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Ti payanke rakont mwa : Marsel Poinen, la culture tout terrain

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Ti payanke rakont mwa : Marsel Poinen, la culture tout terrain

Marsel Poinen fait partie de ceux qui laissent une empreinte sur leur passage. Auteur-compositeur-interprète, cofondateur de l’école de musique Mo’Zar, homme de théâtre, photographe, militant engagé, travailleur social, défenseur de la langue créole, il a été de tous les combats. La liste se rallonge au fur et à mesure que Jean Clément Cangy retrace son parcours. Cela, dans Ti payante rakont mwa Marsel Poinen créateur culturel. À Rodrigues, où Marsel Poinen, 64 ans, a posé ses bagages il continue à travailler dans l’ombre pour mettre en avant l’art.

A.R-M.

Sa première pensée, en lisant le récit qu’a écrit son ami l’écrivain et ancien journaliste, Jean-Clément Cangy, à son propos fut : “Eski mo mem kin fer tou sa bann zafer la ?” Expliquant prendre place à l’ombre d’un arbre à Port Mathurin, il nous confie, au téléphone : « Je me suis senti réellement touché et fier par la proposition de ce projet. La manière dont Jean-Clément s’y est pris, montre sans aucun artifice l’humain à tout faire que je suis. J’ai toujours mené des combats et milité pour que l’artiste soit reconnu de son vivant. Mais, ça ne m’a jamais effleuré l’esprit que je pouvais aussi avoir droit à cette. Mo ti enn zanfan pa tro briyan dan lekol. Monn fer enn ta travay pou gayn enn bouse manze me monn resi boukou lezot zafer ki finn amen mwa byen louin”.

L’introduction de Ti payanke rakont mwa donne le ton : « Face à l’adversité, il ne se laisse jamais abattre et retombe toujours sur ses pieds. » Marsel Poinen dit lui : “Je ne suis ni un combattant, ni un guerrier encore moins un militant. En même temps, je suis un peu tout cela en même temps. On m’a souvent reproché de rester dans l’ombre. Mais moi, je n’ai jamais voulu me mettre en avant. Je ne suis pas dans un one-man show encore moins un artiste commercial. Cependant, je me suis donc retrouvé dans divers projets pour travailler pour les autres et les sensibiliser sur le potentiel qu’ils avaient”.

Gale gale

Son univers artistique est vaste : “Mo kontan konstrir ek fer bann kitsoz. Mo tir bann zafer depi poubel pou mo transform li an ar” dit-il. Il a commencé par l’écriture. Ses premières créations Sarbon (1977) et Gale Gale (1979), sont deux textes que les Mauriciens ont souvent fredonnés en oubliant qu’ils étaient de la plume de cet homme. Marsel Poinen raconte: “Sans des personnes comme Nitish Joganah qui m’avait demandé de reprendre le titre que j’avais simplement interprété dans un théâtre, ce morceau n’aurait pas eu autant de succès. Ce fut la même chose avec Gale Gale repris par Gérard Louis et Gaëtan Abel ou encore Kayambo écrit en 1979 et repris plus tard par Sandra Mayotte. Je pense que d’autres sont capables de faire les choses mieux que moi. Sans eux, peut-être que ces textes auraient pu finir au fond d’un tiroir”.

D’autres morceaux ont aussi marqué les esprits et ont fait de lui un militant engagé. À cette époque, Marsel Poinen faisait partie du Groupe Raisin Vert. C’est ainsi que dans sa biographie, Jean Clément Cangy cite l’exemple de Diboute Zom Diboute Fam (1980) qu’il précise être « une condamnation sans fard de certaines mœurs politiques de l’époque (et d’aujourd’hui?) et un appel à tous les Mauriciens à être des hommes et des femmes debout. » S’en suivront d’autres engagements en tant que travailleur social qui mèneront Marsel Poinen à participer à des ateliers de travail sur le développement de la démocratie participative. Le livre Ti payanke rakont mwa Marsel Poinen créateur culturel rappelle comment 1980 fut l’âge d’or pour Marsel Poinen puisqu’avec le Grup Kiltirel IDP, il effectua une tournée, à travers les villages du pays. Tournée qui se terminera en apothéose au Stade de Rose-Hill.

Sources d’inspirations

Marsel Poinen a grandi et passé toute son adolescence à Les Salines. C’est sa mère : “Une femme très passionnée et observatrice” qui a forgé son caractère et lui a appris comment observer autour de lui avant de faire les choses. “Li ti touzour repet mwa bisin guet divan.” Mais : “Marsel pa ti pou Marsel” sans ses amis ; ajoute-t-il. Parmi, Gaston Valayden et la Trup Sapsiway qui ont permis à Marsel Poinen de donner la pleine mesure de ses talents de comédien dans plusieurs pièces théâtrales et d’apprendre la mise en scène. En témoigne sa prestation dans The Madogs of Diego, une pièce évoquant le drame des Chagossiens, qui offrit l’opportunité à la troupe de se produire lors du San Francisco Fringe Festival.

