Cerveaux plastiques ?

Il y a de ces choses dont on entend parler comme ça, des dangers dont certaines personnes avertissent avec détermination, mais qui finissent souvent par passer un peu au-dessus des têtes et des préoccupations. La pollution de nos océans par le plastique en fait sans doute partie. On a beau entendre dire que chaque heure, 20 tonnes de plastique entrent dans la mer. Et que si aucune action concrète n’est prise, on comptera plus de plastique que de poissons dans les océans d’ici à 2050. Cela n’empêche pas la plupart d’entre nous de continuer à utiliser des emballages en plastique, des bidons de lessive, des ustensiles à usage unique pour aller en pique nique. La visite du Plastic Odyssey dans l’océan Indien remet cette question sur la table avec une vigueur nouvelle.
Le Plastic Odyssey, c’est une aventure un peu folle qui naît un jour dans la tête de Simon Bernard, Alexandre Dechelotte et Bob Vrignaud. Leurs formations diverses en marine marchande ou en sciences et techniques, ils vont choisir de les allier pour « travailler à changer le monde », en se concentrant sur la question de la pollution plastique. Résultat : le 1er octobre 2022, le navire-laboratoire-école M/V Plastic Odyssey part de Marseille pour une expédition de 3 ans à travers le monde, avec à son bord 20 personnes ayant pour mission de trouver des solutions concrètes pour lutter contre la pollution plastique.
Le problème, en effet, est de plus en plus crucial. Depuis la synthétisation des premiers plastiques issus du pétrole dans les années 1920-30, ceux-ci se sont imposés comme un matériau versatile et bon marché, qui est entré dans toutes les zones de nos vies jusqu’à sembler devenir indispensable, incontournable. Le monde produit de fait pas moins de 300 millions de tonnes de plastique chaque année. Et l’on estime à 2,5 millions de tonnes la quantité de microplastiques qui flottaient dans nos océans en 2023. Soit plus de dix fois plus qu’en 2005.
Au-delà, il existe environ 8,3 milliards de tonnes de déchets plastiques dans le monde. Sachant que les déchets plastiques prennent entre 20 et 500 ans pour se décomposer, et que, même là, ils ne disparaissent pas complètement.
Il y aurait effectivement de quoi céder au pessimisme et au découragement…
Mais c’est un visage de détermination et d’énergie communicative que montre l’équipage du Plastic Odyssey ce lundi 14 avril dernier dans la rade de Port Louis. Ce jour-là est lancé ExPLOI (Expédition plastique océan Indien) une mission océanographique et citoyenne portée par la Commission de l’océan Indien (COI), en partenariat l’Institut de recherche et développement (IRD), le Centre national de recherche scientifique (CNRS), l’Agence Française de Développement (AFD) et à Maurice la Mauritius Commercial Bank. Dans ce cadre, le Plastic Odyssey accueillera à son bord, pendant 4 mois, une vingtaine de chercheurs, accompagnés de jeunes scientifiques de l’indianocéanie, pour cartographier la pollution plastique dans la région, identifier les pathogènes véhiculés par les microplastiques et leur dangerosité pour la santé humaine. Une expédition qui reliera La Réunion, Madagascar, Seychelles, Mohéli, les Comores et Maurice.
Sur le bateau, l’équipe, composée de marins, d’ingénieurs et de communicateurs, montre effectivement ce que quelques volontés humaines peuvent concrètement faire. A chacune de leurs 13 escales programmée en Afrique, en Amérique du sud et en Asie du sud-est, l’équipe se met en lien avec les communautés locales, et tente d’identifier des solutions de recyclage de plastique à bas coût et faciles à répliquer. Puis ils travaillent ensemble à améliorer leur efficacité, pour ultimement les reproduire et répandre ailleurs. Ils ont ainsi, au cours de ces deux dernières années, créé des micro unités de recyclage style « plug and use », en utilisant des conteneurs alimentés par l’énergie solaire qui peuvent traiter 3 à 5 tonnes de plastique par an, et créer quelque 200 emplois en transformant le plastique usagé en objets utiles : mobilier, matériaux de construction, carburant, outils.
