La presse mauricienne crée-t-elle un sentiment de peur au sein de la population mauricienne?
C’est en tout cas l’opinion exprimée cette semaine par le Premier ministre mauricien. À l’occasion de la journée internationale de la lutte contre la consommation et les trafics de drogue, il a ainsi déclaré à l’adresse de la presse : “Arrêtez de chercher le sensationnalisme. On ne peut pas dire que l’on fait du ‘planting’. Dénonçant un comportement « antipatriotique », Pravind Jugnauth a martelé : “Au lieu que ce soit les trafiquants qui ont peur, l’on veut créer un sentiment de peur au sein de la population”.
Petit listing non exhaustif.
*Quand un agent du Premier ministre est retrouvé carbonisé dans un champ de cannes et que la police conclut dans l’heure qui suit à un suicide, que l’enquête judiciaire finalement nommée par le DPP montre qu’il s’agissait en fait d’un meurtre, que l’homme tenait des carnets de comptes dont il est dit par ceux qui les ont vus qu’ils seraient susceptibles d’invalider l’élection du Premier ministre et de ses colistiers, mais que rien ne suit :
Sans l’ombre d’un doute, c’est la faute à la presse !
*Quand le Speaker de l’Assemblée nationale, censé assurer le bon déroulement des travaux parlementaires, vocifère à s’en péter les cordes vocales et expulse séance après séance les députés de l’Opposition, rendant de fait le Parlement démocratiquement inopérant :
Incontestablement, c’est la faute à la presse !
*Quand les élections municipales sont renvoyées à deux reprises, sans que rien le justifie, juste parce que l’exécutif en a décidé ainsi, et que des conseillers proches du pouvoir élus pour six ans voient automatiquement leur mandature passer à dix ans :
Bonom, c’est la faute à la presse !
*Quand celui qui était encore Directeur des Poursuites Publiques il y a quelques mois exprime cette semaine l’avis que la police use et abuse des mandats de perquisition et des charges provisoires, qui lui permettent d’arrêter et de détenir des personnes avant de chercher des preuves contre elles :
Pena pou diskite, c’est la faute à la presse !
*Quand le Commissaire de Police remet en cause la sérénité du processus judiciaire en s’arc-boutant pour prendre des avocats du privé et refuser que la police soit représentée en Cour par des membres du Bureau du Directeur des Poursuites Publiques, comme constitutionnellement établi :
Assurément, c’est la faute à la presse !
*Quand des images de vidéo-surveillance montrent des hommes qui semblent être de la police en train de planter de la drogue chez un jeune homme qui sera arrêté et incarcéré pour cela, et que la police ne l’ouvre pas sur cela.
C’est clair, c’est la faute à la presse !
*Quand un policier se fait passer pour un facteur pour aller déposer chez un avocat (accessoirement connu pour représenter des opposants au pouvoir) un colis supposément reçu par la poste et plein de comprimés d’ecstasy, dont l’avocat refuse de prendre livraison, pour être arrêté et incarcéré :
Pena bare, c’est la faute à la presse !
*Quand la compagne de ce même avocat a été livrée en pâture livrée sur les réseaux sociaux à travers des vidéos intimes figurant sur le téléphone de son compagnon, alors que ce téléphone se trouvait en possession de la police :
Get sa, c’est la faute à la presse !
*Quand un journaliste de la radio voit surgir sur son lieu de travail, en pleine émission, une dizaine de flics baraqués qui le menacent jusque dans la cuisine où il est allé prendre un café parce qu’ils n’apprécient pas la façon dont il est en train d’interviewer le patron de leur section, exerçant une pression inouïe dont témoignent les caméras de surveillance :
Manifestement, c’est la faute à la presse !
*Quand l’épouse de ce même journaliste reçoit, quelques jours plus tard, affichés sur les réseaux sociaux les plus populaires, des menaces d’agression sexuelle, de plantage de drogue chez sa famille et de tous finir salement morts en cachot comme Kaya, et qu’aucune suite n’est donnée à cela :
Bien sûr, c’est la faute à la presse !
*Quand le dernier rapport de l’Audit documente le fait qu’il y a eu, au niveau gouvernemental, des abus se montant à des centaines millions de roupies dans l’attribution des contrats d’achats de médicaments et d’équipements dans le cadre de la pandémie de Covid 19 :
A l’évidence, c’est la faute à la presse !
*Quand un rapport gardé secret au ministère de la Santé, finalement rendu public il y a quelques jours, révèle que plusieurs personnes dialysées sont mortes durant la 2ème phase de Covid en 2021 en raison de graves négligences et de coupables mauvais traitements, et qu’il n’y a pas de suite donnée à cela.
Sans contredit, c’est la faute à la presse !
*Quand des jeunes s’en vont en masse parce qu’ils ont le sentiment qu’il n’y a ni présent ni avenir pour eux dans un pays où tout demande d’être bien connecté au pouvoir en place :
Naturellement, c’est la faute à la presse !
Bon allez on va s’arrêter là parce qu’on commence à manquer d’adverbes et que franchement, ça fout un peu les boules tout ce que fait cette vilaine presse pour nous faire peur dans ce pays.
Après, bien sûr, chacun est libre de croire et de dire ce qu’il veut, parce qu’on est en démocratie pas vrai…
SHENAZ PATEL
Le Premier ministre mauricien a accusé cette semaine la presse d’être « antipatriotique » et de « créer un sentiment de peur au sein de la population ». Petit listing non exhaustif…