Une célébration tragique.
Cette année, la fête religieuse de Maha Shivaratree a pris un tour dramatique avec la mort de deux jeunes pèlerins, et les graves blessures subies par une dizaine d’autres, lorsque le kanwar qu’ils transportaient a heurté un fil de haute tension à Mare Longue.
On ne peut qu’attendre les conclusions de l’enquête subséquemment instituée pour faire la lumière sur les circonstances exactes de ce drame.
On ne peut que compatir à la souffrance des familles et des proches durement éprouvés par ce drame survenu dans un contexte de pèlerinage religieux, avec tout ce que cela implique de foi, de sacrifice, de dévotion.
La mort devrait suspendre l’expression de commentaires hâtifs et gratuits.
La mort devrait permettre de faire un instant silence dans le respect du deuil des personnes durement affligées par une telle tragédie.
Mais la mort ne saurait suspendre l’exercice de l’esprit critique par rapport au contexte global qui entoure cette tragédie.
Il y a un moment où l’émotion, légitime, face au drame personnel, doit faire de la place à l’examen dépassionné et ouvert d’une situation qui concerne une population toute entière.
Ce tragique accident survient en effet au terme d’années qui s’accumulent et qui culminent cette fois encore sur un constat : le pèlerinage de Maha Shivaratree, qui mène chaque année des centaines de milliers de pèlerins hindous vers Grand Bassin rebaptisé Ganga Talao, est très beau dans l’esprit.
Esprit de l’expression d’une foi puissante en tout ce qu’incarne et représente le dieu Shiva.
Esprit de sacrifice de toutes ces personnes, femmes hommes et parfois enfants, qui traversent parfois l’île de bout en bout, à pied, sous soleil ou pluie, pour se rendre à Grand Bassin effectuer les prières rituelles et ramener l’eau sacrée vers leur localité d’origine pour la poursuite de ces rites.
Esprit d’admiration, de solidarité et de partage exprimé par ces milliers de personnes, toutes confessions confondues, qui tout au long du chemin partagent des vivres et du soutien avec les pèlerins.
Oui, ce pèlerinage de Maha Shivaratree est très porteur, et beau, dans la ferveur qui l’anime.
Mais il y a aussi un autre esprit qui semble prendre place au cœur de cette célébration. Et il est important de pouvoir le dire, parce que ce pèlerinage, pendant la semaine qu’il dure, concerne et impacte la totalité de notre pays.
Esprit de non-respect des autres avec des sonos ambulantes qui déversent jusqu’au cœur de la nuit de la musique plus proche de la techno tonitruante que des chants pieux qui appellent à l’introspection.
Esprit d’arrogance face aux autres usagers de la route, avec des processions qui occupent délibérément la totalité de la route, provoquant des embouteillages monstres, là où il aurait été possible de n’occuper qu’une partie de la chaussée (on ne peut manquer de citer à ce propos le très bel exemple donné par les pèlerins du Ecroignard Socio-cultural Group, qui ont partagé une émouvante vidéo où l’on peut les voir se déplacer en file indienne le long des routes, dans un ensemble à la fois présente et respectueux des autres).
Esprit de démesure enfin, avec des kanwars gigantesques.
Ceux qui parlent de tradition insistent sur le fait qu’à la base, ces structures ouvragées étaient conçues comme modestes et faites pour être portées par un seul homme. Mais au fil des années, ce sont des structures de plus en plus élaborées, décorées, et surtout imposantes que l’on a vu prendre la place. On peut saluer la créativité, l’ingéniosité, l’implication des jeunes qui travaillent à assembler et conduire jusqu’à Grand Bassin ces grandes structures que certains apparentent à des chars de carnaval tant leurs représentations sont variées, énormes, montées sur roues, flashy, voire carrément stroboscopiques.
Mais on ne peut occulter le fait qu’il y a des réglementations très strictes sur la taille des véhicules qui sont autorisés à circuler sur nos routes.
La Road Traffic (Construction and Use of Vehicles) Regulations (GN n°53) publiée dans la Government Gazette of Mauritius n° 12 du 13 février 2010 stipule ainsi, par exemple, que la largeur maximale d’un véhicule circulant sur nos routes ne doit pas dépasser 2,52 mètres, et que « no part of a motor vehicle, or of the load on motor vehicle, shall project more than 75 millimetres beyond the external edges of the tyres of the wheels on either side ». Pour ce qui est de la longueur, elle ne doit pas dépasser 12 mètres. Et pour la hauteur, elle ne doit pas dépasser 4,3 mètres pour un véhicule portant un container, et 3,8 mètres pour tous les autres véhicules.
Il y avait clairement, sur nos routes, des kanwars qui dépassaient ces spécifications. Ce dont témoignent entre autres ces photos qui ont largement circulé ces jours derniers, montrant des kanwars qu’il a fallu œuvrer à incliner sur le flanc parce qu’ils étaient trop hauts pour arriver à passer sous nos ponts…
Il appartient à chacun de s’interroger sur ce qui justifie ou sous-tend une telle envie et démonstration de « grandeur », une telle volonté de s’affirmer comme occupant l’espace censé être commun.
Un fait demeure : il existe déjà des règlements, des spécifications précises, et des lois, qui régissent l’occupation et l’utilisation des routes à Maurice. Ces règlements peuvent être appliqués dans toute leur rigueur, comme pourraient en témoigner par exemple des particuliers ayant reçu en don un autobus à vocation caritative, qui ne peuvent le mettre sur nos routes parce qu’il est de 50 cms plus long que la limite prescrite…
La question est donc de savoir si l’exercice des religions peut et doit être dispensé de respecter des lois établies, qui visent à protéger l’ensemble des usagers de l’espace public.
Discussion et réponse attendues…
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Cette semaine aura aussi été marqué par des cris de satisfaction.
Ceux accueillant le rapport de la très influente Human Rights Watch concernant les Chagos. Venu à Maurice pour présenter son ouvrage The last colony, l’avocat Philippe Sands, qui a défendu avec succès la revendication de l’Etat mauricien sur les Chagos devant les tribunal international des droits humains, l’avait laissé entendre lors de sa conférence donnée à Maurice le 13 janvier dernier. Cette fois c’est officiel : Human Rights Watch a rendu public, ce mercredi 15 février, son rapport où elle qualifie la déportation des Chagossiens de CRIME CONTRE L’HUMANITE.
https://www.hrw.org/report/2023/02/15/thats-when-nightmare-started/uk-and-us-forced-displacement-chagossians-and ? fbclid = IwAR1A-QYcZFAgZJNaAR95ubnqfWtX9eunn-KmXnSXfa7l6k4aMnpmedMdEpw`
Ce terme est très fort. Et totalement motivé par HRW qui estime que trois crimes contre l’humanité ont été commis contre les Chagossiens par les autorités britanniques : à savoir la déportation forcée, l’interdiction faite à la population de rentrer chez elle et la persécution pour des motifs d’ordre racial, ethnique ou autre. Parlant de “on going colonial crime”, HRW insiste sur l’obligation pour la Grande Bretagne et les Etats Unis non seulement de présenter des excuses mais aussi de compenser financièrement les Chagossiens. Ellen réaffirme également sans équivoque leur droit au retour dans leur archipel, appelant à un engagement en ce sens par la Grande Bretagne et les Etats Unis mais aussi par le gouvernement mauricien une fois que la souveraineté sur les Chagos est retrouvée.
Ceci est un événement de taille.
Il couronne la foi et l’engagement des Chagossiens, depuis cinquante ans, à lutter pour le respect d’un droit commun dont des puissances se croyant inatteignables auront voulu les exiler…