Trois semaines après que les clameurs des Jeux des Iles de l’Océan Indien se sont tues, que nous en reste-t-il aujourd’hui ?
Du 19 au 28 juillet derniers, nos sportifs ont montré, avec éclat, à quel point ils étaient capables de galvaniser ce pays. Même aux plus critiques, et au-delà de failles et «magouilles» organisationnelles, la délégation mauricienne a fait valoir à quel point le sport peut réunir, souder et soulever une population.
Pour Maurice, le « feel good factor » de ces Jeux est indéniable, et bienvenu. Soudain, nous avons eu de nous-mêmes une image belle, triomphante, et surtout unie. Et nous avons aimé cette image de nous. Preuve qu’il y a une aspiration, et une capacité, à aller au-delà des divisions, notamment ethniques, largement entretenues par la politique.
Reste à savoir pourquoi nous serons prêts à revenir à des réflexes de division dès que sera amorcée la prochaine course électorale. Et peut-être avons-nous là une incitation à nous interroger réellement sur la nature de notre système électoral.
A ce titre, il faudrait peut-être revenir sur les pouvoirs disproportionnés dont jouit, dans ce pays, un Premier ministre. Ainsi, la journée d’hier a montré l’ampleur de ce qui pourrait être un véritable simulacre électoral. Que penser d’une démocratie ou un seul homme a le pouvoir d’appeler à une élection partielle, d’amener des candidats à s’inscrire pour une supposée joute devant se tenir dans la circonscription n°7, quand tout semble indiquer que cette partielle n’aura pas lieu, et que le pays devrait plutôt s’acheminer vers des élections générales ?
Aujourd’hui, le « Prince » semble s’amuser de faire courir ses adversaires pour une élection que lui seul a le pouvoir de convoquer et de révoquer, à sa guise. Peut-on à ce point dévaluer un processus électoral, où la population a l’occasion de s’exprimer pour choisir ceux qui la gouvernent ?
En attendant, le gouvernement continue à surfer sur la vague des Jeux des Iles en orchestrant, vendredi dernier, une cérémonie de remise de prix à nos athlètes participants et médaillés, se montrant généreusement en train de doubler le montant des récompenses promises. Grand seigneur avec l’argent des contribuables-électeurs. Mais sans que rien nous garantisse qu’au-delà du geste ponctuel, nos athlètes continueront à être reconnus, et soutenus, à leur juste valeur.
Que dire, par ailleurs, des artistes qui nous ont eux aussi transportés lors de ces Jeux des Iles, à travers les superbes créations des cérémonies d’ouverture et de clôture ? « Cela peut arriver parfois que les artistes aient un peu de mal à faire face sur le plan économique », déclarait le week end dernier Nanda Narrainen, Head of creative industry au sein de l’Economic Development Board, lors de l’ouverture officielle de la Mauritius International Arts Fair au Caudan Arts Centre. Dans cette exposition regroupant les œuvres d’une centaine de plasticiens venant de 35 pays, à l’initiative de Zee Arts, ils seraient certainement nombreux à pouvoir s’insurger contre la méconnaissance de la condition d’artiste que traduit une telle déclaration. Car pour la majorité des artistes aujourd’hui, les difficultés financières sont un lot quotidien.
En cela, la situation des sportifs et celle des artistes se rejoignent. Dans les deux cas, il y a en général un temps long qui mène à la « performance ». Un athlète doit s’entraîner assidument pendant des mois, des années, avant d’arriver au moment d’exception où il remporte une médaille. Un roman peut demander trois ans d’écriture ou plus. Faire de la musique est une longue pratique. Peindre un tableau est souvent le résultat d’années d’apprentissage. Et que se passe-t-il pendant ce temps ? Comment vivent sportifs et artistes ?
Stephan Buckland, multiple médaillé d’athlétisme, quatre fois participant aux Jeux Olympiques, qui rendit l’île Maurice fière plus d’une fois, se retrouva l’an dernier privé de sa pension d’ancien sportif parce qu’il jugeait vexatoire et inacceptable l’obligation qui lui était faite de présenter un certificat de moralité. Et il est encore pire de savoir qu’aucun dispositif de ce type, avec ou sans certificat de moralité, n’est même prévu pour les artistes locaux. En contraste, on pouvait voir vendredi soir, au Caudan, un certain nombre de ministres et membres du Parlement qui, eux, bénéficieront pour le reste de leur vie d’une copieuse pension, même s’ils auront passé leur temps à diviser ce pays.
«La culture c’est ce qui nous survit, ce qui nous permet d’inscrire la fragilité de l’humain dans la durée, d’entrer dans une forme de permanence alors que tout n’est que précarité. C’est ce qui nous permet d’imaginer ce qui n’existe pas encore, et donc de comprendre que nous ne sommes pas condamnés à ce qui existe », fait ressortir avec justesse le philosophe, historien et politologue Achille Mbembe.
Non, nous ne sommes pas condamnés à ce qui existe.
C’est peut-être, justement, ce que nos politiciens ne voudraient pas forcément que nous sachions…
SHENAZ PATEL