Avons-nous un « problème israélien » ?

Ça a commencé par quelque chose qui aurait presque pu paraître « banal ». Une vidéo postée par le populaire vlogeur international Nas Daily, décrivant Maurice comme « un pays d’immigrés », pas seulement historiquement, mais comme si c’était le cas aujourd’hui encore. Avec de jeunes « influenceurs » mauriciens proclamant « je suis un-e immigré-e ». Au-delà de la polémique qu’a suscitée cette vidéo, vivement dénoncée par des internautes refusant de voir niée leur identité mauricienne forgée en cinq siècles, cette vidéo posait, comme nous l’avons fait ressortir ici la semaine dernière, le problème d’une histoire tronquée, montrant l’arrivée dans une île vierge d’esclaves, de laboureurs, et de « business people ». Expression anachronique s’il en est, alors qu’il n’était parallèlement fait aucune mention de colons et de colonisation. Doublement problématique quand on considère que Nas Daily, qui se définit comme un « Israeli-palestinian », a été fortement critiqué ces derniers mois pour des positions de plus en plus marquées en faveur de l’état d’Israël. Et sachant l’histoire récente de ce pays par rapport à la « colonisation » dans la partie du monde qu’il occupe.
Cette colonisation-là porte un nom : elle s’appelle le sionisme. Créé au cours du XIXème siècle et popularisé par le journaliste et écrivain austro-hongrois Theodor Herzl, le sionisme “avait pour objectif de susciter l’émigration des Juifs vers la Palestine pour y renforcer un foyer national juif. C’est une idéologie politique qui s’est concrétisée dans la création de l’État d’Israël et reste l’idéologie dominante en Israël”, explique le Pr Jean-Philippe Schreiber de l’université belge de Louvain dans un média belge. Au lendemain de la 2ème guerre mondiale, les Nations unies recommandent de diviser la Palestine en un État juif et un État arabe et, en 1948, l’État d’Israël est proclamé. Au grand dam de nombreux Arabes vivant en Palestine et dans les régions avoisinantes, qui y voient un déni des droits arabes. Par la suite, le sionisme ne va cesser de renforcer et étendre la présence israélienne en établissant des colonies en Cisjordanie et en rétrécissant toujours plus la bande de Gaza.
De cette histoire « d’immigration » venue des quatre coins du monde, on retrouve de curieux échos dans les vidéos de Nas Daily lorsqu’il parle de Maurice comme un pays d’immigrés, où chacun peut venir vivre et travailler en bonne harmonie. Et cela se corse avec d’autres vidéos postées dans la foulée par une autre vlogeuse qui s’avère être sa compagne, qui dresse une histoire mettant l’accent sur la souffrance des Juifs exilés à Maurice pendant la 2ème guerre mondiale, pour ensuite montrer une identité juive vivace et joyeuse et à Maurice, et s’afficher en compagnie de notre tout nouveau Président de la République appelant joyeusement à venir vivre à Maurice…
Cela s’ajoute à d’autres informations qui ont fait surface cette semaine, et qui montrent la présence de plus en plus importante chez nous d’agents immobiliers et d’hommes d’affaires israéliens venus prospecter à Maurice mais aussi à Rodrigues pour des opportunités de location et d’achat immobilier et de business divers et variés.
Loin de s’inscrire dans un schéma complotiste et/ou antisémite, ces constations sont nourries par le fait que depuis le 7 octobre 2023 avec l’attaque meurtrière du Hamas contre Israël et la guerre destructrice déclenchée par Israël contre les territoires palestiniens, les citoyens israéliens sont de fait devenus non grata dans un certain nombre de pays de notre région.
Ainsi, aux Maldives, le président Mohamed Muizzu a annoncé le 2 juin 2024 son intention d’interdire l’entrée sur son territoire aux touristes israéliens. De fait, cette interdiction n’a pas pris effet dans cette forme, des députés américains ayant immédiatement annoncé leur décision de faire voter des lois restreignant en conséquence l’aide américaine aux Maldives. “Taxpayer dollars shouldn’t be sent to a foreign nation that has banned all Israeli citizens from traveling to their country”, a ainsi déclaré Josh Gottheimer, qui est à l’origine de cette mesure. Qui a manifestement amené le gouvernement des Maldives à reconsidérer sa décision. Mais les résultats ne se sont malgré tout pas faits attendre : le nombre de touristes israéliens aux Maldives est passé de 11 000 en 2023 à 528 en 2024, soit une chute de 88%.
