Deux confinements, le naufrage du Wakashio et sa marée noire, et sans compter les grosses averses de ces dernières semaines ont compliqué les sorties en mer. Résultat : le chômage touche de pleins fouets de nombreuses familles et les dettes s’accumulent à Mahébourg. La situation s’est tellement aggravée que l’espoir ne semble même plus permis pour certains. D’habitude paisible et calme, Mahébourg est au bord de l’explosion.
À Mahébourg, aujourd’hui la situation est telle qu’il n’y a plus d’activité. Dans le centre, habituellement très animés et fréquentés, de nombreux volets de magasins, restaurants et commerces restent fermés. Ceux qui tentent malgré tout d’opérer font la grimace car la clientèle ne court pas les rues. Côté mer, la situation n’est pas mieux. Les averses des dernières semaines ont privé les pêcheurs. Un an que ce petit village du Sud-Ouest, qui vivait principalement du tourisme ou de la pêche, subit coup sur coup. Directement ou indirectement, pratiquement toutes les familles sont concernées et touchées. “La situation est bien plus que grave. Un engrenage sans fin, et dans ce cercle vicieux très peu arrivent à garder espoir de pouvoir s’en sortir un jour” martèle plusieurs de ses habitants rencontrés. Parmi Virginie Orange, femme skippeur très connue de la région “Mon sentiment actuel c’est qu’on s’en lave totalement les mains de nous. En fait, nous les Mahébourgeois, nous avions toujours été des personnes qui travaillent et se débrouillent. Pendant le Wakashio, nous avons tous pris les devants pour agir. Malheureusement nous payons fort le prix de notre légendaire débrouillardise puisque l’État doit forcément se dire ou croire que nous allons rebondir sans eux comme d’habitude”.
La peur de tout perdre
Après avoir été sous les feux des projeteurs suite au naufrage du Wakashio et la marée noire, le village de Mahébourg et ses alentours sont retombés dans l’oubli. Deux confinements plus tard, surenchéris par la fermeture des frontières, les poches sont truffés de dettes. “Sans exagération, il faut dire que nous sommes la classe qui est la plus endettée à Maurice. Et comme aide, le gouvernement ne nous propose pas mieux que de fausses solutions”, souligne Stéphanie Apollon. Cette dernière est contrainte de dépendre de la pension de sa mère pour vivre. Même son de cloche pour Natasha Magraja de I Love Mahébourg spécialisée en pyrogravure : “Nous avons tous pris des emprunts pour acheter un terrain, construire une maison, une voiture que nous ne pouvons plus honorer aujourd’hui. C’est faux de croire que tout le monde a pu toucher de l’argent reversé par les assureurs du Wakashio. Et même ceux qui en ont bénéficié ne parviennent pas à sortir la tête de l’eau”. Ce que dénoncent aussi les habitants c’est surtout que personne ne vient de l’avant avec des solutions concrètes. Ils vivent quotidiennement dans la crainte de voir saisir leurs biens. Par ailleurs : “Qui va croire ou penser que notre côte est safe sachant qu’aucun rapport ni statistique n’a été fait et présenté pour évaluer la situation et affirmer que l’air, les eaux ou les poissons que nous consommons ne sont pas contaminés? Impossible de miser sur l’ouverture des frontières” évoque Laura Morosoli qui avec son fiancé travaillait principalement avec des touristes.
Refusant d’être des assistés, certains essaient de rebondir ou de trouver autre chose mais en vain. Virginie Orange compte plus de 20 ans de métier comme plaisancier “Quand on arrête ses études à 16 ans pour rentrer dans ce domaine de la mer comment se recycler et en quoi se recycler?” Le seul revenue de Natasha Magraja est sa pension de veuve et une allocation de Rs 1 500 pour l’un de ses deux enfants .“Je suis propriétaire d’un magasin d’artisanat que les touristes fréquentaient chaque jour. Certes il m’arrive d’avoir des clients locaux mais avec la Covid et le Wakashio, la plage fermée, sans compter que je travaille aussi pour des événements, j’ai raté plusieurs occasions pour avoir au moins de quoi rembourser mon loyer que je n’ai pu payer depuis un an. En tant que veuve je ne peux pas toucher le scheme de la MRA”.
