Babita Thannoo : « C’est la population qui a vraiment compris qu’il fallait changer, qu’il fallait une autre politique… »

Pour ce début d’année, Week-End est allé à la rencontre de Babita Thannoo, cette « inconnue » de l’Alliance du Changement, issue de Rezistans ek Alternativ, celle qui a fait campagne en transport en commun et qui a fait tomber Pravind Jugnauth dans son fief du N°8 Moka/Quartier Militaire. Cette écoféministe marxiste bien dans ses bottes sait exactement où elle veut aller en mesurant bien les limites du fait d’être dans une alliance multiforme et de travailler en équipe pour concrétiser le changement promis. Une chose est sûre, si elle s’est fait discrète au Parlement jusqu’ici, ce qui changera à la rentrée, Babita Thanoo est omniprésente sur le terrain avec ses mandants pour les soutenir en cas de problème et ultimement être porteuse de ce changement tant attendu…

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 Bonjour et bonne année Babita Thannoo. Vous êtes connue pour votre engagement écoféministe et politique. Mais au-delà de cela, qui est Babita Thannoo ?

Bonjour et bonne année à vous et à tous les lecteurs de Week-End. À 48 ans, je suis membre de Rezistans ek Alternativ depuis une dizaine d’années et actuellement députée au Parlement. Avant les élections, je m’occupais de cours écologiques, politiques et surtout féministes lors des « School of Ecology ». Depuis novembre 2024, j’ai l’immense honneur d’être élue dans la circonscription N°8 Moka/Quartier Militaire. Je me consacre aux demandes de mes mandants, tout en maintenant mon engagement au sein de ReA avec notre politique marxiste, écologique et féministe.

Vous omettez de mentionner que vous faites partie de ceux qui ont contribué à la chute de Pravind Jugnauth…

Effectivement, beaucoup nous présentent comme l’équipe ayant fait tomber Pravind Jugnauth. En réalité, nous devons d’abord remercier le peuple. C’est la population qui a vraiment compris qu’il fallait changer, qu’il fallait une autre politique et qu’il fallait vraiment tenir compte des besoins d’une nation. C’est cela qui est le plus important.

Votre victoire face à Pravind Jugnauth est historique. Quels messages les électeurs ont-ils voulu transmettre à travers leur choix au N°8 ?

Les électeurs ont démontré qu’ils ne se sont pas laissés influencer, malgré les donations et promesses de l’ancien gouvernement. Ils ont choisi de travailler ensemble pour l’avenir de leurs enfants. Le peuple a choisi la voie démocratique. Le peuple a compris qu’il fallait bouger vers une politique plus socialiste.

Réalisez-vous pleinement que vous êtes aujourd’hui députée, représentant justement cette voix du peuple ?

Absolument. Je ressens particulièrement la souffrance du peuple. Hier, le 3 janvier, j’ai reçu un appel de mes mandants de Nouvelle Découverte, privés d’eau depuis le Nouvel An. C’est très grave. Je me sens responsable envers eux et nous devons œuvrer rapidement pour une solution durable.

Nous ne vous avons pas encore entendue au Parlement…

Il y a eu un petit problème avec les e-mails, mais rassurez-vous, c’est résolu. Vous m’entendrez davantage dans les semaines à venir. Plusieurs sujets me tiennent à cœur, notamment l’écologie, l’eau. J’ai aussi à cœur les cas de ces enfants qui ont été tués, violentés… Je continuerai à défendre la cause féministe, tout en comprenant les problèmes que rencontrent les Mauriciens en général. Pour moi, il ne s’agit pas seulement des problèmes de la circonscription N°8, mais de ceux de toute la nation, comme le transport.

Vous avez parcouru votre circonscription en utilisant les transports en commun, vous rapprochant des électeurs. Comment cela a-t-il influencé votre stratégie électorale et vos priorités pour le mandat à venir ?

Mes modèles sont José Mujica et Jeremy Corbyn, qui démontrent qu’on peut faire une politique proche du peuple et incarner la décroissance. Pour une politique véritablement socialiste, il faut montrer qu’en vivant plus simplement, on est plus écologique et proche des gens. Ce ne sont pas les bolides qui vont apporter les solutions ! C’est sûr, aujourd’hui, les voitures électriques aident un peu. Il faut surtout développer un service de transport public accessible, fonctionnel et économique.