Autre lieu où les choses se corsent pour les visiteurs israéliens : le Sri Lanka. En 2024, un total de 25 514 Israéliens ont visité le Sri Lanka, avec notamment comme destination favorite la baie d’Arugam, reconnue comme un des meilleurs spots mondiaux de surf. Mais de nombreuses plaintes ont été émises par des citoyens srilankais concernant notamment le fait que certains de ces « touristes » en profitaient pour établir des business au détriment des locaux traités avec mépris et arrogance. Cette affaire culmine en octobre 2024, avec une annonce des autorités israéliennes et américaines qui préviennent leurs citoyens d’une menace « d’attaque terroriste » à leur encontre au Sri Lanka. Au final, le Premier ministre du pays a annoncé, ce 8 janvier 2025, un “crack down on reported illegal activities carried out by Israeli tourists”. Une autre porte qui se ferme donc. `
Enfin, du côté de Cape Town, destination très prisée par les touristes et les digital nomads israéliens, les choses ont changé drastiquement quand l’Afrique du Sud a pris les devants en 2024 pour entrer une action aux Nations Unies accusant l’Etat d’Israël de génocide. Un comité spécial des Nations Unies a subséquemment estimé, dans un rapport rendu public le 14 novembre 2024, que la guerre menée par Israël à Gaza présente « des éléments caractéristiques d’un génocide », au vu du très grand nombre de victimes civiles et des conditions d’existence mortifères imposées intentionnellement aux Palestiniens.
Le Comité a dans ce même rapport appelé tous les États Membres à respecter leurs obligations légales de prévenir et de faire cesser les violations du droit international par Israël et de l’inciter à répondre de ses actes. « Il incombe aux États Membres de faire respecter le droit international et de veiller à ce que les auteurs de violations soient tenus responsables. Dans le cas contraire, le cœur même du système juridique international s’en trouve affaibli et cela crée un dangereux précédent, permettant à des atrocités de se produire en toute impunité » commente le comité.
Il n’est pas question ici d’antisémitisme.
Il est question de savoir quelle position vont prendre des pays comme Maurice par rapport à l’état d’Israël et de ses citoyens, en fonction de la diplomatie internationale et des droits humains, relativement à ce qui, selon les Nations Unies elles-mêmes, s’apparente à un génocide qui a déjà tué plus de 50 000 personnes en un an.
Il s’agit aussi de savoir ce que Maurice, en tant que pays, compte faire par rapport à l’appel à venir s’installer sur notre territoire comme s’il s’agissait d’un lieu ouvert à tous vents et disponible à tous. Disponible pour tous sauf pour les Mauricien-nes ?
Ces jours-ci, une grande compagnie internationale met en avant le récente ouverture à Maurice d’un représentation de son « Offshore Real Estate and Investment Migration division ». Celle-ci est présentée comme une équipe spécialisée ayant plus de 100 ans d’expérience combinée dans le domaine de « property, residency and citizenship-by-investment ». L’annonce dit qu’ils ont eu à Maurice en 2024 une année « busy and successful » et qu’ils anticipent une année 2025 « even more demanding ». Mettent en avant une annonce pour une propriété pieds dans l’eau dans le nord de l’île, décrite comme un bijou, et d’emblée présentée comme «perfect for non-Mauritians »…
Alors que les Mauriciens-nes se plaignent de plus en plus de l’impossibilité grandissante pour la population locale d’avoir accès à la propriété foncière, on parle quand de cette « tendance » ?

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Shenaz Patel

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