Bien étrange ! Que le Premier ministre, ce combattant auto-proclamé féroce contre des narcotrafiquants, ne se soit pas exprimé sur le dossier de Jean Hubert Célérine, dit Franklin, et sur la mauvaise image que ce dossier projette de l’île Maurice, alors même que nous avons affaire là à un pays voisin, ami et gros pourvoyeur de touristes de La Réunion. Bien étrange pour celui qui se proclame le champion exclusif du patriotisme…
Cette affaire n’est pas sans rappeler celle de Peter Uricek, non pas parce qu’il se trouve que le Slovaque a le même avocat que Franklin, Yatin Varma, mais parce qu’il y a de grandes similitudes entre les deux cas. Pour justifier la déportation musclée du Slovaque, malgré un ordre contraire de la Cour, Pravind Jugnauth avait expliqué que les autorités de son pays l’avaient réclamé après sa condamnation à la prison pour trafic de drogue et qu’il les lui ont livré.
Franklin, aussi, a été condamné à La Réunion pour trafic de stupéfiants. Mais là, silence et inaction des organismes dont le fonctionnement est entre les mains de ceux que le chef du gouvernement a nommé. Le Premier ministre doit impérativement des explications sur ce dossier à la population, lui qui commentait, en long et en large, les arrestations d’opposants politiques dans ses réunions politiques publiques.
Il a le devoir et l’obligation de venir dire pourquoi ce condamné n’a jamais été inquiété depuis qu’il a été établi à La Réunion depuis 2019, qu’il est à la tête d’un réseau de drogue et qu’il n’y a toujours rien eu même après qu’il eut été condamné deux ans après. Mais il y’a pire. On sait que la police – qui ne pouvait pas ne pas savoir que le condamné était recherché – l’a bien interpellé en août 2022 avec plus de Rs 500,000.
Un trafiquant de drogue condamné qui se balade avec Rs 500,000, ça devrait normalement faire tilt pour le dernier petit enquêteur amateur. Non, la police le laisse partir tranquillement chez lui et le verbalise pour… un délit routier. Même dans les séries qui narguent les carences policières, on ne retrouve pas ce genre de scénario burlesque.
Mais ce n’était pas terminé pour les grands “kaser lerin trafikan ladrog”. Franklin, qui a pu voyager librement dans un pays qui est sur l’axe du trafic de drogue régional, Madagascar, était sous le coup d’un mandat d’arrêt du tribunal de Bambous pour non-comparution dans une affaire d’agression dans laquelle il a été impliqué.
Dans un pays normalement constitué en matière d’État de droit, un mandat d’arrêt est exécuté aussitôt le recherché est identifié et localisé. Rien de tout ça! Il débarque, passe les services de l’immigration et le contrôle de police comme si de rien n’était. On ne sait pas, non plus, si le fiché des autorités réunionnaises a été fouillé et ce que ses valises contenaient.
C’est lorsqu’il s’est présenté au poste de police de Rivière Noire – qui est comme sa deuxième maison, pour une déposition contre ses méchants détracteurs – que les agents, qui y trônent, l’informent gentiment qu’il est recherché et qu’il vaut mieux qu’il dégage. Pas d’arrestation ni à Rivière Noire et même au Line Barracks, quartier général de la police où le mandat d’arrêt du magistrat n’a pas, non plus, été exécuté. On aurait pu penser que le commissaire de police viendrait avec quelques explications sur ce comportement étrange de ses services, mais là aussi, niet.
Bien étrange, surtout que l’Attorney General, qui estime urgent d’émettre un communiqué, dimanche16 octobre 2022, pour annoncer qu’il saisit la police sur la “fuite” du rapport de l’enquête judiciaire sur la mort de Sooparamnien Kistnen, tout en pointant du doigt le bureau du DPP, reste très silencieux sur cette affaire.
Étrange certainement que Maneesh Gobin, qui trouve aussi le temps de convoquer la presse, un vendredi, pour enfoncer une porte ouverte sur la souveraineté de St Brandon, n’ait pas organisé pareil exercice pour nous entretenir du dossier de Jean Hubert Célérine, les demandes d’assistance légale formulées par la justice réunionnaise, relevant directement de sa compétence et de sa juridiction. Aujourd’hui, le nouveau mantra, c’est le secret de l’instruction et il ne s’appliquerait, en fait, qu’au dossier de Franklin!
Non moins étrange, le silence du ministre des Affaires Étrangères, Alan Ganoo. C’est vrai qu’il est très occupé et tout aussi stressé que ses colistiers Sandra Mayotte et Prakash Ramchurrun par les problèmes de tuyaux cassés à Rivière Noire et par les manifestations de colère exprimée par les habitants de Case Noyale et de La Gaulette devant le manque d’eau potable.
Mais Franklin, c’est aussi un de ses mandants et ce dossier de trafic de drogue, qui est transfrontalier, est de son ressort et de sa responsabilité de ministre. Voilà une double raison qui l’oblige au moins à dire ce que ses services ont fait pour aider la justice réunionnaise ou n’ont pas fait, et pour quelles raisons. Non, il ne dit rien.
La vérité, c’est que l’affaire Franklin a été délibérément mise sous le boisseau pour des raisons évidentes. Il est visiblement un protégé du régime qui bénéficie d’un patronage politique local indéfectible. Il sème la terreur sur la côte ouest, tire sur tout ce qui bouge, dispose de vastes étendues de terres, dont on ne sait pas si c’est aux dépens de leurs véritables propriétaires, ou s’il les a obtenues sur recommandations ou après des menaces.
Nous déplorions ici même, le 22 janvier, de ne pas entendre “l’ICAC, la FIU, l’Integrity Reporting Agency ou la Mauritius Revenue Authority” sur de tels cas. La FIU a, le 23 janvier, obtenu un gel des avoirs de Franklin et de huit de ses proches.
Il faut espérer que cela ne signe pas la fin de l’histoire. Parce que l’ICAC aussi s’était à un moment intéressée à Franklin en 2017, mais elle a vite fermé le dossier pour ne plus l’ouvrir. Même après les stupéfiantes découvertes des gendarmes réunionnais. Autant rester sur ses gardes.