— Alors mon enfant, il paraît que chez toi tout le monde il est content, tout le monde il est heureux, et que depuis les élections, Maurice c’est l’île du bonheur ?
— Bonjour Ma…
— … attention… tu sais bien que je n’aime pas quand tu m’appelles Ma tante. Ce sont les…
— … gens ordinaires qui disent ça ! Oui, je sais ça Tante ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire de l’île du bonheur là ?
— C’est sur tous les réseaux sociaux. Ton cousin m’a montré : on voit des foules dans les rues des villes en train de faire le shopping de Noël. Bien sûr il y a beaucoup de marchands ambulants, mais certains centres commerciaux font penser à Melbourne, toi…
— … des centres commerciaux de Maurice qui ressemblent à ceux de Melbourne ?! Tu es en train de faire ton fichant avec moi ?
— Mais pas du tout, mon enfant. Ton cousin m’a fait voir des images d’un endroit qui s’appelle Tribeca avec les décorations de Noël. Bien sûr, ce n’est pas aussi grandiose et chic qu’à Melbourne, mais c’est pas mal du tout, toi ! Et il y a du monde, hein !
— Ça, pour avoir du monde dans les rues… Il y a des marchands ambulants sur tous les trottoirs, les magasins sont remplis et c’est un embouteillage monstre dans toutes les villes !
— Si les gens vont faire du shopping comme ça, ça veut dire qu’ils sont contents, heureux.
— Ces gens qui remplissent les magasins pour faire du shopping, eux ils sont contents !
— On me dit que tout ça c’est grâce au quatorzième mois que le gouvernement a fait payer à tout le monde. Alors, comme on dit vulgairement chez vous, twa ousi to finn tap plin !
— Tante ! C’est la première que je t’entends parler comme ça : qu’est-ce qui t’arrive ?
— C’est juste pour causer une fois comme ton cousin qui ne fait que répéter les termes de ce gros créole qu’il entend sur Facebook.
— Ah bon ? Qu’est-ce que tu veux dire par twa ousi to finn tap plin ?
— Mais que tu as eu pour la fin de décembre ton salaire, ton treizième et ton quatorzième mois. De quoi faire la faya, comme dit ton cousin !
— Tante, fais attention ! À force de répéter ce que dit ton fils, tu vas finir par parler comme un tcholo !
— Je t’ai dit que je faisais ça une fois, juste pour m’amuser. Alors, qu’est-ce tu as fait de ton quatorzième mois ?
— Rien. Parce que je n’ai pas eu de quatorzième mois !
— Qu’est-ce que es en train de raconter ?! Quand Pravind avait promis le quatorzième mois, Ramgoolam a tout de suite dit que c’était son gouvernement qui allait payer Et d’après ce qu’on me dit, Bérenger avait même ajouté : On va le payer avant la fin de décembre !
— Tu as raison. C’est bien ce qu’ils ont dit, mais ils ne l’ont pas fait.
— Tu veux dire que dès le lendemain des élections, ils ont déjà commencé à ne pas tenir leurs promesses ?!
— Ils disent que quand ils sont arrivés au pouvoir, ils ont découvert que le gouvernement d’avant avait vidé la caisse !
— Ils ont tout pris ?
— Oui toi. Il paraît qu’il ne reste rien et, en plus, on continue des découvrir des trous dans d’autres budgets, tous les jours. On dit que des millions ont disparu !
— Mais si la situation économique est tellement dan bez, comme dit ton cousin, pourquoi le nouveau gouvernement n’a pas expliqué la situation aux Mauriciens et dit qu’il n’avait pas les moyens de payer le quatorzième mois ?
— Ils n’ont pas osé et ils ont inventé une espèce de formule pour tenir en partie leur promesse, malgré tout.
— Qu’est-ce que tu veux dire par une espèce de formule ?
— Seulement ceux qui touchent jusqu’à Rs 50 000 ont droit au quatorzième mois. Et en plus, dans certains cas, il peut être payé en tranches.
— Mais en quoi ça te concerne ?
— Ça ne me concerne pas, justement ! Avec les augmentations de salaire, comme beaucoup de Mauriciens, je touche un petit plus que Rs 50 000 et je n’ai pas droit au quatorzième mois.
— C’est bien embêtant ça, mon enfant.
— Et comment ! Parce que ma bonne, qui touche Rs 15 000 par mois, a droit au quatorzième mois. Moi, j’y ai pas droit, mais je dois la payer quand même. En encore il y a pire.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Je vais te donner un seul exemple. Celui du fils de ta cousine X.
— Tu veux parler de Y. On me dit qu’il a ouvert un petit business qui marche très bien et qu’il emploie une dizaine de personnes.
— Lui n’a pas droit au quatorzième mois, mais il doit le payer à ses employés.
— Comment il va faire le malheureux ?
— Je crois qu’il va devoir demander un emprunt à la banque, sinon il va être obligé de fermer son business. Il y a plein de cas comme ça.
— D’après ce que je comprends, ce quatorzième mois ne va pas faire le bonheur de tout le monde.
— Certainement pas. Avec sa formule, le gouvernement a réussi à séparer le pays en deux. Ceux qui ont droit au quatorzième mois et les autres. Et ces autres-là, ils ne sont pas contents.
— Allons parler d’autre chose, mon enfant. Comment tu vas faire ton réveillon du 31 décembre ?
— Avec ce qui me restera de mon treizième mois, quand j’aurai payé le quatorzième mois de ma bonne !
J.-C.A.