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(Culture) Sur le plan local : Quand la musique fait débat

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(Culture) Sur le plan local : Quand la musique fait débat

X Fabiano de Tacha Ti L’Amour Doux fait actuellement le buzz sur la toile. Un exemple concret du style de musique qui s’impose dans le paysage local depuis quelques années déjà. Des chansons abondantes en rythmes, mais pauvres en textes. Un autre exemple d’un titre qui fait le buzz et qui prend à contre-pieds nombre d’artistes chevronnés et autres, engagés dans le débat quant au niveau de la musique mauricienne. L’ampleur que prennent ces succès éphémères interpelle alors que d’autres s’évertuent à faire preuve de créativité et de poésie.

Fabiano est devenu viral en très peu de temps. On en parle, on s’en amuse mais pour certains, c’est la chanson de trop. La communauté des artistes est d’autant plus divisée sur ces « phénomènes » qui prennent du galon aux dépens des chanteurs, compositeurs et musiciens chevronnés qui accordent un réel soin à leur écriture, à l’arrangement musical, aux aspects techniques, etc. Ce tube qui dérange beaucoup a été dénoncé à la MASA pour plagiat de la chanson Overload de Zinnia alors que la productrice de Tacha Ti L’Amour Doux, Judy Esther, a reçu des menaces. Mais Fabiano est loin d’être un OVNI dans le paysage. Chaque saison étant marquée par une chanson du genre qui connaît un grand succès avant d’être oubliée.

Démocratisation v/s médiocrité

Depuis quelques années déjà, une catégorie de jeunes émergents se complaît à produire une musique qui se traduit très souvent à un refrain accrocheur et posé sur un riddim rythmé. Zanzak Arjoon, membre du conseil d’administration de la MASA et président de l’Association des auteurs-compositeurs mauriciens (AACM), souligne : “D’un côté, nous avons une banque de riddim qui rend possible de télécharger une musique et de placer des textes dessus à moindre coût. Même s’il n’a pas les moyens de se payer un musicien et de réserver un studio, un artiste peut émerger à travers cette autre voie. De cette perspective, nous pouvons dire que ça a démocratisé la musique car ça reste dans le principe de base d’écrire une chanson et de la placer en musique.”

Cependant, le président de l’AACM prévient que : Le danger c’est qu’il arrive aussi que nous tombions dans la médiocrité, surtout quand nous avons des personnes qui ne maîtrisent guère ces choses. Nous entendons souvent des contretemps. À notre niveau, si nous faisons un contretemps, c’est esthétique. Mais quand une personne qui n’a pas eu de formation le fait, ça fait mal à l’oreille”.

En effet, ce qui nous est proposé suit définitivement la théorie de l’offre et de la demande. Selon la chanteuse AnneGa, chanteuse prometteuse de la nouvelle génération : “Il y a clairement un public pour. Les chiffres ne mentent pas si nous prenons en considération le nombre de vues et de partages sur les réseaux sociaux. Mais ce phénomène est présent à Maurice comme à l’étranger”. Zanzak Arjoon précise que si le goût du consommateur est déterminant. “C’est un phénomène que nous ne comprendrons pas, quelque chose de mystérieux que beaucoup dans le monde musical et artistique ne maîtrisent pas.” Il n’y a donc pas de quoi fustiger ceux qui s’engagent dans cette voie. La chanteuse, parolière et auteure en kreol Mélanie Pérès se positionne pour le respect d’autrui et trouve dommage l’acharnement, le rejet et la discrimination exprimés à l’égard des personnages comme Tacha Ti l’Amour. “Toute musique est une musique. Peu importe si ce n’est pas le style de musique que je vais écouter, du moment qu’il y a un travail derrière, passe un message. Laissez-la faire ce qu’elle veut”.