Vous défendez ardemment l’écoféminisme, une approche qui explore les liens entre l’oppression des femmes et la destruction de la nature. Comment envisagez-vous de traduire ces principes en actions concrètes dans votre rôle de députée pour influencer les politiques publiques à Maurice ?

L’écoféminisme repose sur une compréhension des dynamiques d’oppression, notamment par le capitalisme, et propose des solutions pour un équilibre sociétal et écologique. Dans le cadre de l’Alliance du Changement, nous avons intégré des mesures concrètes telles que la semaine de 40 heures, le congé menstruel et le congé de maternité, pour offrir aux femmes un meilleur équilibre de vie. Ces initiatives prendront du temps, mais elles représentent des étapes cruciales. Par ailleurs, pour répondre à la destruction de la nature et ses impacts, notamment sur la santé des femmes, je m’engage à promouvoir l’agroécologie. Lors de discussions avec des planteurs dans ma circonscription, j’ai constaté une ouverture inattendue à ces pratiques. Contrairement à des expériences passées avec mes élèves, comme au marché de Quatre-Bornes où l’idée d’abandonner les pesticides suscitait des résistances des maraîchers qui pensaient qu’on s’attaquait à leur gagne-pain, j’ai pu sensibiliser environ 300 planteurs à l’importance de cette transition pour la santé et l’environnement. Ces échanges montrent que le changement est possible avec un dialogue constructif et une vision partagée. Ils ont compris qu’il faut mettre en marche l’agroécologie.

Vous avez mentionné l’importance d’inclure les droits de la nature dans la Constitution. Quels sont les premiers pas que vous envisagez pour concrétiser cette proposition au Parlement ?

Je viens de recevoir les informations de la mise sur pied imminente du Climate Change Committee dans l’attente du Just Transition Committee. Des initiatives cruciales pour intégrer les droits de la nature dans notre Constitution, une priorité absolue. Surtout pour protéger nos plages et nos écosystèmes. Hier encore, nous avons reçu de bonnes nouvelles : on a empêché la construction d’un mur, renforçant notre espoir de préserver ce qui reste de notre patrimoine naturel. La gestion de l’eau illustre bien l’urgence d’agir. À Nouvelle-Découverte, les habitants manquent d’eau malgré que ce soit une région humide où il y a eu les fortes pluies et même des flash floods récents, comme à Providence. Comment se fait-il qu’aujourd’hui les habitants n’ont pas d’eau ? Cela montre l’importance de protéger les zones humides et de lutter contre l’empiétement des smart cities, tout en préservant nos forêts existantes pour garantir l’accès à l’eau. Avec les droits de la nature, on va pouvoir protéger et assurer l’accès à l’eau. Au sein du gouvernement, il y a un réel dynamisme pour faire avancer ces questions. On l’a vu avec les premières actions du ministère de l’Environnement qu’il y a une vraie volonté de faire changer les choses.

Vous avez également parlé de la réforme électorale et de la renaissance de l’identité mauricienne. Comment garantir l’équité dans le processus électoral mauricien ?

Rezistans ek Alternativ a dû composer avec le système en place lors des dernières élections, parce qu’on devait être dans le gouvernement pour amener les changements constitutionnels qu’il faut. Aujourd’hui que nous y sommes, on va travailler vers l’inclusion d’une catégorie : le Mauricien pour qu’il n’y ait pas l’obligation de clamer une appartenance ethnique. Nous espérons rapidement corriger cette anomalie constitutionnelle qui ne reflète pas la réalité mauricienne.

l Vous avez critiqué le néolibéralisme et ses impacts sur la société mauricienne. Quelle alternative proposez-vous pour créer une société plus équitable et durable ?

Notre combat est de défendre les droits socio-économiques des Mauriciens face au néolibéralisme, en priorisant les travailleurs, l’écologie et la santé. Nous refusons de reléguer l’État au second plan au profit des grands capitaux. Bien que ce chemin soit conflictuel, notamment face aux pressions des lobbies financiers, notre gouvernement est déterminé à tenir tête. Nous affirmons que les gros capitaux doivent comprendre que le gouvernement n’est pas leur instrument, mais un acteur au service du peuple. S’il faut dire non à certains projets, comme des smart cities, nous le ferons. Fidèles à notre programme et à notre contrat social, nous ne dérogerons pas à nos engagements, ni pour Rezistans ek Alternativ ni pour le gouvernement dans son ensemble.

