Des réalités électorales

Les prochaines élections seront peut-être les plus importantes depuis l’indépendance, mais elles seront organisées sur le modèle en cours depuis 1967. Donc, pour « la rupture avec les pratiques du passé » dit et répété sur tous les tons, il faudra repasser. On en reparlera après les élections. On ne fera qu’en parler puisqu’il est de notoriété qu’aucun des « grands partis » ou alliance n’entend remettre en question le système électoral actuel. Un système qui leur a permis de se hisser dans le giron du pouvoir – que ce soit au gouvernement ou dans l’opposition ou, alternativement, grâce au jeu des alliances – au cours des dernières années. Quand ils sont dans l’opposition, ils jurent leurs grands dieux qu’il n’est pas possible au 21e siècle de continuer avec cette loi électorale dépassée qui entretient le communalisme avec le système du best loser. Mais quand il s’agit de trouver un système alternatif, tous s’arrangent pour que les propositions soient impossibles à accepter pour les uns et les autres. Ce qui fait qu’en attendant un consensus impossible à trouver, on va continuer à utiliser le même système pour les prochaines élections. Et possiblement pour les suivantes.
La majeure partie des leaders et des politiciens se disent farouchement – en public – contre le communalisme, « ce cancer qui ronge la société mauricienne », qui empêche l’avènement du « mauricianisme et du vivre-ensemble ». Mais quand il s’agit de choisir les candidats pour une élection, les belles paroles s’envolent et ne restent que ce que Pravind Jugnauth avait autrefois qualifié de « règles électorales ». De règles reposant sur l’appartenance communale du candidat et celle des habitants de la circonscription où il voudrait poser sa candidature. Des règles non écrites, mais scrupuleusement respectées. Aujourd’hui, comme avant-hier, ce ne sont pas les qualités intellectuelles ou morales du candidat qui priment, mais son appartenance communale. Certains dirigeants, plus perfectionnistes en la matière, vont même jusqu’à réclamer des détails sur l’appartenance castéiste du candidat à la candidature. Sans compter les calculs scientifiques pour évaluer ses chances d’être un « best loser ». Il paraît que certains candidats ne sont pas à la recherche d’un ticket pour gagner l’élection, mais pour la possibilité d’être désigné meilleur perdant. Et pour avoir la possibilité d’être best loser, il faut déclarer son appartenance communale. « Sanzman pe vini », affirment des banderoles, mais pas celui du mode de désignation des candidats.
Sur la question des tickets pour les candidates, le choix est fait selon les mêmes critères. Tous les leaders affirment, en public, qu’il n’est pas normal que dans un pays où les femmes sont majoritaires, elles occupent si peu de place au Parlement. Et tous de promettre que « marke- garde », aux prochaines élections, les femmes auront les places qu’elles méritent, mais en se gardant bien d’en chiffrer le nombre. Ceux qui veulent projeter une image de féministe vont même jusqu’à laisser entendre que le nombre – qui n’est jamais précisé – dépassera le quota de 30% adopté par certaines instances internationales. En attendant le pas vers plus de parité, il arrive souvent que les partis donnent la présidence, le secrétariat ou la présidence de l’aile féminine du parti à une femme. Mais quand arrive le moment de la distribution des tickets, le nombre promis, mais jamais quantifié, se réduit comme une peau de chagrin. Les « arguments » pour justifier la diminution sont divers et variés » : « Dan so kominote fam pa fer politik » ou tout simplement « bann elekter pankor pare pou vot enn madam ! » Il sera intéressant de faire le décompte des tickets attribués à des candidates par ces hommes qui se prétendent grands défenseurs de la cause féminine, de l’égalité, de la parité, bref, de tous ces mots qui sonnent si bien dans les discours publics.
Certes, les leaders et membres des partis politiques utilisent des règles électorales communalistes et castéistes pour choisir leurs candidats et candidates aux élections. Mais est-ce que l’électeur – et ce qui est sans doute pire, l’électrice – ne procède pas de la même démarche en allant voter ? C’est dire que ce n’est pas demain la veille que des candidats et des candidates seront choisis sur leurs qualités, leurs expériences et les valeurs qu’ils incarnent, mais sur leur appartenance communale, castéiste et sexuelle. Et ce ne sera pas après-demain, non plus, puisque les enfants des électeurs d’aujourd’hui, ceux de demain, sont élevés dans le respect des réalités électorales.

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