Quatre hôtesses enceintes voient leur salaire réduit davantage que leurs collègues parce que la compagnie n’a pas de bureau pour qu’elles travaillent normalement
Rien ne va vraiment plus à Air Mauritius. La compagnie aérienne nationale est maintenant pointée du doigt par quatre hôtesses de l’air « en voie de famille » pour discrimination contre les femmes enceintes. La raison est que la compagnie a, contre toute logique, réduit leurs salaires davantage que leurs autres collègues occupant la même fonction. Elles ont subi la réduction dure de leur salaire de 50% in toto, alors que les autres employés de la compagnie ont vu leurs baisses de salaire plafonner jusqu’à un seuil de Rs 25,000. Pourquoi une telle outrance ? La compagnie ne peut trouver des bureaux pour les accommoder alors qu’elles sont prêtes, comme toutes les autres femmes enceintes du pays, à travailler jusqu’au dernier jour. L’inquiétude est d’autant plus grande qu’elles soupçonnent un piège, le dernier « move » de la compagnie, à leur encontre, de considérer éventuellement leurs 22 jours de travail normal comme du part-time. Tout cela débouche sur un stress incompatible avec leurs conditions de femmes enceintes, d’autant que dans les conditions précaires où elles se trouvent, elles ne peuvent plus assurer le suivi médical de leur état, ce qui n’est pas idéal pour l’arrivée au monde de leur enfant tant souhaité. Week-End a rencontré certaines d’entre elles. Le récit est édifiant.
Il y a sept mois, en dépit des violentes secousses qui touchaient son entreprise, Mira (prénom fictif) était heureuse. Même le fait que son mari, employé du secteur touristique, était sans emploi depuis quatre mois presque, ne pouvait gâcher sa joie. Certes, les temps étaient difficiles avec un seul salaire, le sien, à la maison. Mais ce qui rendait heureuse cette hôtesse de l’air de plus de 15 ans de service chez Air Mauritius, c’est la bonne nouvelle qu’elle avait apprise : elle était enceinte. Ni Covid ni confinement et encore moins les secousses au sein de la compagnie d’aviation nationale ne pouvaient ternir sa joie de devenir bientôt maman.
Et c’est avec enthousiasme qu’avec son mari, elle commença à préparer l’arrivée de leur premier bébé. Faut dire que la nouvelle maison que le couple venait de faire construire se prêtait à l’arrivée d’un nouveau-né. Conscient que pour mener une vie confortable, du fait que seul l’un des deux époux travaillait, il devra faire quelques concessions, le couple était confiant d’y parvenir. Cela, malgré la mise sous administration volontaire d’Air Mauritius en avril. Car, même si inquiète de l’avenir de la compagnie pour laquelle elle travaillait, l’hôtesse de l’air restait positive, estimant que si la situation financière de son couple était précaire, grâce à son salaire réduit, son mari et elle pourraient joindre les deux bouts et même préparer dignement l’arrivée de leur premier bébé.
Le coup de massue d’une baisse de 50% sans conditions
Une positivité qu’elle affichait, même avec la décision durant le confinement de contraindre les employés d’Air Mauritius à une réduction jusqu’à un seuil de Rs 25,000. Mais c’était sans compter sur l’étonnant couperet qui lui tomba sur la tête trois mois plus tard. En effet, Mira – comme trois autres de ses collègues hôtesses, également enceintes – a été informée par courrier qu’en raison de son état de mère en devenir et des circonstances touchant l’entreprise, il était impossible, comme cela aurait dû être le cas, de la placer dans un bureau. Pire, en conséquence, elle fut – comme pour les trois autres – informée qu’elle serait payée 50% de son salaire de base à compter d’août 2020 jusqu’à son accouchement, c’est-à-dire en dessous du seuil des Rs 25,000, comme promis à tous les autres employés. Un véritable coup de massue pour l’hôtesse de l’air qui se retrouve, du jour au lendemain, avec presque le salaire minimum, après déduction des 50% et autres frais de pension, de cotisation pour la retraite, d’assurances, etc. « C’était un grand choc! Surtout que mon mari ne travaille pas en ce moment et que nous avons des dettes, dont des prêts bancaires que nous avons contractés pour construire notre maison », dit Mira. Une situation de stress qui l’a conduite à l’hôpital, ajoute-t-elle, indiquant que cette réduction de salaire drastique, inattendue, a chamboulé toute sa vie.
