Adi Teelock : « Dans sa forme actuelle, la loi environnementale privilégie l’économie aux dépens de l’environnement »

Sans ces lanceurs d’alerte, de nombreux projets douteux auraient vu le jour. Connaissant leur sujet du bout des doigts et prêts à partager leur savoir aux autorités concernées, ces écoactivistes sont aujourd’hui heureux de voir qu’ils ne furent pas que des voix criant dans le désert et que des actions concrètes sont prises, dans une conjoncture climatique des plus inquiétantes. Adi Teelock de Platform Moris Lanvironnman est de ceux-là. Elle nous livre ses impressions sur l’actualité environnementale locale.

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Vos premières impressions sur la révocation du permis l’EIA d’Atalian Global Services ?

— D’abord, une grande satisfaction ! Il y avait plusieurs raisons selon nous pour ne pas accorder un permis en premier lieu. Ce terrain est en grande partie vaseux et le bail comprend un ancien barachois que le promoteur allait transformer en lagon artificiel. Un non-sens. Il voulait aussi créer un autre « lagon » artificiel avec plage sablonneuse sur la péninsule même et le dragage de la mer pour permettre l’accès à un ponton d’où les clients éventuels pourraient embarquer pour des activités en mer.

PML avait commencé la rédaction de ses commentaires suite à la demande de permis EIA en août 2019, mais après avoir constaté que des informations importantes manquaient du rapport EIA (une dizaine d’annexes) nous avions écrit au ministère pour demander que ces documents soient mis en ligne. Nous n’avions reçu aucune réponse. Face à un EIA incomplet, nous avions décidé de ne pas soumettre nos commentaires même si les informations disponibles indiquaient que les impacts négatifs sur l’environnement et l’écologie allaient être très conséquents, et même irréversibles dans certains cas.

Au final, dans les conditions attachées au permis donné en 2020, le ministère n’avait pas autorisé des composantes clés de l’hôtel, telle la création du lagon artificiel sur la péninsule et du ponton, ainsi que le dragage de la mer. Autant dire que l’hôtel ne pourrait se faire ! Mais pour des raisons inconnues, un permis a été donné… Une autre des conditions du permis était la présentation au ministère de l’Environnement d’une « valid Letter of Reservation for the site » du ministère des Terres. Lettre qui ne serait jamais parvenue au ministère à en croire la raison donnée pour la révocation du permis, c’est-à-dire l’absence de bail sur le site.

Cette affaire traîne pourtant depuis plusieurs années…

— Le bail sur le site d’Atalian Global Services avait été alloué en 2005 à Four H Co. Ltd. La péninsule des Salines de Rivière Noire avait en effet été identifiée au début des années 2000 pour la construction d’hôtels et d’un IRS avec golf. En 2003, les Planning Proposals for Les Salines du Ministère des Terres et du Logement prévoyaient quatre hôtels, un morcellement et un golf ainsi qu’un espace public d’environ 11 arpents sur les Pas Géométriques (plage sablonneuse) et incluant le site de la Batterie de l’Harmonie. Présenté en 2004, le Master Plan présentait quant à lui huit hôtels et un IRS avec golf. En 2016, le nombre de sites hôteliers est passé à onze, dont certains situés autour de la Batterie de l’Harmonie, réduisant ainsi la superficie d’espace public à 3,5 arpents.

Tous ces sites hôteliers situés sur les terres de l’État (Pas Géométriques) étaient dépourvus de route d’accès et étaient restés libres de construction. La seule plage publique sur la centaine d’arpents de terres de l’État disponible est un terrain vaseux d’environ cinq arpents. Ce n’est qu’à la fin de la construction d’une route d’accès par Landscope en 2018 que les constructions ont commencé. Le permis EIA d’un des projets hôteliers est contesté devant le Tribunal de l’Environnement en raison du comblement d’un vaste wetland sur le site. Le projet IRS se fait maintenant sous le Property Development Scheme (PDS) sur 350 arpents et comprend 220 villas de luxe aménagées autour d’un parcours de golf.