Manque d’infrastructures

Mélanie Pérès ajoute : “Il est vrai que beaucoup d’artistes travaillent énormément, se construisent un réseau autour d’eux, ont des producteurs et des managers, payent les studios très cher, mais ne se font pas entendre comme ces artistes-là le font”. AnneGa abonde dans le même sens, précisant : “Il y a une bonne communauté d’artistes faisant du beau travail de composition, de production et de réalisation ici. Ils se démènent nuit et jour pour joindre les deux bouts et vivre de leur passion. Ils prennent du temps pour s’améliorer afin de réussir et investissent dans leurs rêves. Ces artistes inspirent et sont surtout porteurs d’espoir.” Selon cette dernière, il est primordial de mettre en place une infrastructure pour les artistes. “C’est quand même un métier et il faudrait pouvoir respecter et protéger ceux qui le pratiquent vraiment en les séparant de ceux qui le font que pour créer le buzz et cela même en copiant des chansons qui existent déjà à l’international. Il n’y a pas de règles, pas de police de propriété intellectuelle.”

Bomboclak, de son vrai nom Kevin Meunier, fait partie de ces jeunes qui surfent sur cette nouvelle vague numérique. À son actif, Nou Nounn Nissa ou encore Bann Donner, des titres qui cumulent chacun des millions de vues sur YouTube. Il explique se faire énormément critiquer sur ce qu’il propose principalement à cause de la teneur de ses textes, sans doute. “Néanmoins, quand notre musique joue dans les boîtes de nuit tout le monde danse dessus. Beaucoup vivent encore dans une époque révolue, dans une ancienne génération et ne sont pas pour l’évolution musicale. Ce sont eux qui trouvent notre musique bizarre. Zot anvi kontign pil dan ansien.”À cela, on imagine qu’il aurait pu paraphraser le refrain de Bann Doner et répliquer : “Pran zot kritik met dan zot…  hey, hey.”

Dans l’édition de Scope datée du 3 au 9 février face à Bigg Frankii, Bruno Raya analysait cette évolution ainsi: “Quand le groupe OSB et le Festival Reggae Donn Sa marquent une pause en 2010, ça fait un trou dans l’histoire musicale. C’est de là d’où jaillit cette nouvelle génération qui tombe sous l’influence d’artistes américains, jamaïcains et africains proposant une musique commerciale. Nous, à l’époque, nous écoutions du KRS-One, Public Enemy et autres formations hip hop de grande influence”.

Succès éphémères

Bruno Raya s’exprimait également sur la contribution de grands artistes comme Kaya. “Il a dit et fait des choses qui durent. Mais pour le faire, ça a commencé par le texte. Il peut être commercial, mais sans rentrer dans des influences américaines et jamaïcaines qui ne sont pas en phase avec notre réalité.” Bigg Frankii, fer de lance d’une nouvelle mouvance musicale, s’est révélé avec un style plus ou moins similaire. Bruno Raya avait trouvé cette “absence de texte au profit de rythmes perturbant au début.”Cependant, à un certain moment, “Big Frankii a commencé à comprendre que le texte est aussi important et l’évolution dans ses textes est flagrante”. Bruno Raya et Mélanie Pérès citent tous deux des titres comme Zanfan Lakaz Tol où Bigg Frankii se révèle avec plus de profondeur. Avec la maturité musicale, le principal concerné avait lui-même confirmé s’en rendre compte en se réécoutant aujourd’hui “ Ne pas comprendre ce que je voulais dire à travers des titres comme Picoti Picota. Ti pe fer enn galimactia plito”. Mais vu que “les jeunes adhéraient à ce style et n’en avaient que faire du texte du moment que ça avait un bon beat et un bon riddim, j’ai continué dans cette voie. Et pendant un bon moment, je ne sortais que des chansons comme celles-ci”. La chanteuse Mélanie Peres trouve cependant dommage que des artistes comme lui soient classés “dans cette catégorie de musique populaire, un panier qui n’est pas le leur. Le travail qu’ils font derrière n’est pas assez mis en avant”. Ce qui définit chaque artiste, continue cette dernière, “C’est ce qu’il veut prôner et mettre en avant. Chacun écrit pour une raison. C’est comment tu te vois en tant qu’artiste et comment toi, artiste, tu te vois avancer.”

