(Ce dossier a été publié en avril 2018 dans Scope Magazine)
Vous aviez déclaré à la presse en 2017 : “ Nous ne demandons que le respect et le droit de pratiquer notre religion ”. N’êtes-vous pas libre de le faire malgré les garanties offertes par la Constitution ?
La Constitution nous protège au niveau de la religion et explique que nous sommes libres de prier comme nous le souhaitons. Mais elle n’est pas appliquée. Pourquoi ? Ça, il faut le demander aux dirigeants. Nous leur réclamons une rencontre en vain depuis 2016. Quand ils prêtent serment, ministres et députés promettent “ to work for all citizens of Mauritius ”. J’ai une carte d’identité sur laquelle est inscrit que je suis Mauricien. La Constitution doit s’appliquer pour nous aussi ! Cependant, il y a une autre loi qui fait que nous nous retrouvons piégés par le système. Le gandia, qu’on utilise dans notre culture, tombe sous la Dangerous Drugs Act. N’est-ce pas anticonstitutionnel ?
Vous considérez donc que vos droits ne sont pas respectés.
Le Premier ministre n’a pas le droit de me dire comment prier. Et moi aussi je ne peux pas prier comme il me le dit. On ne peut pas dire à un hindou, à un musulman : “ hey, tu dois prier comme ça ”. Mais nous les respectons tous parce que c’est leur croyance. Toutefois, on ne respecte pas notre ‘livity’ (Ndlr: manière de vivre/d’être).
Depuis quand êtes-vous attiré par la culture rasta?
Depuis ma naissance. Il y avait tout le temps des petits déclics, des visions, mais je ne les considérais pas, tellement j’étais attiré par le matériel. Il y a une dizaine d’années, j’avais organisé le concert de Bob Marley à l’occasion de son anniversaire. C’est là que j’ai eu une révélation. J’ai entamé des recherches, posé des questions sur ce qu’est Dieu. Après des voyages, je me suis assis et j’ai médité. J’ai réalisé qu’il y a toutes les informations au plus profond de moi-même. Toi, tu peux me mentir, mais je ne peux pas me mentir à moi-même. Bob Marley disait: « Running away, but you can’t run away from yourself ». Aujourd’hui, je peux t’affirmer que je suis ce que je suis.
Quand avez-vous épousé la culture rasta?
En 2014 j’ai su réellement qui j’étais. Je dois dire merci à ma femme qui m’a soutenu, car tu arrives dans une dimension où la société te traite de fou. J’ai dû aller chercher la signification du mot ‘fou’, tu comprends ? C’est un mot qui empêche ton esprit de fonctionner, c’est-à-dire, quand tu arrives aux limites intellectuelles de la société, on a créé un terme: « hey, li fou sa ! » Quand tu dis cela, t’as arrêté toutes les recherches, t’as cliqué sur pause.
Le rasta libre cherchera toujours la vérité et n’acceptera pas d’être contrôlé. Et ceux qui occupent de grands postes connaissent cet état d’esprit pour avoir créé toute cette persécution. J’ai vu comment on nous menotte, on nous frappe et on rase nos cheveux si on est condamné. Tous les garde-chiourmes que j’ai rencontrés en prison m’ont dit, « hein, pou raz labarb-la, pou raz latet ! », comme-ci c’était un plaisir pour eux.
Comment viviez-vous avant cela ?
J’étais un businessman en plein dans la société matérielle. J’étais aussi un drogué de PlayStation et de l’iPhone… je suivais le train. Je viens d’une famille tamoule, mon grand-père était un prêtre, tu comprends ? Mes parents m’ont expliqué un système : « tu es ça, tu dois faire ça ». J’ai soulevé le Cavadee 36 fois. Je comprends parfaitement la religion tamoule. J’ai côtoyé un temple et y suis même resté pendant deux ans. Mais je ne me suis pas cantonné à cela. Je voulais connaître.
Ou est-ce que ça vous a mené ?
De cette base j’ai découvert le Thirukkural (Ndlr: livre de versés sacrés), qui sort du Ved (Ndlr: Textes anciens rédigés en Sanskrit). Et j’ai cherché dans le Ved ce qu’est cette base. Le Ved te dit : « You are one, you are everything ». Tu viens sur terre nue et tu repars de cette terre nue. Et ça, c’est la philosophie rasta. Le rasta vit libre avec tous les éléments. Dans le Ved, il y a l’élément de la terre, de l’eau, de l’air, du feu et des pierres qui composent ton corps physique. Quand tu vis en respect avec ça, tu disposes d’une bonne santé. Les rastas d’Afrique te diront la même chose. Tout comme les Sadus, les Yogis et les Babas de l’Inde. Quand tu étudies d’où prend source la racine de toute religion, c’est depuis le rasta.
La transition a-t-elle été difficile ?
Ça n’a pas été facile. Rasta, c’est une révélation individuelle.
Qu’en ont pensé vos proches et amis ?
Ils l’ont mal pris. A travers eux j’ai compris quelle éducation ils avaient reçue sur les rastas. Sur Internet, il y a beaucoup de négativité propagée sur les rastas, et il n’y a aucune confirmation concernant notre ‘livity’.
Que représente le gandia pour vous ?
C’est une plante comme les autres. La Bible parle de toutes les plantes avec les graines comme quelque chose que les hommes peuvent consommer. C’est justement ce qu’est le gandia. A travers le monde, il n’y a eu aucune overdose de gandia. Une seule personne en est morte à Maurice, c’est Kaya.
