Le Worker’s Right Act et l’Equal Opportunity Act interdisent et sanctionnent la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle sur le lieu du travail. Deux lois qui prennent en compte l’hétérosexualité, l’homosexualité et la bisexualité sans toutefois protéger les personnes transgenres qui ne s’y retrouvent pas. Malgré le travail des ONG militant pour les droits des personnes LGBTQIA+, ou encore la sensibilisation en entreprise, cette communauté est toujours victime de discrimination à l’embauche et au cours de leur carrière.
“T’es un mec ! Qu’est-ce que tu fous dans les robes de filles ? Que je ne te revoie plus ici.” L’agent de sécurité où travaille Archi lui a lancé cette phrase sur un ton menaçant en s’apercevant à travers les caméras de sécurité que la jeune transgenre était habillée en femme. Agée de 26 ans, Archi a souvent été prise pour cible et discriminée au sein des différentes compagnies où elle a évoluées. Née dans un corps d’homme à la elle s’est toujours sentie femme. Naître dans le mauvais corps a été un véritable calvaire pour cette dernière. À force de prendre sur elle et d’intérioriser ses souffrances, ses craintes et ses frustrations, sa santé mentale en a pris un coup et elle a souvent fait des dépressions. “Je dirai que le monde du travail est toujours aussi discriminant. Ce qui rend difficile notre transition et notre intégration,” nous dit-elle.
Pas protégée par la loi
Selon l’expérience d’Archi, la vulnérabilité des personnes transgenres sur le marché du travail est une réalité bien présente à Maurice. Danisha Sornum, avocate spécialisée en droit discriminatoire, fait ressortir qu’elle ne peut se prononcer sur cette question. “Jusqu’à présent, aucun recensement n’a été fait sur le sujet.” Tout en précisant qu’il y a urgence à collecter des données sur l’ampleur réelle des discriminations en entreprises concernant les transgenres.
Anjeelee Beegun, co-fondatrice de RekonekT, tient à souligner que cette communauté n’est malheureusement pas protégée dans nos lois. Le Worker’s Right Act et l’Equal Opportunity Act offrent une définition limitée de l’orientation sexuelle. “Si une personne transsexuelle, asexuels et autres genres ne rentrent pas dans les cases hétérosexualité, homosexualité et bisexualité, elle ne peut se prévaloir de cette loi pour venir dire qu’elle a été discriminée.” Ce qui est encore plus désolant, c’est que trop souvent une personne qui se fait discriminer ne va pas saisir automatiquement l’Equal Opportunities Tribunal ou autre instance, car c’est une longue procédure pouvant s’étaler sur 5 à 8 ans. “Cette dernière préférera changer de travail plutôt que de s’engager sur ce terrain.”
Tokénisme
Lancée officiellement en février 2022, RekonekT vise à connecter les personnes LGBTIQA + avec le système qui les entoure avec dignité et l’estime de soi. Avant sa création, une étude de terrain a été réalisée et elle a mis en lumière la difficulté des personnes transgenres à se faire embaucher. Karla Michelle Delprado, Miss Trans Global Mauritius nous confiait d’ailleurs avoir la chance de travailler dans une compagnie privée de renom. “En revanche, je me suis aussi entendue dire que je suis la première, aussi bien que la dernière qui serait recrutée.” Anjeelee Beegun explique que le « tokénisme » rentre en jeu pour beaucoup de compagnies. C’est une pratique consistant à faire des efforts symboliques d’inclusion vis-à-vis des personnes des minorités dans le but de pouvoir se targuer d’être inclusives. “Nous voyons cela surtout avec les multinationales, qui ont certes des politiques d’inclusions, mais quand ces mêmes entreprises ont une branche à Maurice, elles peinent à implémenter les mêmes règles.”
Par rapport aux formations et sensibilisations en entreprises, Anjeelee Beegun note surtout que les considérations religieuses et sociales entrent souvent dans l’équation et empêchent les entreprises d’être plus inclusives. ”Le but de RekonekT c’est de se dire qu’une personne n’existe pas dans un vacuum, car toutes ces identités se composent. On peut à la fois être croyant, venir d’une région marginalisée, être une personne de couleur et être LGBTQIA+. Quand elle arrive dans le monde du travail, il faut qu’elle puisse venir avec toutes ses identités et non pas laisser quelques-unes ailleurs.”
Archi, employée dans un cabinet de recouvrement est désormais perçue comme une femme par ses collègues. Si elle a réussi sa transition, c’est en partie grâce à son entreprise qui l’a soutenue dans sa transition. Elle estime que si ses anciennes compagnies lui avaient offert une structure sécurisée et épanouissante pour faire sa transition, “J’aurais sauté ce cap plus tôt. J’ai perdu beaucoup de temps, car je n’acceptais pas de me montrer et de m’assumer.” Son message aux jeunes professionnelles trans, c’est de ne jamais baisser les bras. “Si aujourd’hui est difficile, demain sera meilleur qu’hier.”
Comment une entreprise peut-elle être plus inclusive ?
Anjeelee Beegun, de l’ONG RekonekT :
Elle peut être plus inclusive en utilisant les pronoms appropriés dans les emails, ne pas exiger qu’une personne s’habille en fonction du nom sur sa carte d’identité, mettre en place des toilettes non genrées, mais aussi former ses employés et ses clients par rapport aux transgenres. De même, rien n’empêche les entreprises d’aller au-delà de ce qui est préconisé dans l’Equal Opportunity Act pour favoriser davantage l’inclusion des personnes trans.
Quel intérêt pour les entreprises à être plus inclusives ?
Danisha Sornum, avocate spécialisée en droit discriminatoire :
À travers le monde, les chiffres montrent que les compagnies qui ont des politiques plus inclusives sont beaucoup plus productives et innovante, car c’est la compétence de la personne qui prime et non sa transidentité. De plus, ces entreprises ont un meilleur potentiel pour exploiter une plus grande part de marché. Il faut se tourner vers une politique inclusive non seulement parce que c’est la bonne chose à faire, mais aussi parce que c’est profitable. En effet, les critères environnementaux, sociaux et de eouvernance (ESG) rendent ainsi compte des agissements d’une société. Les compagnies ont ainsi une responsabilité sociale et la communauté internationale impose le ESG. La compagnie a tout à gagner à montrer qu’elle est inclusive, car les investisseurs potentiels demandent le ESG Policy de la compagnie pour veiller à ce qu’elle soit inclusive.