Le dernier rapport du National Drug Observatory ne mentionne les cas d’overdoses fatales qui deviennent de plus en plus fréquentes depuis l’arrivée des drogues synthétiques. D’autant plus que, selon le dossier récemment publiée par l’Enhancing Africa’s Response to transnational organised crime, Maurice figure parmi les 3 premiers pays africains en terme de consommation de drogues synthétiques. Nous avons rencontré plusieurs personnes qui ont déjà été victimes d’overdose qui nous racontent leurs expériences de mort imminente desquelles elles ont heureusement survécu.
“Ou santi la mor pe vini”, “Santi lavi pe ale”, “Mo santi la mor pe koste.” Ce sont en ces termes que 3 de nos interlocuteurs décrivent le moment où ils ont été victimes d’une overdose suite à la consommation de drogues. Tous racontent pour avoir eu l’impression que leur dernière heure était arrivée, mais chacun confie avoir vécu la chose à sa manière en fonction du produit consommé.
Peur panique de la mort.
Shane a survécu à une overdose à la drogue synthétique en 2014 alors qu’il n’avait que 15 ans. Contrairement à beaucoup de jeunes qui en sont morts ces dernières années dans les mêmes circonstances, lui peut se considérer chanceux. Le jeune homme confie avoir consommé un produit qu’on surnommait blanche neige en compagnie d’un ami lorsqu’il a commencé à ressentir :“enn nisa pli for. Mon rythme cardiaque s’est mis à accélérer, j’ai commencé à avoir très peur. C’était une peur panique de la mort. Plus j’avais peur, plus mon rythme cardiaque s’accélérait. Mo lizie pe vir blan. J’étais sur une terrasse, je n’avais qu’une seule envie, me jeter de celle-ci afin que tout ceci s’arrête. Si j’avais été seul, je crois que je n’aurais pas survécu.”
Pour Sunita, qui a fait une overdose au Brown Sugar, l’expérience a été très différente. Mise à part cette sensation de laisser-aller qui survient au tout début :“J’ai senti quelque chose de puissant qui se passait dans mon corps et je m’étais évanouie au bout de 30 secondes sans avoir le temps de comprendre ce qui se passait. J’avais pris une dose élevée qui ne m’était pas destinée.” Cette expérience est survenue en 2010 alors qu’elle avait 20 ans et qu’elle venait tout juste de commencer à se droguer.
Mélange de psychotropes.
Cindy Hurdoyal, 39 ans, ancienne consommatrice de drogue -aujourd’hui Outreach Team Leader au Country Coordinating Mechanism -, et Armand Roussety, 40 ans, alias Ah Kwet, ont eux été victimes d’overdoses suite à la consommation d’un mélange de produits illicites. La première nommée avait consommé un mélange de psychotropes, d’héroïne, d’alcool et de drogue synthétique lors d’une fête après 4 mois de sevrage. “Je me souviens que ma copine, me voyant me pencher d’un côté, m’a demandée si je me sentais bien et je lui ai répondu que non. J’étais consciente qu’il m’arrivait quelque chose et que j’allais m’évanouir. J’avais l’habitude de consommer tout ça sans problème. Mais, mon corps ne pouvait plus supporter tout cela après 4 mois sans consommation”, raconte Cindy Hurdoyal.
Armand Roussety a lui été victime de 5 overdoses suite à la consommation de plusieurs psychotropes. Il confie que ces multiples expériences lui ont appris que, “tou lezour to lekor pa parey. Tu peux consommer la même quantité de drogues deux jours différents et faire une seule overdose. Je dois aussi souligner que, quand tu es sous l’effet de ces psychotropes, tu n’as plus vraiment la notion de la réalité. Tu peux avaler n’importe quoi sans le réaliser.”
Il se souvient de ce qu’il avait consommé lors de sa toute première overdose. “J’avais pris du Subutex puis 2 valium de 10 mg, 3 valium de 5 mg et des gouttes de rivotril. Déjà dans un état second, j’ai eu d’autres comprimés que j’ai pris et c’est là que j’ai fait l’overdose. Je me souviens juste de cette sensation de ne plus avoir de contrôle sur moi-même.” Il avance qu’il se rabattait sur les comprimés en raison de la pénurie de Brown Sugar qui prévalait en 2000. “Je prenais du brown sugar mais il n’y en avait plus sur le marché. Il n’y avait que du Subutex, ça me permettait de combler le manque mais pa gagn nisa. C’est pour cela que je m’étais tourné vers les psychotropes.”
