La communauté musulmane vit un ramadan pas comme les autres cette année. Le confinement a nécessité une certaine organisation pour les prières et la rupture du jeûne au quotidien. Il a aussi permis à beaucoup de mieux se concentrer et d’aider à consolider les liens familiaux. En attente de la Eid, qui sera célébrée le 24 ou le 25 mai, les préparatifs vont bon train.
La première contrainte qu’a apportée le confinement pour les Mauriciens de confession musulmane pendant le ramadan a été l’impossibilité pour eux de se rendre à la mosquée pour les prières. Les cinq principales prières quotidiennes se sont faites à la maison. Le tahaweeh, où habituellement les chapitres du Quran sont récités dans les mosquées, a également dû être fait à la maison. Par ailleurs, chaque vendredi, comme le veut la coutume, plusieurs ont revêtu des habits neufs et se sont mis en condition pour la prière même s’ils ne pouvaient pas se rendre à la mosquée. « Les vendredis, je mets des vêtements blancs, je me parfume tout comme je l’aurais fait si je pouvais aller à la mosquée. L’important c’est de se mettre en condition pour prier », confie Iqbal Fatemamode. Nissar Ramtoola, président de la Jummah Mosque explique : « Le ramadan s’est très bien passé. Nous avons essayé de nous adapter à la situation. Nous avons consacré beaucoup plus de temps à la lecture du Quran. De même, la mosquée avait prévu des prières et des causeries en ligne. »
Aubaine.
Certains voient davantage les bons côtés de la chose. Nayim Shamutally, 57 ans, de Pailles est de ceux-là : « Le ramadan s’est très bien passé pour moi dans la mesure où le confinement a bien arrangé les choses. Les derniers 10 jours, le musulman est appelé à être confiné, le iftikar. En, général, on va à la mosquée. J’ai l’occasion de le faire chez moi-même. » Pour le couple Mehnaz (31 ans) et Ashfaq Koomar (33 ans) de Port-Louis, cela a été une aubaine. « Depuis l’année dernière, nous avions commencé progressivement à initier notre fille de 5 ans au jeûne. Vu que nous sommes confinés, cela nous permet de mieux gérer. »
Iqbal Fatemamode, 53 ans, de Souillac, se réjouit lui de pouvoir faire les prières en famille. « Chaque maison est devenue une mosquée, chacun est devenu un imam chez lui. Le confinement nous a donnés une occasion exceptionnelle de prier ensemble en famille et de raffermir les liens familiaux. Ça nous a aussi donnés l’occasion d’être plus appliqués dans nos prières puisque nous n’avions pas la pression et la fatigue du travail comme à l’accoutumée », soutient-il.
Ashfaq et Mehnaz Koomar de Port-louis y ont également trouvé du positif. « Ça nous a permis de ne pas être dans le rush pour manger le matin et prier avant d’aller au travail. Là, nous avons eu le temps de bien préparer la table et d’être concentrés. »
Tristesse.
D’autres ont vécu le ramadan difficilement dans les présentes conditions. « Je fais mes prières en congrégation en famille à la maison. Mais franchement, la mosquée me manque énormément. Surtout les dix dernières nuits du ramadan que je passais toujours en méditation à la Mosquée. Quand on prie à la mosquée, tout est différent, on sent les vibrations spirituelles que seules les fidèles peuvent comprendre. Nulle place ne peut être égale à la mosquée », confie Nissar Ramtoola. Saleem Pookhan, 45 ans, muezzin de la Jummah Mosque depuis 8 ans, confie ressentir un gros vide quand il a fini de faire l’appel à la prière. « Confinement ou pas, les heures de prières restent les mêmes. C’est mon rôle de faire l’appel à la prière. La seule différence était, qu’après l’appel, je ressens le vide. En temps normal, je suis entouré de plusieurs centaines de personnes. Ça m’a rendu triste. »
Au début du ramadan, quelques problèmes sont survenus, notamment en ce qu’il s’agit de l’iftar (la rupture du jeûne) et du sehri, le repas du matin avant le début de la prière et du jeûne. « Je n’ai pas pu avoir de ‘tam’frais comme je les aime, la qualité n’est pas la même. De même, beaucoup de gens aiment manger des gâteaux salés comme les samoussas, bajas, gâteaux piments pendant le ramadan. Au début, le manque de légumes sur le marché a fait qu’on n’a pas pu en manger trop souvent », soutient Iqbal Fatemamode. Par contre, Mehnaz Koomar se réjouit du fait que sa petite famille a beaucoup cuisiné ensemble pendant le ramadan. « Mon mari a appris à faire des gâteaux alors que nous avions l’habitude d’en acheter. Ça nous a aussi amenés à cuisiner en famille, nous qui avions plutôt l’habitude d’acheter à manger faute de temps. »
Folklore.
Par ailleurs, le côté folklorique du mois du ramadan a manqué à plus d’un. « Ce qui nous a manqué, c’est le folklore du Ramadan, l’effervescence qu’il y a en temps normal après la cinquième prière du soir. Parler à ses amis, du ramadan, de la prière. Les iftar parties, où nous allions chaque week-end chez un proche, nous manquent également », souligne Nayim Shamutally. Ashfaq Koomar regrette, lui aussi, de ne pouvoir vivre ce folklore. « Ma femme et moi, avions l’habitude, après l’iftar et la prière, d’aller manger des boulettes et nous délecter de l’ambiance à la Rue Desforges. »
Iqbal Fatemamode tire, lui, du positif de cette situation même s’il est triste de ne pas pouvoir se retrouver chez un proche chaque semaine pour partager un repas comme le veut la coutume. « Les gens ne vont pas aller sillonner les rues pour trouver des décorations, trouver les plus beaux habits pour faire de la compétition. Cette année-ci, nous retournons vers l’essence de la fête. »
Quant à la Eid, il n’est toujours pas clair dans quelles conditions elle sera célébrée. Le président de la Jummah Mosquée ne cache pas son désir que la communauté musulmane soit autorisée à se rendre à la mosquée. « Comme on entame la première phase du déconfinement, je garde plein espoir qu’on pourra se rendre à la mosquée pour la prière de la Eid en respectant les exigences sanitaires d’après les protocoles de l’OMS. »
D’autres regrettent que ces moments de partage et de camaraderie ne soient vraisemblablement pas présents. « Pour la Eid, nous ne pourrons pas faire le namaaz en dehors de la maison, il n’y aura pas cette fraternité en ce jour de contentement », dit Nayim Shamutally. « Cette fois-ci, il n’y aura pas d’embrassades ni de déjeuner avec toute la famille et les petites coutumes comme le partage de cadeaux pour les grands et d’enveloppes avec de l’argent pour les enfants », dit Iqbal Fatemahmode.