A 15 ans, Sarah et Sarah Jane Lapuante ont un palmarès de victoire intéressant en athlétisme qu’en cyclisme. Elles font partie de l’équipe féminine nationale de cyclisme dans la Team MCB et ont récemment posé pour un panneau publicitaire placardé dans plusieurs régions de l’île. Ces jeunes filles qui vivent dans la grande précarité ont surtout réussi de se positionner comme des exemples de persévérance et d’espoir modèle à Bois Marchand, quartier enveloppé par les fléaux sociaux et les préjugés.
Applaudies et acclamées dans les compétitions, une fois rentrées chez elles c’est à la lueur d’une bougie qu’elles dinent et font leurs devoirs. C’est la dure réalité des jumelles Sarah et Sarah Jane Lapuante. Ces enfants de Bois Marchand avancent pourtant avec un mental de championnes, saisissant les opportunités pour prouver que : “La pauvreté ne freinent les ambitions”. Corabelle et Corabella (aussi surnommées Belle et Bella) sont plus connues sous le nom de Sarah et Sarah-Jane.
Nous retrouvons les jumelles chez elles à Bois Marchand. Avec leur mère et leur petite sœur, elles vivent dans un deux pièces sombre, sans ventilation et modestement meublé. Les feuilles de tôles de leur case sont rouillées et les vieilles poutres qui les soutiennent menacent de s’effondrer. Dans la cour, des arbres fruitiers, dont des bananiers, un poulailler, des sofas déchiquetés et autres débris entassés ici et là. Le logement n’est pas connecté à l’électricité ni à l’eau courante. Hormis de vivre dans la misère, les jumelles survivent dans des conditions difficiles pour nous de relater, surtout en ce moment. Mais, loin de s’apitoyer sur leur sort, les sœurs préfèrent relativiser. “Un jour, nous aurons un chez nous qui sera différent”, confie Sarah. Pour cela, elles misent énormément sur l’éducation et le sport.
Faire la différence
Sarah et Sarah-Jane sont dans l’académie de cyclisme de SAFIRE, une école de vie qui œuvre en faveur de la réintégration des enfants en situation de rue à travers le sport, notamment le cyclisme. Elles sont bénéficiaires de ce programme, visant également à tenir les enfants hors des fléaux sociaux, depuis 2018. A travers ce sport, elles sont parvenues à trouver un but à leur vie. “Avant le cyclisme, nous étions souvent dans la rue avec nos amis. C’était un refuge où nous pouvions discuter de nos problèmes avec des gens qui nous comprenaient”.
Aujourd’hui, leurs exploits sportifs font la fierté de leur quartier. “Beaucoup d’enfants veulent suivre notre exemple”. Dans les compétitions inter-collèges, elles raflent déjà plusieurs prix en athlétisme. “Malgré le fait que nous devons nous frotter à des adversaires plus expériencées et âgées que nous en cyclisme, nous arrivons souvent jusqu’au podium. Nous gardons en tête que rien n’est perdu et que nous avons le potentiel de les dépasser et de faire la différence si nous faisons des efforts, tout en étant régulières dans nos entrainements”. Pendant deux années consécutives, Sarah a été médaillée de bronze au circuit du Champ de Mars. Alors qu’aux Jeux des Jeunes Elites (2019), Sarah-Jane a terminé sur la troisième marche du podium.
Les sœurs jumelles se décrivent comme “Les meilleures amies du monde”. Malgré les petites disputes, l’une est toujours là pour relever l’autre, l’a motiver et l’encourager. “Par exemple, dans une compétition Intercross, quand je me suis fait renverser par d’autres filles, ma sœur n’a pas hésité à venir me tendre les mains, même si cela lui a couté la première place”, raconte Sarah-Jane. L’une comme l’autre est souvent tombée, mais elles se sont toujours relevées ensemble pour avancer. “Mem nou blese, nou malad, nou fer enn demars al nou lantrenman”, précise Sarah. A force de persévérance, les sœurs sont confiantes de pouvoir faire la différence et se mesurer aux plus grands dans des compétitions internationales.
Briller dans les études
Faisant partie de la Team MCB Girls, elles ont toutes deux eu l’opportunité de se retrouver sur un panneau publicitaire en début d’année. Des étoiles remplies les yeux, les sœurs parlent d’une expérience extraordinaire. “Nous sommes même passées à la télé et les gens nous reconnaissent. Dans notre famille et notre quartier, les gens sont fiers de nous”. Pour rajouter aux propos de sa sœur, Sarah Jane avance : “Mem si dimounn dir nou lendrwa pa bon, nou anvi montre ki ena bon kiksoz ladan e ki ena dimounn anvi avanse. Nou kontign manz ar li pou nou resi dan la vi”. Belle et Bella sont en Grade 10 au Collège International à Triolet. “Malgré nos conditions de vies, nous n’avons jamais redoublé une classe”, précise Sarah. Pendant le confinement, contrairement à leurs camarades de classes, elles n’ont pas réussi à suivre les classes en ligne. Pourtant, avec un portable à se partager à deux, elles ont essayé tant bien que mal de se rattraper avec les notes. “Nous essayons de réviser à la maison. Mais sans électricité c’est difficile. Même avec un package internet, encore une fois nous sommes obligées d’aller au bout de la rue pour trouver du réseau pour télécharger le contenu des classes”.
Ambitions et refus de la misère
A 15 ans, elles ont de belles ambitions. L’une veut devenir avocate et l’autre enseignante. Des métiers qu’elles veulent épouser avant tout pour aider les autres. Témoin et victime de violence familiale, elles ont eu une enfance compliquée. “Ma mère et nous avons aussi été exposées à la maltraitance d’un proche. Quand je vois les violences envers les enfants ça me touche”, confie Sarah. Des années plus tard, les souvenirs de cette période sombre sont encore vivaces dans la tête des jumelles. “Nou ankor mazine kan nu ti pe gagn maltrete. Bann souvenir la rest dan latet”, confie Sarah Jane. Pour toutes ses raisons, Sarah veut “lutter pour les droits des enfants et de la femme. Trop de femmes sont maltraitées par leur époux et je veux les défendre”. Sarah Jane souhaite rejoindre l’enseignement pour aider les enfants qui ont des difficultés d’apprentissage et qui ont du mal à se retrouver dans le système éducatif. “Beaucoup d’enfants sont mis de côté par leurs enseignants pour plusieurs raisons et n’ont pas les mêmes considérations”. Aussitôt qu’elles auront complété leur SC elles comptent “offrir des leçons particulières aux enfants qui ont des troubles d’apprentissage”.
Très fière de ses filles, Marie Louise Henriette ne compte plus les médailles qu’elles ont ramenées à la maison. Pour leur part, les sœurs souhaitent permettre à leur mère de souffler. “Même si nous ne sommes pas en mesure de sauver notre maison, nous allons avancer car nous voulons sortir notre mère de la misère. Depuis notre enfance, elle a été à la fois mère et père. Elle a enchainé les petits boulots pour pouvoir nous donner le nécessaire”.
Les sœurs jumelles sont deux pépites à l’état brut.