2024 : l’impensable pour certains s’est bien produit. Ils étaient tellement bien installés dans leur tour d’ivoire, dans leur certitude, dans cette ivresse du pouvoir qui rend sourd, aveugle et imperméable aux bruits de la rue, qu’ils n’ont rien vu venir. Ou pensaient-ils pouvoir limiter la casse ?
Il n’en a rien été. Le peuple, écrasé par un régime autocratique, avait fini par ne plus manifester depuis le déferlement portlouisien de 2020. Craignant ces représailles qui s’abattaient sur tous ceux qui osaient exprimer une voix contraire, il a préféré ruminer dans son coin, ne réservant l’expression du fond de sa pensée qu’à quelques proches.
Cela a duré jusqu’à la dissolution de l’Assemblée Nationale, cette institution qui était devenue le symbole le plus parlant de la dérive monarchique de l’État MSM. C’était le premier pas sur le chemin de la délivrance. Ce fut ensuite les grandes foulées qui ont conduit au troisième 60/0 de l’histoire politique de l’île Maurice indépendante
Cette consécration est aussi celle de deux hommes, qualifiés péremptoirement de dinosaures et que certains voulaient enterrer un peu trop vite, alors que, pour l’un, il a pu – contre vents et marées, seul ou accompagné – trouver un siège à l’Assemblée Nationale pendant des décennies, tandis que l’autre a connu une résurrection que personne ne pouvait imaginer, même dans son propre camp.
Oui, Paul Bérenger est l’homme qui a un sacré palmarès, n’en déplaise à ceux qui s’acharnent à minimiser le poids qu’il a dans l’histoire politique du pays ou qui sont pressés de le virer pour des raisons qui leur sont propres et qui virent carrément à l’obsession maladive.
Ce n’est pas peu que de réaliser trois 60/0, en 1982, en 1995 et en 2024, après avoir aussi obtenu deux majorités de plus de trois-quarts, celles de 57/3 de 1991 et de 56/4 de 2000. Essayer de faire mieux sera difficile pour ne pas dire impossible. Il faut être malhonnête et d’une extrême subjectivité pour ne pas admettre qu’un tel bilan ne peut commander que le respect.
Le come-back de Navin Ramgoolam est, lui, tout bonnement spectaculaire. Faut avoir énormément travaillé sur soi, après avoir frôlé la mort et subi les pires tracasseries du régime revanchard du MSM de Pravind Jugnauth, de Roshi Bhadain, de Ravi Yerrigadoo et de leurs sbires depuis 2014, pour réaliser un sans faute aussi remarquable durant la dernière campagne électorale, lui qui, comme on le sait, peut avoir des petites phrases assassines capables de renverser les tendances les plus favorables.
Le Ramgoolam nouveau est arrivé et c’est tant mieux. Il a bien réussi jusqu’ici le début de son nouveau mandat, a été présent lorsqu’il le fallait et n’a pas cherché à investir la totalité du journal télévisé de la MBC en croyant, comme son prédécesseur, que se faire voir sous toutes les coutures et dans toutes les activités socioculturelles pouvait être un gage de succès.
Navin Ramgoolam et Paul Bérenger qui amorcent, sans doute, une fin de carrière sous les meilleurs auspices, ont une grande responsabilité : celle de redresser un pays abîmé sur tous les plans. Les premières décisions ont été plutôt bien avisées.
Il est heureux que, comme pour la dernière campagne électorale, ils ne se plient pas aux diktats des “konntou” du net, de ceux qui se croient autorisés à choisir les candidats, à Quatre-Bornes ou ailleurs, à désigner le Speaker, même si aujourd’hui, devant la performance de Shirin Aumeeruddy-Cziffra, ils sont contraints de ravaler leur bile.
Écouter, entendre, faire les meilleurs choix en attendant des modes de recrutement plus conformes à la notion de bonne gouvernance et de méritocratie. À la banque de Maurice, c’est un trio dont la compétence est indiscutable qui a été installé, tandis qu’au Mauritius Investment Corporation Ltd, ce sont en majorité des femmes reconnues pour leurs aptitudes qui ont été nommées.
À la MBC, ce symbole quotidien du glissement dictatorial, c’est un peu d’air frais qui souffle avec les personnes choisies pour la diriger. Avec Alain Gordon-Gentil à la direction générale, il y a aussi une belle équipe de professionnels pour animer le conseil d’administration : Amaresh Ramlugan à la présidence et, comme membres, là aussi, une belle équipe de femmes : Sandrine Valère-Bolli – celle qui, déjà membre du board de la MBC, avait, en 2019, enquêté sur Anooj Ramsurrun et ses gestes violents –, Roukaya Kasenally, Rajcoomaree Issur et Anne Robert ainsi que Lutchmeeparsad Ramdhun, directeur du Gouvernment Information Service brutalement renvoyé pour faire de la place à un nominé politique, et Vishnu Gondeea, un ancien haut fonctionnaire.
Le choix des femmes à des postes de responsabilité est primordial dans la mesure où cela vient un peu compenser leur bien trop faible représentation au Parlement. Les nominations vont bon train, le package 14ème mois / compensation salariale / baisse du prix de l’essence a été finalement accepté, mais les petites choses qui ne pèsent pas sur la trésorerie publique et qui facilitent la vie des gens sont aussi bien accueillies.
Il y a eu le rétablissement de la voie à double sens de la fameuse Angus Road, la décision d’annuler la directive Jugnauth de forcer les utilisateurs de téléphone portable à réenregistrer leur carte SIM, celle de permettre aux Mauriciens de camper librement sur les plages publiques sans avoir à casquer, l’ordre d’arrêt de travaux de construction illégale de mur sur les Pas Géométriques, la maîtrise de Mare Chicose, ce volcan laissé par l’ancien gouvernement, et la liberté donnée aux marchands ambulants d’occuper les espaces publics en cette fin d’année. Ce qui a fait le bonheur des acheteurs, mais qui a aussi bien sali certaines artères urbaines.
Arrêter d’importuner inutilement les Mauriciens, ne plus les accabler de procédures administratives fastidieuses, c’est bien, mais gare à la tentation de la démagogie, du populisme et du laisser aller ! Il était impératif, après dix ans d’asphyxie, de laisser respirer ce pays, mais la discipline et la responsabilité doivent devenir les moteurs de l’exercice de la citoyenneté. Sinon, le vrai changement n’aurait pas de sens.
JOSIE LEBRASSE
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