« Alors que j’étais heureuse de préparer l’arrivée de mon premier enfant, aujourd’hui, je ne peux même pas y penser, car nous sommes en mode survie dans notre couple », ajoute-elle, d’une voix angoissée. Certes, elle a pu obtenir un moratoire avec les banques pour le remboursement des prêts bancaires contractés pour la construction de sa maison. Mais le moratoire expire en novembre prochain. « Et il y a d’autres dettes. Auparavant, avec mon salaire, nous pouvions payer nos dettes. Mais aujourd’hui, c’est à peine si nous pouvons faire quelques courses pour manger », déplore-t-elle. Depuis cette réduction de salaire, elle doit compter sur le soutien de ses proches pour pouvoir continuer à vivre décemment, dit-elle. « Ce n’est pas comme-ci mon mari voulait rester à la maison. Avec la situation dans le pays, il ne trouve pas d’emploi. Et on ne sait pas jusqu’à quand cette situation durera. Entre-temps, je suis à bout et ma grossesse est de plus en plus difficile à cause du stress », explique l’hôtesse de l’air.
Le manque d’humanité des dirigeants de MK
Si cette situation financière difficile perturbe son quotidien, ce qui offusque Mira, comme ses trois autres collègues enceintes, également touchées par une réduction de salaire de 50%, c’est « le manque d’égard et de compassion humaine de la compagnie envers leur condition de femme enceinte. » D’autant que selon les informations obtenues, elles seraient les seules à avoir subi cette réduction de salaire. « Toutes nos autres collègues, même celles qui sont sur contrat, n’ont pas vu une réduction de salaire au-dessus d’un seuil de Rs 25,000. Ce n’est pas juste que cette politique s’applique à quatre femmes enceintes seulement », dit-elle.
Concédant être au courant que toute hôtesse qui est enceinte est « grounded » après trois mois et ainsi postée dans un bureau, Mira fait ressortir que « ce n’est pas de ma faute si MK n’a pas de place dans un bureau pour moi. Je suis disposée à travailler et à aller là où il y aurait un poste pour moi, mais c’est de la discrimination que de nous faire rester à la maison et ensuite dire qu’on coupe notre salaire de 50% brut, ce qui fait que je me retrouve aujourd’hui avec, au final, un tiers de mon salaire en main, soit quelque Rs 10,000. »
Propos repris par Krystel (prénom fictif), autre hôtesse de l’air enceinte de 5 mois, touchée elle aussi par cette réduction de salaire de 50% pas plafonné comme pour les autres employés. Comptant plus de 10 ans de service comme hôtesse de l’air au sein de la compagnie d’aviation nationale, Krystel, déjà maman, se retrouve aujourd’hui avec un salaire de moins de Rs 10,000 mensuellement, depuis le mois d’août. Une situation financière précaire pour sa famille, avec le salaire de son époux qui est lui absorbé totalement par des prêts bancaires pour la construction de leur maison. Avec déjà deux enfants à élever, Krystel vit quotidiennement dans l’angoisse car avec les dettes et autres dépenses normales dans une famille avec des enfants, incluant les frais scolaires, il est impossible de joindre les deux bouts. Une situation stressante qui l’a conduite elle aussi à être admise récemment en clinique. « Chaque jour qui passe, il nous faut compter les sous pour chaque petite chose qu’il y a à faire. Depuis la Covid et avec la mise sous administration de MK, nous avons revu notre mode de vie, sachant que nous allions être touchés par des baisses salariales. Mais jamais je n’aurais imaginé que je toucherai moins d’un tiers de mon salaire. Et cela, parce que je suis enceinte », dit Krystel.
« On ne peut être pénalisé parce qu’on est enceinte »
En effet, comme ses autres collègues enceintes, Krystel estime être victime de discrimination. « Nos autres collègues, dont celles qui ne sont pas enceintes, ne sont pas touchés par une réduction de salaire aussi drastique. Personne ne touche moins de Rs 25,000. Comment se fait-il que dans notre cas, nous ne touchons qu’un tiers, et encore moins d’un tiers, de notre salaire? Est-ce le fait que nous soyons enceintes et qu’on ne trouve pas un bureau pour nous placer? C’est pas nous qui avons demandé cette situation. Nous, nous sommes disposées à travailler. Dans un autre métier, les femmes enceintes travaillent jusqu’au dernier jour. Dans notre cas, ce sont les circonstances qui font que nous sommes à la maison. Le fait d’être enceinte ne doit pas changer les choses et ainsi nous pénaliser », dit-elle, amère.
