La première vague est passée, et un an après, alors que ses effets se font toujours sentir, la crise socio-économique s’est davantage amplifiée avec la deuxième vague. Maurice est à bout de souffle. Pour Patricia Adèle-Félicité de Caritas Maurice, pour le militant syndical Ashok Subron et pour le sociologue Malenn Oodiah, l’État mauricien ne peut plus tenir le même discours. L’heure est arrivée à revoir le fonctionnement du système économie, et surtout de passer à l’action de manière plus concrète, universelle et surtout pérenne.
L’impacts socio-économique de cette deuxième vague est définitivement plus lourd comparativement à l’année dernière. Se basant sur les observations du terrain auprès de pas moins de 3 500 familles, Patricia Adèle-Félicité indique que cette deuxième vague se fait ressentir surtout sur les familles de classe moyenne qui n’arrivent pas à remonter la pente avec des budgets familiaux réduitd à moitié ou complètement distendud “Beaucoup de ces personnes qui sont dans le secteur de l’hôtellerie, de l’aviation ou dans les usines commencent vraiment à perdre espoir. Les dettes s’accumulent, les dépenses de la famille augmentent et elles n’arrivent pas à joindre les deux bouts”. La secrétaire générale de Caritas Maurice ajoute : “Il n’y a pas qu’un impact socio-économique mais aussi un impact sur l’aspect émotionnel et mental des Mauriciens”. Malenn Oodiah est du même avis surtout que le chômage s’est développé et avec les fléaux qui sont associés. “La société mauricienne s’est fragilisée davantage avec la santé mentale de la population sous pression”. Ashok Subron souligne, quant à lui, que le Covid a simplement accentué un problème qui existait déjà. “Il ne faut pas tout mettre sur le dos du Covid. Notre modèle économique, que nous avons choisi d’adopter après l’indépendance, a de gros manquements. Et ce modèle montrait déjà un grave essoufflement .” Le militant syndical de Rezistans ek Alternativ pointe aussi du doigt des décisions prises pendant ce deuxième confinement qui ont encore aggraver la situation. “Certes nous sommes bien conscients des conséquences d’une crise sanitaire et nous sommes en faveur d’un confinement strict. Mais ce n’est pas normal d’ouvrir des centres commerciaux alors que les marchés restent fermés. Le marché c’est l’endroit où toute la production agricole des petits planteurs passe. Nous mettons un fardeau sur le dos des planteurs. Et tous les petits commerces en ont été extrêmement affectés parce qu’ils ne peuvent toujours pas opérer. Il y a énormément d’incohérences dans les décisions de l’État et cela aggrave la situation socio-économique”.
Et là où ça pose problème selon Ashok Subron, c’est le fait que l’État ne montre aucune volonté de changement. “Ni eux ni la classe dirigeante de l’oligarchie économique n’ont eu les capacités pour tirer les leçons nécessaires de tout ce qui s’est déroulé jusqu’à présent. Maurice s’enfonce”. Sans compter rajoute-t-il que leurs discours portent toujours sur la réouverture des frontières. “C’était la même attitude l’année dernière. Ils sont convaincus et veulent aussi tous nous faire croire que le Covid est de passage, puis que nous serons à nouveau Covid-free et que nous serons en mesure de rouvrir les frontières bientôt. Mais, plus personne n’est dupe. Nous savons tous qu’un retour à la normale à Maurice ne pourra jamais être possible”. Le syndicaliste ne voit aucune autre solution qu’une grande transformation, voire un changement radical c’est-à-dire d’orienter notre économie vers ce qui est essentiel. “ Une redéfinition est nécessaire dans la façon d’allouer nos ressources dans une société ainsi que l’introduction en général d’un Universal Income Grant à tous les citoyens et que le riche, qui ont bénéficié pendant des siècles grandement et disproportionnément de notre modèle développé post-indépendance donnent et payent à leur tour à travers l’introduction d’un Wealth Tax. Et bien entendu qu’il est un gel et aucune distribution de dividendes”.
Dans le même ton, le sociologue Malenn Oodiah avance pour sa part l’importance d’analyser l’impact économique et social de la deuxième vague en prenant en considération aussi la première. “La seconde vague est venue nous frapper alors que l’espoir d’une sortie de crise commençait à apparaitre. L’impact économique et social sera plus dur que la première. Nous allons connaitre dans les jours, semaines et mois et années à venir une très grave crise économique sociale et sociétale.”
Il cite ainsi l’exemple d’une annonce faite par l’agence de notation Moodys qui indique que la sortie de crise économique ne sera pas avant 2024. D’où la raison pour laquelle Patricia Adèle-Félicité de Caritas Maurice est d’avis qu’il faut dorénavant avoir une approche globale en mettant plusieurs secteurs ensemble et voir comment chacun peut apporter son expertise et son aide pour un travail à moyen et long terme.“Il y a beaucoup d’actions ponctuelles que l’on fait pendant le confinement pour soulager mais il faut penser au long terme, il faut penser plus durable”.
Face au nombre d’appels à l’aide reçu lors de ce deuxième confinement, beaucoup plus que l’année dernière, elle tire la sonnette d’alarme : “Il est urgent de trouver des solutions pérennes parce que donner des food packs, qui sont des trucs ponctuels, c’est surtout pour répondre à un besoin immédiat. Or, il y a tous les aspects de la famille, les solutions à long terme comme aider les familles à rebondir. Outre des programmes d’accompagnement et de soutien, il faut aussi penser à l’aspect psychologique parce que les gens sont en train de devenir dépressifs, et ça fait que nous aurons des effets boule-de-neige”. D’ailleurs Malenn Oodiah ne manque pas de souligner que la première et deuxième vagues viennent enfoncer davantage le clou en faisant resurgir des manquements du Plan Marshall dans la lutte contre la pauvreté. “Ce sont les ONG et la société civile qui se sont mobilisées pour venir en aide aux groupes vulnérables. Les inégalités se creusent et avec la précarité. Nous allons vivre moins trois années difficiles, et pour les surmonter, la solidarité nationale est plus que jamais nécessaire”.