Justement, puisque vous parlez de ce contrat, votre alliance avec le PTr et le MMM a été un sujet de débat. Quels compromis avez-vous jugé nécessaires, et comment comptez-vous défendre la spécificité de vos idées au sein de l’Alliance du changement ?

On a eu la chance et l’opportunité d’être entendus par les deux leaders, et le programme a été conçu ensemble. Nous avons des leaders réceptifs à nos idées. Même le président de la République a repris notre discours quant au développement humain que l’on souhaite. J’estime qu’il y a une symbiose. Certainement, les finances présentent toujours des challenges, mais quand je vois le travail qui se fait en ce moment, je suis sûre qu’on va travailler petit à petit vers l’implémentation de notre programme.

Quels programmes concrets proposez-vous pour freiner l’exode des jeunes et améliorer les conditions des femmes vulnérables à Maurice ?

Lorsqu’on faisait les porte-à-porte durant la campagne, j’ai rencontré des jeunes professionnels qui m’ont dit « Madame, si on ne change pas, nous on part. On part au Canada avec notre famille, parce qu’avec un salaire de Rs 75 000 et les dettes qu’on a, on n’y arrive plus. » Aujourd’hui, vu qu’il y a eu le changement, qu’il y a un nouveau gouvernement, il y a de l’espoir. Il est clair que redresser une économie malade prendra du temps et nécessitera l’engagement des jeunes à travailler pour ce redressement. Cependant, l’espoir est palpable. Depuis la fin de l’année dernière, j’observe une réelle envie et une volonté sincère au sein de la population de contribuer à la prospérité de notre pays.

Comment votre parcours en tant qu’académicienne et militante politique peut-il inspirer d’autres femmes à s’engager activement en politique ?

J’aimerais beaucoup être un modèle, pour les femmes précisément. Encore une fois, lors des porte-à-porte, des petites réunions chez les familles, les femmes venaient vers moi, surtout les jeunes, pour me dire « On vous admire beaucoup, on respecte beaucoup ce que vous dites et on pense qu’on pourra travailler ensemble vers ce monde qu’on veut créer en termes d’égalité, de justice. » Aujourd’hui, je ressens un véritable engouement pour ce renouveau. Dans chaque village, on me sollicite pour organiser des rencontres avec les femmes, mais il ne s’agit pas de créer une simple aile féminine soutenant le patriarcat. L’objectif est de rassembler les femmes et de leur offrir une voix autonome. Sur le terrain, un véritable mouvement dynamique est en marche.

Vous avez parlé, au tout début de la rencontre, des enfants violentés, des femmes aussi violentées. Quel est votre regard sur la société mauricienne à ce jour ?

Ces morts atroces me bouleversent profondément. Nous sommes tous concernés, et l’urgence d’agir est claire. Il est impératif d’attaquer le problème de la drogue synthétique avec une approche médicale et thérapeutique. Cela ne signifie pas excuser les bourreaux, mais reconnaître que la drogue est un problème complexe — psychologique, social et économique. Je dois avouer qu’à un moment, face à l’ampleur du problème, je me suis sentie désœuvrée, surtout en écoutant ces femmes, en larmes, qui me disaient : « Que ferez-vous pour la drogue ? Mes deux fils en sont victimes. » Si j’avais pu agir immédiatement, je l’aurais fait. Mais il faut agir, et agir vite.

Et comment réagissez-vous à l’arrestation de Harvesh Seegoolam, un gouverneur de la Banque de Maurice…

C’est sûr qu’il y a des attentes de la population qu’il y ait une justice contre ces personnes qui ont causé le crash économique de Maurice. Il y a des évidences, et j’espère que le judiciaire fera son travail. Les choses commencent à bouger, mais il faudra aussi agir avec prudence pour qu’il n’y ait pas d’erreurs, de loopholes qui laissent les choses au final impunies…

Vos voeux pour 2025 ?

Je souhaite que les Mauriciens, qui ont démontré leur confiance en l’avenir en choisissant le changement, travaillent avec nous pour transformer cette vision en réalité. Je prie pour que nous puissions mettre en œuvre notre programme afin de soulager une population qui souffre encore et offrir un avenir meilleur à chaque enfant. Certes, de grands défis nous attendent, comme les inondations, la sécheresse et la lutte contre la drogue, mais avec le soutien du peuple, nous agirons, et il faut commencer dès maintenant.

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