Plus récemment encore, alors que les employés de MK ont été avisés qu’au vu de la situation, ils étaient désormais placés sur un régime de travail à temps partiel, soit entre 11 et 22 jours, les quatre hôtesses de l’air enceintes ont, elles aussi, reçu la même lettre les informant qu’elles étaient employées à temps partiel pour 22 jours mensuellement. Ce qui fait tiquer ces dames qui s’interrogent sur le terme du travail à temps partiel, du fait que, selon la loi, 22 jours de travail signifient un travail à temps plein. « Une fois qu’on aura un bureau pour travailler, est-ce que cela signifiera que nous toucherons toujours injustement la moitié de notre salaire pour 22 jours de travail supposé à temps partiel, mais qui est en réalité un travail à temps plein, selon les lois? », se demandent-elles.
Le problème de l’assurance santé
Dans leur situation, Mira et Krystel sont d’autant plus inquiètes car même si elles ont souscrit à la police d’assurance médicale de leur compagnie, « nous aurons à débourser une grosse somme de notre poche si nous accouchons dans le privé. » Et depuis le mois d’août, elles se voient contraintes, surtout avec des ennuis de santé provoqués par le stress de leur situation financière précaire, de poursuivre leur consultation dans le service public. « Ce n’est pas qu’on rejette le service public, mais nous payons une assurance qui ne financera pas la totalité des frais d’accouchement à la clinique. Il faudra débourser des milliers de notre poche. Des milliers que nous pensions pouvoir combler avec notre salaire habituel. Mais avec ce que nous contraint la compagnie, nous ne pouvons même pas nous permettre d’aller voir notre gynécologue dans le privé. Alors, comment imaginer accoucher en clinique? Où trouverons-nous l’argent additionnel? », font-elles ressortir.
Face à cette situation, avec le soutien du syndicat, l’Air Mauritius Cabin Crew Association (AMCCA), elles ont porté plainte auprès de l’Equal Opportunities Commission (EOC). L’affaire a aussi été soulevée par l’AMCCA lors de la rencontre du syndicat avec les administrateurs, jeudi dernier. « Cette situation est discriminatoire. On ne peut pas avoir un traitement de deux poids deux mesures lorsqu’on est enceinte. D’où le recours à l’EOC », a fait ressortir la présidente de l’AMCCA, Yogita Babboo. «Ce qui choque aussi, dit-elle, c’est la dernière lettre envoyée aux employés de MK, les informant qu’ils passaient désormais à temps partiel pour une durée de travail de 11 à 22 jours par mois, en fonction des postes. « Dans le cas de ces quatre femmes enceintes, d’une part, leur salaire a été réduit de 50% et d’autre part, aujourd’hui, elles sont informées qu’elles sont placées sur un régime de travail à temps partiel pour 22 jours. Or, 22 jours, selon les lois, équivaut à un mois de travail. Que se passera-t-il une fois la reprise des activités normales chez Air Mauritius? Est-ce que le salaire de ces dames, réduit de 50%, restera le même pour les 22 jours de travail normal qu’elles effectueront lorsque les bureaux rouvriront? », demande le syndicat.
Si, lors de la dernière réunion avec l’AMCCA, les administrateurs ont avancé que toute cette anomalie sera reconsidérée, aucun engagement n’a, toutefois, été pris. L’AMCCA espère que la situation de ces femmes enceintes sera revue au plus vite, car « il s’agit non seulement de mettre un frein à toute forme de discrimination, mais aussi et surtout il y va de la santé mentale et physique de ces femmes enceintes, ce qui pourrait influer négativement sur le reste de la grossesse. » Ces quatre hôtesses ne demandent qu’à retrouver leurs droits et le respect nécessaire pour accueillir leur bébé dans de bonnes conditions, celles auxquelles ces nouveaux venus dans le monde ont comme droit fondamental!