L’équipe organise aussi des visites du bateau, des projections, des rencontres avec enfants, éducateurs, grand public pour faire prendre conscience de l’ampleur de la pollution plastique et des problèmes qu’elle génère, et éveiller aux possibilités de solutions.
Et l’on ne peut que souhaiter que son escale chez nous, du 12 au 24 avril, jouera un rôle de catalyseur. Car outre l’affligeant spectacle de la pollution plastique à travers l’île, le récent cyclone Belal et les débordements causés par des drains largement obstrués par des déchets plastiques nous a montré à quel point la pollution plastique était susceptible de mettre en danger notre vie même… Sachant qu’aujourd’hui à Maurice, à peine 4% des plastiques sont recyclés.
Au-delà, la menace pour nous est directe en tant qu’Etat insulaire. Car il n’y a pas que la pollution plastique que nous produisons nous-mêmes. Il y a aussi celle qui nous vient d’ailleurs. Par la mer. Car dans le sud-ouest de l’océan Indien, un tourbillon océanique concentre une grande partie des déchets flottants.
Cette énergie fait du bien. Elle montre que des choses sont possibles. Que nous pouvons encore. Et le défi est immense. Car au-delà de nettoyer le backlog, il faut aussi voir comment construire un futur sans plastique.
A ce titre, il est intéressant de voir que l’engagement et l’activisme peuvent permettre d’amener à la mise en place de politiques nationales. Jeudi dernier, le nouveau ministre de l’Environnement, Rajash Bhagwan et sa junior minister Joanna Bérenger ont ainsi annoncé la mise en place prochaine d’une stratégie au sujet du tri de déchets à la source. C’est essentiel.
Essentiel également de fournir des alternatives au plastique. Ainsi au Japon, la Japan Agency for Marine-Earth Science and Technology vient de présenter un matériau imperméable d’origine végétale qui pourrait remplacer les plastiques à usage unique tels que gobelets etc. C’est important sachant que 40% du plastique produit aujourd’hui concernerait des items à usage unique.
On parle par ailleurs de l’existence d’un type de ver qui se nourrit de polystyrène et de champignons et microbes capables de décomposer les plastiques dans l’environnement.
Mais il y a au-delà un engagement international qui tarde à venir. Car trouver des solutions de recyclage, pour ingénieuses qu’elles soient, ne suffira pas si on ne s’attaque pas à la base à la fabrication et fourniture accélérée de plastique à travers le monde. On parle ainsi du Global Treaty on Plastic Reduction négocié à l’initiative des Nations Unies, et qui a fait l’objet de nouvelles discussions supposées finaliser le traité en Corée du Sud en novembre 2024. Mais certains pays sont clairement réticents à s’engager. Et les Etats Unis, où l’on passe allègrement du greenwashing au greenhushing, ont fait savoir qu’ils ne soutiendraient pas l’imposition d’une limite de production.
L’urgence, pourtant, est plus que jamais réelle.
Depuis des années, les scientifiques alertent sur la présence croissante de microplastiques dans le corps des animaux marins. Mais aussi d’animaux terrestres comme les poulets, les vaches, les porcs, ensuite consommés par les humains.
Les humains justement. Ces dernières années, diverses études ont révélé la présence de microplastiques dans nos poumons, vaisseaux sanguins, moelle osseuse, placenta des humains. Cette fois, une étude coordonnée par l’université du Nouveau Mexique rendue publique en février 2025 a mis en lumière la présence de microplastiques (particules de plastique mesurant moins de 5 millimètres de diamètre) et de nanoplastiques (dont la taille est inférieure à un millième de millimètre), jusque dans les cerveaux d’êtres humains.
De quoi faire réfléchir. Et agir, tant que nous en sommes encore capables ?

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SHENAZ PATEL

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