Henri Favory et ses représentations des fables de La Fontaine en créole ont aussi été sources d’inspiration pour Marsel Poinen qui à son tour publia en 1995, 9 Fab Lafontenn. L’objectif : faire connaître davantage La Fontaine et valoriser la langue créole. Une démarche qu’il estime importante et indissociable de son identité. “Généralement, je n’aime pas m’octroyer du mérite, mais quand il s’agit de la langue créole, je suis fier d’avoir contribué à faire que cette langue soit aujourd’hui mieux reconnue. 50 ans de cela, les gens refusaient d’écrire le créole”.

Marcel devenu Marsel.

Marsel Poinen pense d’ailleurs être le premier Mauricien à avoir modifié son prénom en kreol : “Monn amen enn konbat pou la lang kreol, donk mo bisin asim ziska dan mo lidantite”. C’est ainsi qu’il a prestement répondu à l’appel de l’ex-Président de la République, Cassam Uteem, après les émeutes de 1999, pour composer l’hymne Ansam pou touzour pour le Rallye de l’Amitié.

Cette nouvelle publication et collaboration avec Jean Clément Cangy n’est pas un hasard. C’est avec cet ami qu’il avait sorti Ti Frer, une plaquette faisant la part belle aux ségas d’Alphonse Ravaton (Ti Frer). Cette coopération connut une belle suite et les deux complices collaborèrent plus tard avec le réalisateur Selven Naidu pour un film sur le père légendaire du séga. Quelque temps après Amick Teeluckdharry, réalisateur à la MBC, sollicita le duo pour un autre film-hommage à Ti Frer et le Mauritius Blue Penny Museum les invita à la réalisation d’un livret-CD qui porte le titre de Ti Frer Nu Gran Frer. Marsel Poinen a aussi, en tant que président de la Mauritius Society of Authors (MASA), qui se préoccupe de la gestion collective des droits d’auteurs des artistes mauriciens, participé à la sauvegarde audio des ségas de Ti Frer.

Mo’Zar.

Il a eu un parcours riche en rencontres, dont certaines ont marqué “ma vie, mon cœur et mon esprit à jamais”, dit-il. Ce fut le cas lorsqu’il fit la connaissance de José Thérèse lors d’un concert durant lequel lui-même et Lindsay Morvan furent invités à chanter. Ils étaient accompagnés de plusieurs musiciens. Parmi : le saxophoniste José Thérèse. Ce dernier venait de rentrer à Maurice comme musicien professionnel. Il était né et avait grandi à Roche-Bois, faubourg de Port-Louis miné par une grande pauvreté et un taux d’échec effarant à l’école. C’est tout naturellement que Marsel Poinen, qui siégeait au sein d’un comité créé par le gouvernement pour combattre l’exclusion entre autres par la musique, se tourna vers José Thérèse pour la création d’une école de musique à Roche-Bois. L’école prit le nom de l’Atelier Mo’Zar en 1996.

Rodrigues ou son histoire d’amour et d’amitié

L’histoire d’amour de Marsel Poinen avec Rodrigues remonte en 1986. Lui et Gaëtan Abel y étaient invités dans le cadre des dix ans de l’Organisation du Peuple Rodriguais (OPR). Pour l’occasion, Marsel Poinen composa Pa less li tonbe qui parlait de cette île fascinante. Il y retourna plusieurs fois en tant que représentant du Trust Fund for the integration of Vulnerable Groups pour coordonner diverses activités autour du logement et de l’artisanat.

Des visites qui firent émerger en lui sa passion pour la photographie. Ainsi est né Tipa Tipa dan lari Rodrig. Des photos prises avec son appareil photo illustrant l’âme de Rodrigues et de ses habitants. Ces instantanés donnèrent lieu à une exposition Portre dan lari Rodrig ek Haïti, car lors d’une visite en Haïti, Marsel Poinen fut agréablement surpris des similitudes entre les deux îles.

Sa caméra et autres engagements amenèrent aussi Marsel Poinen à côtoyer des artistes rodriguais. Cette amitié encouragea son exil. À ce propos, il explique “C’est comme si je vivais une résurrection créative. Je vis chaque instant en laissant mon feeling me guider sur différents projets. Fode pa kwrar ki Marsel an vakans ou an retret. Mo ankor pe grimpe, mo ankor ena kitsoz a fer. Mo santi mo ankor dwa a limanite”. Et actuellement il a en chantier une première comédie musicale 100% rodriguaise. D’autres créations suivront…

Jean Clément Cangy : “Un livre modeste pour un grand talent”

Il l’a côtoyé pendant longtemps puis leurs routes s’étaient séparées jusqu’à l’année dernière, en octobre, quand Jean Clément Cangy effectua un voyage à Rodrigues et revit Marsel Poinen : “Marsel m’a toujours impressionné. Ces retrouvailles m’ont tout de suite donné l’idée de lui consacrer ce livre hommage. Certes modeste face à ce grand talent, qui a débuté au ras du sol et  n’a jamais cessé d’avancer contre les hauts et les bas de la vie. ” Publié par Éditions Makanbo, Ti payanke rakont mwa Marsel Poinen créateur culturel sera en vente à Rs 200 chez les libraires à partir du 1er août.