Stéphanie Apollon joue sa dernière carte : celui de trouver des astuces pour réorienter son petit business familial, Kwizine Mama, lancé pour combler la perte d’emploi de son époux. Mais cette employée d’une compagnie de catamaran vient d’apprendre qu’elle ne touchera qu’une partie de son salaire qui n’équivaut même pas au montant de son emprunt : “Nous avions pu pendant un moment trouvé une table gratuite du côté de Tamarin pour vendre nos menus et autres préparations mais le Covid est revenu et nous a renvoyés au fond du trou. La clientèle étrangère et Mauricienne sont différentes. Je lutte face un mur”.
Au bord de l’explosion
Ce sentiment d’abandon, de lassitude et de désespoir commence donc à se transformer en colère. Malgré le fait que l’entraide, l’entente et la solidarité mahébourgeoise étaient parvenues jusqu’ici à éviter l’explosion. Elles-mêmes victimes et en grande difficulté financières, Laura Morosoli et Virginie Orange et d’autres habitants du coin font la distribution de vive. Leur constat sur le terrain s’avère inquiétant “Nous sommes témoins et nous côtoyons plusieurs familles brisées. Certains pensent au suicide. Les enfants ne peuvent plus partir à l’école. Il y a une urgence que l’État ne semble pas s’en rendre compte”. Le ras-le-bol a atteint son plus haut niveau. D’autant que les cas de vol augmentent et le fléau de drogue, surtout juvénile, fait ses ravages. “Qui a fait quoi pour Mahébourg? Personne. Peu importe le domaine, en matière de développement ou d’infrastructure, Mahébourg est à la ramasse. Les députés invisibles, ou simplement de passage une fois le temps, ne font même plus semblant de nous écouter.” Or ce village a plusieurs potentiels. Virginie Orange, comme beaucoup d’autres habitants, a des idées pouvant empêcher la noyade du village “L’histoire de Maurice a commencé, ici, il y a tellement de choses à découvrir et à visiter dans notre village. Mahébourg a une âme, une authenticité que d’autres villages n’ont pas que ce soit sur terre ou en mer. Il suffit de petits aménagements et de quelques développements pour que nous parvenions à reprendre vie. Par exemplese transformer en un petit village kreol et de mettre tous les artisans du coin pour faire venir des gens d’ailleurs. Le problème c’est que l’on ne nous écoute pas. Ce sont des personnes extérieures et sans connaissances du coin qui ont la responsabilité de notre village”.
Billy et Doriane, un couple de pêcheurs au chômage
Trois ans de cela, lorsqu’ils ont reçu les clés de leur maison, Billy et Doriane étaient tellement fiers et soulagés de pouvoir enfin offrir un meilleur avenir à leurs deux garçons. “C’était primordial de sortir mes enfants de là. Un environnement très malsain dans lequel j’ai moi-même grandi et où j’ai été témoin de tellement de fléaux que je ne pouvais pas leur faire subir.” Le couple de pêcheurs a alors durement travaillé pour réunir le montant du dépôt et ainsi passer du statut de squatteur, locataire à celui de propriétaire. Et ne voulant pas s’arrêter en si bon chemin, ils envisageaient d’autres projets pour améliorer leur situation familiale.
Mais actuellement, pour se nourrir, cette famille de Petit Bel Air dépend uniquement des packs alimentaires offerts par des bénévoles. Un coup dur pour Doriane : “Je me sens comme une mauvaise mère vis-à-vis de mes enfants. Ils vont bientôt reprendre l’école et à ce jour je ne sais pas si je serai en mesure de les envoyer car nous n’avons aucun revenu”. En plus des retards accumulés pour le paiement de la maison, les créanciers menacent de saisir leur motocyclette achetée pour se déplacer et vendre les produits de la mer. Et comme si leur détresse n’était pas assez lourde à porter, le moteur de leur bateau a été endommagé pendant les inondations et Billy ne peut pas se rendre en mer. Sans compter qu’il est toujours en attente de sa carte de pêcheur, il n’a donc pas droit à aucune allocation. “A chaque fois que j’essaie de faire un pas devant, je me retrouve à reculer dix pas en arrière. Sa sityason la mari manz servo. Nous tournons en rond sans solution malgré toute notre bonne volonté et notre envie de s’en sortir”.
En effet, ce couple aujourd’hui au chômage n’a jamais reculé devant les obstacles. Billy avait réussi à décrocher un petit boulot de jardinier chez deux familles et à aménager une serre chez lui pour revendre des fleurs tandis que Doriane parvenait à arrondir les fins de mois en proposant à certains restaurateurs du coin des recettes et préparations à base de larz dam. Sauf que tous ces petits à-côtés ne sont malheureusement pas suffisants “Nous croulons sous les dettes et la peur de se retrouver à la rue”.