En 2018, dans ses commentaires au rapport EIA de NMH sur leur projet d’hôtel, PML avait demandé au ministère de l’Environnement de conduire une évaluation environnementale stratégique. Malheureusement, notre requête n’a pas été agréée.

Dans le cadre de Naïa Villas Project à Riambel, les autorités ont exigé un EIA. Une mesure long overdue ?

— Oui. Il est inconcevable que des projets immobiliers de moins de 50 unités en bord de mer ne soient pas soumis à un EIA. Le cas de Naïa Villas n’est pas un cas isolé. Partout autour de l’île nos plages sont de plus en plus construites ; des campements cèdent la place à des appartements sur trois niveaux. Cette densification du littoral a des impacts environnementaux, écologiques, sociaux et culturels très importants. En outre, nous sommes dans une situation d’urgence climatique où la montée du niveau de la mer menace nos plages et nous devons mettre en place des systèmes de défense pour limiter l’érosion d’une part et protéger l’espace côtier de vagues de submersion par exemple. Nous ne pouvons pas nous permettre de construire sur les plages encore disponibles pour le faire. L’environnement et l’écologie mis à part, cette situation de quasi-disparition de plages librement accessibles aux Mauriciens est source de frustration et de conflits ; et l’érosion des plages aggrave cette tension sociale.

Pour toutes ces raisons, la politique de construction hôtelière et immobilière sur le littoral doit faire l’objet d’une évaluation environnementale stratégique (strategic environmental assessment en anglais) afin de déterminer les meilleures options d’aménagement et de gestion de la zone littorale. Où pouvons-nous construire si nous devons absolument le faire et sous quelles conditions ? Quels types de protection côtière sont mieux adaptés sur quelle partie du littoral ? Et tout cela en prenant en considération le ridge-to-reef sachant que ce qui se passe sur terre a un impact sur le littoral et le lagon. Il est nécessaire aussi de prendre en considération les pratiques des utilisateurs de la côte.

Quels seraient, selon vous, les autres amendements à voir en priorité ?

— En fait, l’Environment Act 2024 demande une révision et non quelques amendements, comme PML l’a fait ressortir dans ses commentaires sur l’Environment Bill 2024 en mai 2024.

Mais si nous devons parler de parties nécessitant des amendements prioritaires, celle sur le Strategic Environmental Assessment en est une justement. PML avait souligné le fait que le SEA tel que la proposition de loi le présentait n’était qu’un EIA en plus grand, mais en incluant les impacts cumulatifs. Mais un SEA ce n’est pas ça. Il se fait avant la finalisation de schémas directeurs, stratégies sectorielles, plans et programmes afin de déterminer les meilleures options en tenant compte plusieurs paramètres. Pour cette raison, il ne peut être réalisé selon le même processus qu’un EIA comme le prescrit l’Environment Act 2024.

Pour PML, il faudrait introduire le droit de la nature et le droit à la nature dans la législation. Pas une seule fois le mot « biodiversité » est-il mentionné dans ce texte de loi ! Un comble quand on sait que le monde fait face à une triple crise planétaire : crise climatique, effondrement de la biodiversité et pollution. Ensuite, il faut définir ce que veut dire « intérêt public », car le ministre peut l’invoquer pour exempter un projet d’un EIA. On l’a vu pour le Metro Express, la piste et la jetée à Agaléga. Lié à cela, il faudrait baliser le pouvoir discrétionnaire du ministre, car il est si étendu qu’il peut vider la législation de sa substance. La mise en place d’une instance de délibération telle une commission permanente où participent toutes les parties prenantes et l’inclusion d’ONG dans diverses instances sont essentielles car actuellement la société civile est quasiment absente des divers comités prévus. Enfin, la partie sur l’économie circulaire ne parle pas des deux R qui sont au somment de la hiérarchie d’une gestion soutenable des déchets solides, soit Refuser et Réduire, car la pollution par le plastique commence dès l’extraction du pétrole pour le fabriquer. Or, dans sa forme actuelle, la loi environnementale privilégie l’économie aux dépens de l’environnement et l’écologie.

Propos recueillis par Kovillina Durbarry

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