Le gandia ne détruit pas mon corps. Et je te le dis franchement, je n’ai pas besoin de lui. Mais c’est un remède. En tant que rasta, fumer du gandia intervient à un moment précis. Ce n’est pas nécessaire d’en fumer une journée. Si on en a en abondance, on peut l’utiliser de plusieurs manières. On peut l’incorporer dans les gâteaux comme n’importe quel ingrédient. Les feuilles ‘grenaz’, on s’en sert comme encens car ça nettoie toutes les impuretés dans l’air. Les gens à l’extérieur vont rire de toi si tu fumes ça. Ce n’est qu’à Maurice qu’on en vend.
Pensez-vous qu’un rasta devrait faire son entrée au parlement pour défendre les causes environnementales ?
Définitivement. Un rasta au parlement devrait devenir la voix des sans voix, sans faire comme les politiciens. Il devrait être un représentant du peuple, un défenseur de la nature et de notre oxygène. Pour l’heure, nous ne faisons pas de progrès. Si je passe à Rose-Hill, je peux pleurer à la vue de la Promenade Roland Armand. Les arbres purifient l’air. Ils les ont déracinés et ont introduit une autre pollution à la place. Les habitants sont depuis vulnérables à tous les virus.
De plus, si nous continuons à ignorer les éléments, nous nous dirigeons vers la catastrophe. L’eau, quand elle est en colère, c’est la catastrophe à Maurice. Et nous n’avons pas encore vu toute sa puissance. La terre a commencé à bouger et tous ont eu peur. J’espère qu’un rasta au parlement remédiera à cela.
Vous avez été emprisonné en novembre 2017 pour possession de gandia. Que tirez-vous de cet épisode?
J’étais en remand mais ils m’ont malgré tout incarcéré dans la prison de Beau-Bassin. Les policiers ont débarqué chez moi et ont eu un bong, un pouliah, ek enn latab gandia fini kraze. Je ne fais pas n’importe quoi avec ça ; je m’en sers pour ma méditation et pour prier.
Après 83 jours derrière les barreaux, je te confirme que nous sommes devenus une société de malades mentaux. Ce qui se passe en prison, c’est inexplicable, inhumain. Moralement, ils essaient de te détruire. On te dévie totalement de la vie que tu devrais mener. Puis, on prend ce prisonnier et on le remet dans la société. Je connais quelqu’un à Mahébourg qui a été emprisonné durant trois mois et qui, une fois libéré, s’est suicidé. Oui, peut-être a-t-il commis une offense, mais le détruire n’est pas une solution.
Quid de la drogue ?
En prison on m’a fait comprendre que je n’étais pas un drogué. Il n’y a pas de gandia mais de la drogue synthétique en abondance. Aussi, tous les matins un homme venait et disait : « Metadonn, tou droger vini ». J’ai été arrêté pour une affaire de drogue et quel est mon substitut? Pendant 83 jours je n’ai pas consommé de gandia. Mo pa’nn fat yen, mo pa’nn mor. Pourtant si le drogué n’avait pas eu sa méthadone, il aurait pu tout casser. En prison on t’explique que le gandia n’est pas une drogue.
J’y ai rencontré un parent qui a été enfermé parce qu’il avait des plants de cannabis chez lui. Il s’en servait pour faire de l’huile pour son enfant épileptique. Il a dû aller à la Réunion pour obtenir un traîtement. J’ai rencontré des gens qui sont en “remand” depuis deux ans à cause du gandia.
Comment ça se passait en cellule?
Tu dors dans une chambre sans toilette et tu dois te servir d’un pot. À 16h on entre dans le lockup et on y reste jusqu’à 6h du matin. On doit faire tous nos besoins dans ce pot alors qu’on vit à trois dans la même cellule. Notre déjeuner est à 11h, à midi on a notre thé… et notre dîner est à 15 heures. Quant aux repas, les animaux bien dressés ne mangeraient jamais cela.
Le Cavadee avait été fêté en prison et la MBC était venue. Manman bel netoyaz, drese partou. On lâche les prisonniers à un moment précis pour montrer que c’est la belle vie ici. Alors que non! Il faut qu’il y ait une visite-surprise des journalistes et de la Human Rights Commission.
Dans une vidéo qui a circulé sur les réseaux sociaux l’année dernière, on y voit un policier vous malmener. Est-ce une pratique récurrente envers les rastas?
Dès que je sors et je dois m’attendre à ce qu’un van de l’ADSU m’arrête. Je dois m’attendre à passer un sale quart d’heure avec eux, tu comprends? Ce matin je me suis réveillé comme le mardi 28 novembre. Ce jour-là, nous avons eu une surprise énorme, à 10 heures, quand plusieurs policiers ont débarqué avec des fusils. Alors qu’il n’y a pas d’armes dans ma maison. Si tu es un policier, tu préfèreras arrêter quelqu’un de pacifique plutôt qu’un parrain de la drogue. Si durant la semaine tu n’as pas mis la main sur assez de bandits, tu iras chez un rasta et l’enfermeras. Nous sommes vulnérables!
Jusqu’où se poursuivra votre plaidoyer pour l’acceptation culturelle?
On demande qu’on nous respecte comme des humains. Nous continuerons à semer l’amour malgré la persécution. Ceux qui plantent l’arbre de la haine, comprenez bien ce que vous faites à la société.
Propos recueillis par Joël Achille