Sommes-nous à ce point accros au sensationnalisme que nous ne soyons plus capables de discerner une info importante quand nous la voyons, parce qu’elle ne résonne pas de façon assez spectaculaire ?
L’interview cette semaine de Sherry Singh en dit long à ce sujet. A la veille de répondre aux questions du site en direct de notre confrère l’express.mu, Sherry Singh avait promis un « tsunami » pour faire suite à ses révélations de la semaine précédente sur les ondes de Radio Plus. Intervention où, rappelons-le, l’ancien bras droit du Premier ministre avait déclaré qu’il avait décidé de démissionner de son poste de CEO de Mauritius Telecom après avoir reçu du Premier ministre l’instruction, qu’il jugeait non acceptable, de permettre à une équipe étrangère d’accéder à des dispositifs et informations relatives à nos télécommunications.
Faisant l’effet d’un big bang, l’affaire donne d’abord lieu à une tiède et non-convaincante dénégation du Premier ministre. Qui, au lieu de prendre à bras le corps cette affaire où il est quand même question de « haute trahison » vis-à-vis de son pays, choisit une sortie « socio-religieuse » pour traiter son ex-ami de vilain méchant qui n’a pas le sens de l’amitié…
Mais conscient que Sherry Singh est manifestement en possession de certaines preuves, le Premier ministre finit par reconnaître qu’il lui a bien donné des instructions, par téléphone, pour autoriser une équipe indienne à effectuer un « survey » à la station de Baie Jacotet, là où arrive le câble SAFE qui va de l’Afrique du Sud jusqu’en Australie et Malaisie.
Soudain, cette localité située entre Rivière des Galets et Bel Ombre devient de toutes les conversations. Fut un temps, sous la colonisation française, où la Baie-de-Jacotet abritait un fort, pour garder cette côte des attaques anglaises notamment (c’est d’ailleurs par là qu’en 1810, le capitaine Willoughby avait tenté une prise, ratée, de l’Isle de France). Mais depuis, rien ne signalait ce lieu à la conscience nationale jusqu’à ce que l’on comprenne, grâce à cette affaire, que cette fameuse Baie abrite en réalité une très stratégique station d’arrivée sur notre sol et de départ du câble SAFE.
Selon les experts, il y a 3 types de trafic sur un câble de type SAFE. Le trafic express qui va d’un pays à un autre ; le trafic de transit avec un signal qui entre dans le pays en provenance d’un autre pays et en ressort en direction d’un autre lieu ; et le signal national qui concerne les communications intérieures à un pays.
De l’avis de ces mêmes experts, un survey n’est pas une chose exceptionnelle en soi. Il est même nécessaire à intervalles réguliers par exemple pour vérifier le bon fonctionnement d’une station.
Manifestement, ce n’est pas ce qui aurait alerté Sherry Singh.
Dans l’interview qu’il a accordée mardi dernier, beaucoup ont exprimé un sentiment de déception, estimant que le Big Bang avait fait « fizette ». Le build up vers l’émission avait sans doute donné à espérer plus « sanglant » qu’un journaliste parfois maladroit dans sa conduite de l’entretien et un invité bien décidé à ne pas déballer ses preuves et les garder pour l’enquête officielle.
Reste qu’au-delà du feu d’artifice qui ne s’est pas produit, il y avait du lourd dans ce qu’a dit ce jour-là Sherry Singh.
En clair, il est venu affirmer que le Premier ministre lui a donné, par téléphone, l’instruction d’autoriser une équipe technique envoyée par le gouvernement indien à pénétrer la station de Baie Jacotet pour effectuer ce qu’il qualifie « d’intervention » sur le câble SAFE. Si c’est avéré, c’est une bombe à fragmentation.
D’une part, cela montre que même pour des choses aussi graves, il y a, de la part de notre Premier ministre, un mode de gestion qui consiste à passer outre les procédures officielles pour n’en faire qu’à sa tête. Ici, exiger, sans correspondance dûment écrite, que l’accès soit donné à une équipe étrangère à un équipement sensible en principe géré par un consortium international, sans que ce consortium soit consulté ou mis au courant.