Recherche dans l’écriture

Le président de l’AACM est d’avis que : “Nous avons d’autres artistes qui, peu importe si leur musique est solvable financièrement ou pas, maintiennent que leurs créations ont besoin d’être un texte très bien travaillé quitte à prendre le temps. Ils doivent s’accompagner d’un groupe qui véhicule une musicalité très riche. Zanzak va un peu dans cette direction”. C’est aussi le cas pour AnneGa, la chanteuse de Remember Me et Sweet While. “Nous avons envie que notre musique voyage et soit appréciée dans chaque coin du monde. Nous bossons 7 jours sur 7 sans relâche pour nous améliorer”. En tant qu’artiste, Mélanie Peres est aussi beaucoup dans la recherche, “tant dans les paroles que dans la musique. Même si travailler une chanson me prend énormément de temps, ça me plaît ce travail de recherche”. Ramener des mots d’antan qui se perdent, chercher un juste milieu entre les sonorités d’autrefois celles d’aujourd’hui, trouver la bonne mélodie, c’est tout cela le défi qu’elle s’impose.

Pour avancer, Mélanie Pérès s’est entourée d’une équipe de musiciens qui partagent ces mêmes valeurs musicales. “Le plus intéressant, c’est que nous n’arrivons pas à définir l’identité de la musique. Je décrirais la mienne comme transgénérationnelle, tout simplement parce que je fais l’amalgame entre plusieurs générations”. L’écriture prend aussi énormément de temps à la chanteuse AnneGa qui aime bien avoir la journée de libre. “Maintenant j’ai plus d’expérience avec un album de 13 titres qui sortira bientôt. Toutes les chansons ont été écrites par moi et quelques-unes avec l’aide de Cédric Cartier, mon producteur. Je commence par choisir un thème qui me touche, il faut s’asseoir, réfléchir. Quand on a un bon feeling on sait que le travail a été bien fait. C’est là qu’on sait que la chanson est intéressante ! Le but c’est de toucher les gens de par notre vécu, de se rapprocher de tous et de partager nos joies et nos peines. ”

Bomboclak a bien reçu des propositions pour un projet musical différent, voire plus structuré, mais ce ne sera pas pour maintenant. L’habitant de Bambous a actuellement “un album d’ambiance appelé Kas Sa Bien en préparation”. D’un autre côté, Zanzak Arjoon conseille à un jeune qui émerge et qui n’a pas forcément les moyens “de solliciter une personne chevronnée dans le milieu pour l’aider même s’il travaille sur un riddim”. Par ailleurs, il rappelle : “Quand un musicien gratte son instrument et quand l’humain joue, c’est irremplaçable. Pour moi, ce n’est pas un riddim qui remplacera cela car sa faiblesse est d’être limitatif et ne laisse pas d’espace à l’improvisation. Je me positionne dessus parce que c’est bon d’entendre l’imperfection de l’humain qui contribue de façon paradoxale à donner une valeur esthétique à une musique. D’humain à l’humain, on peut mettre un autre accord, faire grincer le fil, donner plus d’accent, essayer un aigu ou un médium.”

Se démarquer musicalement

Parlant de concerts, Zanzak Arjoon note que : “Certains organisateurs préfèrent parfois aller dans cette direction car ils pensent qu’ils doivent réduire leur coût. D’autres, malgré tout, sont prêts à investir parce qu’ils savent que certains artistes sont des valeurs sûres quand ils jouent en  live.” Dans sa démarche d’essayer d’approfondir le débat, Zanzak Arjoon demande au public et aux artistes: “Réécoutez les propositions du concours Disque de l’année en insistant sur la forme musicale. Est-ce qu’après avoir écouté 15 à 20 titres, êtes-vous en mesure de dénoter la créativité ? Après quinze écoutes, n’êtes-vous pas fatigués ? Aux artistes, quand vous écoutez une vingtaine de titres, n’avez-vous pas envie de vous démarquer de ce flow musical que nous avons depuis ces 10 ou 15 dernières années ? Est-ce que vous ne vous sentez pas interpellés à proposer à Maurice une nouvelle direction musicale et vous démarquer ?”Il ajoute que Maurice a vu naître des artistes qui ont marqué notre histoire. “Kaya a apporté le seggae et Menwar le sagaï. Désiré François, Blakkayo, parmi d’autres, ont fait la différence sur le plan du charisme musical. Est-ce que vous n’avez pas envie demain de proposer comme eux, une nouvelle touche musicale à Maurice ?”