Micheline Virahsawmy, chanteuse engagée : Dans l’attente d’une reconnaissance amplement méritée

Micheline Virahsawmy a marqué l’histoire de la musique mauricienne en tant que chanteuse engagée pour l’avancement des droits des femmes, de la démocratie et du mauricianisme. À 70 ans, rongée par la maladie, sa flamme vacille un peu plus chaque jour malgré toute l’attention de lui apporte sa fille Meeraj. Cette dernière plaide pour que la contribution de sa mère soit reconnue et pour qu’elle sorte de l’oubli.

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Aujourd’hui, elle va un peu mieux. Quoi que fébrile après l’intervention subie la semaine dernière et sa séance de dialyse de la veille, la grande dame de la chanson mauricienne nous sourit en guise d’accueil tandis que sa fille Meeraj l’aide à s’installer dans un fauteuil. « Parfois, ça ne va pas très bien du tout », dit cette dernière. À 70 ans, Micheline Virahsawmy va au plus mal. Militante de la cause féminine et de la démocratie durant les années de braise, le temps l’a rattrapée. Bien qu’ayant perdu plusieurs kilos elle conserve sa gentillesse et l’humilité qui l’ont caractérisée quand elle était sur scène – à Maurice et ailleurs – et à l’écran.

Comme elle a besoin d’assistance, Meeraj, 37 ans, reste à son chevet : « Depuis l’époque, nous avons toujours appris à nous soutenir surtout quand ça allait très mal. Nou fin tuzur tombe leve ensam ». En 2010, un premier AVC l’avait contrainte d’arrêter son travail au Centre Culturel Africain où elle s’était faite gardienne des traditions. Quatre autres attaques depuis, au fil des années sa santé n’a cessé de se détériorer. Les trois séances de dialyse hebdomadaires qui l’aident à tenir ont commencé à la fin de 2021. Elle vit désormais principalement alitée. Malgré sa popularité et sa contribution dans l’histoire de la culture de Maurice, les visites sont rares.

Assise en face de sa mère, Meeraj ne cherche pas à contenir sa frustration. Cette reconnaissance que lui doit légitimement l’État et la société mauricienne c’est maintenant qu’elle doit le recevoir « et pas après. » Dans une lettre adressée au ministère des Arts et de la Culture Meeraj Virahsawmy a bien fait comprendre qu’elle n’admettra aucun hommage post-mortem : « Je ne vais pas tolérer cette hypocrisie. Trop souvent, c’est à la mort d’un artiste qu’on lui rend hommage. Ma mère mérite d’être saluée de son vivant pour la contribution qu’elle a eue au sein de la société. » Son autre regret reste aussi le manque d’attention de la communauté des artistes envers sa mère.

Cette demande pour la pleine reconnaissance est amplement justifiée.

En 1982, lorsque Mama Papa est classée en deuxième position du Concours Découverte RFI, Micheline Virahsawmy fait la fierté de tout son pays et contribue à briser les tabous qui gardaient les femmes hors de la scène du séga. Une dizaine d’années auparavant, les sœurs Rosemay et Micheline Lacariate bravaient les interdits en prenant le micro pour faire entendre leurs pensées au rythme du séga. Les Curepipiennes avaient suivi les traces de leurs frères et en 1972, elles avaient rejoint Soley Ruz aux côtés de Bam Cuttayen, Menwar, les frères Joganah et autres artistes engagés des années de braise. « Sa lepok la pa ti fasil pou enn  fam sant sega », nous disait-elle dans une interview accordée en juin 1998. « Les gens étaient surpris. Mais finalement ils ont apprécié », se souvient-elle dans son salon à Rose-Hill. Micheline Virahsawmy et Rosemay Nelson avaient contribué à ouvrir les portes du séga à davantage de femmes.

En 1996 elle le disait bien cependant : « Bizin aret sa zafer lev zip la. Bizin aret met deryer deor dan sega. » Elle avait eu une vision très précise du séga : « À l’époque, nous ne faisions pas de la musique pour nous amuser. Nous avions un engagement surtout politique. Notre but était de dénoncer le régime en place, parce qu’il y avait beaucoup trop d’injustice et de souffrance », disait-elle en 1996. Durant sa carrière, elle a ainsi toujours eu des chansons à texte : Mandela, Kamarad kamaron, Zoe, Linn ne dan lari, Mama papa.

« Garson premier lot, tifi deziem lot », dit cette chanson devenue un hymne pour l’avancement des droits des femmes. « Je l’ai chantée en me basant sur ce que je voyais autour de moi », explique-t-elle aujourd’hui. « Et ce que je disais dans mes chansons, je le pensai vraiment. » Pour résultat, si Meeraj n’a pas hérité du désir de chanter de sa mère, elle s’intéresse de très près à la politique. « Elle a fait de moi une battante, une femme indépendante, une fille forte. Si pa ti ena mo mama, mo pa krwar mo ti pou enkor dibout », dit Meeraj.

Cette dernière se plaît souvent à revoir les vidéos de sa mère sur Youtube et à écouter ses chansons. « Je suis contente de la voir telle qu’elle était. Mais, je suis triste quand je considère son état aujourd’hui. » Depuis peu, Micheline Virahsawmy a recommencé à lire la presse et écoute souvent la radio. Ses émissions préférées restant celles consacrées aux musiques oldies. « Mo sagrin lepasse. C enn lepok kip a pou retourne », dit Micheline Virahsawmy en se plongeant sans ses mémoires. Il n’y a pas que du noir : « Mais je suis satisfaite de la contribution que j’ai apportée. »

Ses souvenirs volent aussi vers Rosemay, cette sœur complice qu’elle n’a jamais oubliée et qui est décédée en 1990. Cette dernière, épouse du musicien Eric Nelson, a laissé en héritage au pays de son interprétation de Larivier Tanier. Les décès ont été nombreux dans sa famille après la perte de son père quand elle avait 10 ans. Cela fait longtemps que Micheline est la dernière des siens.

Aujourd’hui, Micheline ne souhaite pas être prise en photo. L’état dans lequel la maladie la met en ce moment n’est pas l’image qu’elle souhaite laissé. Bien que ne pouvant pas sortir souvent, elle reste consciente de ce qui l’entoure. Et le monde, tel qu’il l’évolue l’interpelle. En d’autres temps, celle qui a sorti son premier album Zoe, en 1998, aurait composé une chanson « pou fer dimoun pran konsians. » Et il y aurait des choses qu’elle aurait souhaité dire : « Me mo lespri p anbrouye. » En marge de la journée des droits des femmes, mère et fille partagent le même souhait : “Bizin protez ban fam. Fam bizin ini pou avanse.”

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