Sensation d’être à jeun.
Sunita, 30 ans, confie qu’elle entendait des bruits qui semblaient provenir de très loin lors de son overdose. “C’était mes amis qui s’occupaient de moi, ils étaient entrain de me sauver la vie. On m’a frottée du piment dans la bouche et de l’eau sur le visage ainsi que sur tout le corps. Je sentais qu’on me giflait, j’avais mal mais j’étais incapable de réagir.” Elle confie aussi, qu’à son réveil, la première chose à laquelle elle pensa ce fut une autre dose de sa drogue. “La première chose que j’ai ressenti,, c’est ce sentiment de manque, j’avais envie d’une dose immédiatement. Deux amis à moi avaient ressentir la même chose pendant leurs overdoses respectives. On a la sensation d’être à jeun, ‘anvi gagn sa doz la’.”
Nos interlocuteurs confient tous avoir rencontré des difficultés à se situer dans le temps et l’espace pendant et après leurs expériences respectives. Ils ont eu l’impression que l’overdose a duré beaucoup plus longtemps que dans la réalité. “Dans ma tête, je suis resté comme çà pendant au moins une heure alors que ça n’a duré que 15 minutes selon ce qu’on m’a raconté par la suite”, dit Shane.
Ah Kwet, confie lui qu’il perdait connaissance à chaque fois. “La première fois, je me suis réveillé deux jours plus tard à la station de police avec aucun souvenir de ce qui s’était passé.” La fois la plus marquante fut pour lui, quand il s’était retrouvé dans le coma pendant deux semaines. “J’ai perdu deux semaines de ma vie sans souvenir de ce qui s’était passé.”
Ces expériences ont changé leurs perceptions de la vie à différents niveaux. “Quand j’y réfléchis, ‘mo ti pe zwe ar lamor sa lepok la’ me pa ti pe kapav kontrol sa”, dit Ah Kwet. Cindy Hurdoyal et Sunita ont, elles, eu des pensées pour leurs enfants alors qu’elles sortaient peu à peu des effets de leurs overdoses respectives. “J’ai pensé à mes 6 enfants, je me demandais comment ils allaient s’en sortir si j’y laissais la vie”, confie Cindy Hurdoyal. “Toutes mes pensées allaient vers mes deux enfants, je ne voulais pas les abandonner”, dit Sunita.
Les bons réflexes
“Il faut agir en urgence”, c’est ce qu’avait conseillé le Dr Mété, addictologue de La Réunion, que nous avions contacté en 2019 pour un autre texte sur le sujet. “Il faut s’assurer de la liberté des voies aériennes et placer la victime en position latérale de sécurité. Il faut alors appeler les secours et la surveiller dans l’attente de leur arrivée. Si la personne est en arrêt cardio-respiratoire (pas de respiration, pas de pouls carotidien pendant plus de 10 secondes), on pratique un massage cardiaque en association à un bouche-à-bouche : on alterne 30 massages cardiaques avec 2 insufflations respiratoires.”
Le Dr Anil Jhugroo, psychiatre, spécialiste en traitement des addictions, abonde dans le même sens. “Il faut avant tout appeler une ambulance ou le transporter directement à l’hôpital. En attendant, il faut placer la victime en position latérale de sécurité, c’est à dire sur le côté sur le bras gauche.” Si le patient est allongé sur le dos, la salive entrera dans le tube respiratoire, au lieu d’aller dans le tube digestif. “Vous pouvez également lui mettre de l’eau sur le visage et vous assurer qu’il demeure éveillé en lui parlant constamment.”
Le Dr Mété soulignait que : “En l’absence de traitement adapté, les lésions peuvent être irréversibles et le décès peut survenir en quelques minutes.” Quant à la prise en charge médicale, elle débutera par l’évaluation de la profondeur du coma, la fréquence cardiaque, la pression artérielle et en fonction de la respiration du patient. “On élimine d’autres causes de coma comme l’hypoglycémie par la mesure rapide de la glycémie par voie capillaire.” Après quoi, les médecins tenteront de déterminer de quel type de substance il s’agit.