse. À Maurice, au lieu de maintenir les précautions et d’informer sur les possibles dangers, on fait le contraire. Le premier protocole sanitaire a été établi en juillet, alors qu’on avait une moyenne de plus de 200 cas par jour, et obligeait le port du masque dans les transports et certains bâtiments publics. Je regrette qu’on n’ait pas inclus dans la liste les espaces fermés comme les malls, les supermarchés et les bazars. En novembre, alors qu’on avait un positivy rate de 20%, on a enlevé l’obligation du masque dans les transports publics qui, comme tout le monde le sait, ressemblent à des boîtes de sardines où l’on entasse les passagers. Ce qui en fait un endroit où il est facile de partager et d’attraper le virus.

l Mais le fait que l’on ne pratique plus de tests sanitaires à l’aéroport n’est-il pas une indication que, comme le disait le ministre du Tourisme, « Mauritius is Covid-free » ?

— Est-ce que les autorités pratiquent une surveillance sanitaire, font des random tests parmi les passagers qui arrivent à Maurice ? La réponse est non. Mais les séquençages du ministère de la Santé, qui prétend qu’il n’existe pas d’« imported cases » de la maladie, révèlent toutefois que des Mauriciens ont été infectés par des variants du virus qui n’existaient pas à Maurice comme ceux découverts en Inde, en Australie, en Europe et aux États-Unis. Comment est-ce que ces Mauriciens ont été infectés sinon par des contacts avec des étrangers, qui ne sont pas testés lors de leur arrivée à Maurice ? On est sorti de longs tests qui bloquaient les passagers arrivant à l’aéroport pendant des heures pour un système de zéro test. Aujourd’hui, les passagers entrent plus facilement et plus rapidement à Maurice, les variants du virus aussi.

l Vous êtes pour un retour au dépistage systématique à l’aéroport ?

— Je ne dis pas qu’il faut recommencer les tests systématiques, mais que des random tests doivent être faits pour, tout d’abord, respecter les normes de l’OMS, et pour obtenir des informations fiables sur la situation sanitaire. Il est impératif de rester prudent et de prendre des précautions. Je sais que ce discours ne sera pas entendu en cette fin d’année où, malgré les difficultés économiques, une ambiance de fête commence à s’installer dans le pays. Les gens ont plus envie de s’amuser que d’écouter parler de protocole sanitaire, mais si nous ne prenons pas les précautions nécessaires, nous risquons de le payer très cher plus tard. Mais si nous prenons les précautions, si nous faisons attention, même si nous avons à subir de nouvelles vagues, nous résisterons mieux.

l Quelles sont les précautions que vous préconisez : le port du masque, la vaccination ?

— Il faut bien faire comprendre aux Mauriciens que vivre avec le Covid, ce n’est pas faire comme s’il n’existait pas ou avait disparu. Le gouvernement avance que depuis janvier 2020, il n’y a eu que 41 175 cas de Covid à Maurice, alors que l’OMS avance
281 163 cas confirmés. Sans commentaires ! Pour lutter contre la pandémie, pour engager la population dans le combat, il faut une politique de vérité. Il faut que l’information soit donnée au lieu d’être cachée. Quand les chiffres ne sont pas donnés, cela permet le doute, les mauvaises interprétations, la méfiance. Nous sommes encore dans une pandémie parce qu’il n’y a pas eu un partage équitable de vaccins à travers le monde. Jusqu’aujourd’hui, il y a des pays qui n’ont pas de vaccins, ne disposent pas d’antiviraux et les gens ont recommencé à voyager. On n’a pas encore réussi à mettre au point un vaccin qui peut stopper le virus, le détruire. Les vaccins qui existent peuvent diminuer la transmission de la maladie et sa sévérité, mais pas la stopper définitivement. Pour le moment, on travaille sur un vaccin qui sera capable non seulement de stopper le virus, mais serait également efficace contre ses variants. Mais même si les recherches avancent, on ne l’a pas encore mis au point.

l Et malgré ce que vous venez de dire, vous recommandez la vaccination ?

— Il faut faire avec ce que l’on a. Avec notre fort taux de vaccination, il existe une certaine dose d’immunité dans la population. C’est un avantage certain, mais il faut continuer à se protéger, à surveiller de près la situation afin de pouvoir prendre les décisions qui s’imposent et éviter l’amateurisme qu’on a connu au début de pandémie. Beaucoup de Mauriciens se posent des questions sur les vaccins et leurs date d’expiration, mais c’est un moyen de protection, surtout pour les plus âgés. Je recommande aux personnes de plus de 65 ans de faire la quatrième dose de vaccin, de continuer à prendre des précautions et à ne sortir de chez elles qu’en cas de besoin. Je recommande également le port du masque, surtout dans les transports et les lieux publics. En ce qui concerne les plus jeunes, s’ils sont infectés, ils doivent rester chez eux pendant cinq jours, se soigner et surtout éviter de passer le virus à leur entourage en prenant les précautions nécessaires.

l Y a-t-il un sujet que vous souhaitez aborder avant qu’on ne vous pose la dernière question de cette interview ?

— Il y a en fait deux sujets qui me préoccupent. À Maurice, les jeunes mariés habitent de plus en plus chez leurs parents, à l’étage ou dans une chambre, parce qu’ils ne disposent pas, malgré leurs deux salaires, de moyens financiers pour acheter ou même louer une maison. En même temps, le gouvernement est en train de prôner une politique de natalité en demandant aux jeunes de faire des enfants en ouvrant des fertility clinics dans les hôpitaux. Mais nous n’avons pas à faire face à un problème de fertilité, mais à celui de comment faire pour s’occuper d’un enfant pour un jeune couple. Aujourd’hui, les deux travaillent et ils n’ont personne pour s’occuper de leurs enfants pendant la journée. Il n’existe pas suffisamment de garderies avec un personnel formé et un prix accessible pour cela. Face à cette situation, les jeunes couples choisissent de ne pas avoir d’enfant. Il ne s’agit pas d’un problème de fertilité, mais de l’absence de politique d’accompagnement pour encourager la natalité.

l Quel est l’autre sujet qui vous préoccupe ?

— Je passe des enfants au troisième âge. Notre population est en train de vieillir et selon certains calculs, en 2050, le nombre de personnes ayant plus de 65 ans aura triplé à Maurice et il faudra davantage d’aides sociales et médicales pour elles. Est-ce qu’on est en train de réfléchir sur le nombre de homes modernes, bien équipés, avec un personnel formé, dont le pays aura besoin ? Aujourd’hui, la plupart des couples travaillent et ne peuvent s’occuper pendant la journée de leurs parents qui vivent avec eux. Est-ce qu’on a réfléchi sur les day care centres, avec un personnel formé, qu’il faudra pour ces parents dont les enfants travaillent pendant la journée ?

l Voici la dernière question : est-ce que vous allez faire de la politique active, comme certains le souhaitent ?

— Je suis toujours dans le social, où je fais ce que je dois et ce que je sais faire. On peut servir son pays de différentes façons. Si demain je pense que pour le faire il faut entrer dans la politique active, je le ferai.

C’est ce qui s’appelle une bonne réponse politique, Dr Gujadhur !

 

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