Dans ce que dit Sherry Singh, il y a toute la pression qui est exercée sur des officiels par un pouvoir qui n’hésite pas à bafouer les procédures établies pour servir son intérêt très personnel. Et cela est très symptomatique de la situation de délitement des institutions et de pourrissement généralisé dans laquelle nous nous trouvons actuellement.
Dans ce qu’il dit, il y a aussi le fait qu’il peut prouver qu’une intervention d’environ 6 heures a été effectuée par cette équipe indienne, pointant vers une volonté future d’intervenir sur le trafic de données.
A ce stade, Sherry Singh affirme que le type d’équipement permettant cela n’a pas été installé. Mais il est clair qu’il impute que l’intention était là.
Et cela, si avéré, est extrêmement grave.
Dans ce que dit Sherry Singh, il y a également un Premier ministre qui reconnaît n’avoir pas été content de son refus d’autoriser une intervention d’une tierce partie parce qu’il craignait d’avoir à confronter le mécontentement du Président Narendra Modi. Fizette, vraiment ?
Selon la section 57 du Code Pénal, intitulée « Plotting with foreign power », ou Complot avec une puissance étrangère, toute personne qui fomente un complot ou trafique des informations avec une puissance étrangère dans le but d’aider celle-ci à engager des hostilités ou une guerre contre son pays, sera punissable d’une peine d’emprisonnement à vie ou d’une durée d’un maximum de 60 ans, et de la confiscation de ses biens. Fait important : la loi précise que cette peine s’appliquera également s’il n’y a pas eu de déclenchement d’hostilités.
Certains estiment que Sherry Singh lui pourrait tomber sous la section 72 du Code Pénal. Celle-ci a elle trait a « Failing to reveal plot against the State”, soit l’omission de révéler un complot contre l’Etat.
Toute personne qui a connaissance d’un complot ou de tout acte criminel ourdi contre la sécurité interne et externe de l’Etat et qui ne les révèle pas au gouvernement, aux autorités administratives ou à la police dans les 24 heures qui suivent, sera punissable pour les avoir cachés et même s’il est prouvé qu’il n’a pas été complice de ces projets.
La section 73 stipule que cette personne sera passible d’emprisonnement, sans en préciser la durée. Et la section 74 elle précise que pour n’avoir pas révélé un complot qui ne relève pas de la haute trahison, une personne est passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de 20 ans et d’une amende n’excédant pas Rs 20 000. A ce stade, il est significatif de noter que ce n’est pas ce délit, mais celui de diffamation à l’encontre du Premier ministre, qui a été évoqué pour justifier l’interrogatoire de Sherry Singh par la police en cette fin de semaine. L’accuser de n’avoir pas révélé avoir eu connaissance d’un complot serait déjà reconnaître qu’il y a eu complot…
De la suite de l’enquête policière maintenant initiée dépendra l’issue de ce qui se profile déjà comme une guerre de titans, avec pour ultime enjeu, ne nous y trompons pas, l’exercice du pouvoir suprême. Au-delà des deux hommes qui se heurtent là, il reste à espérer que nous ne perdrons pas de vue à quel point cette affaire nous invite à exiger que peu importe l’identité de la personne en place, notre système soit revu pour ne plus permettre qu’autant de pouvoirs soient concentrés entre les mains d’un Premier ministre…
Zoom plus large: authentique big bang.
Cette semaine, le télescope spatial James Webb (TSJW) a dévoilé des images inédites et absolument époustouflantes du « champ profond » de l’univers.
Sur fond noir, une incroyable multitude de pépites brillantes, d’étoiles scintillantes, de grandes tâches lumineuses aux couleurs vibrantes avec d’incroyables contrastes de bleu et d’orange. Ce que nous voyons là, ce sont des galaxies formées peu après le Big Bang, il y a plus de 13 milliards d’années. C’est-à-dire que la lumière en est partie il y a 13 milliards d’années.
C’est vertigineux. Et cette contemplation nous remet à notre juste place : celle de choses minuscules, en prise avec la découverte des origines de l’Univers et de la formation des galaxies.
Ce qui devrait nous amener à un peu d’humilité….