Arts plastiques : Kamila Hurnaum parle en couleur

Il y a chez elle quelque chose qui rappelle l’univers d’Alice au Pays des merveilles. Kamila Hurnaum livre d’ailleurs un étonnant portrait du personnage de Lewis Carroll dans un tableau où les couleurs sont à la fois soft et trash. Dans les créations de l’artiste-peintre de 36 ans, les couleurs opposées s’entrechoquent pour créer une ambiance où surréalisme et réalisme portent ses personnages dans une autre dimension. Passant de la mélancolie à l'espoir en quelques coups de pinceaux l’enseignante parle en couleur portant dans son sillage élégance, finesse et souci du détail. En constante exploration pour toujours évoluer elle nous fait son portait du moment. Texte et photos : Jacques Achille

La fillette aux abeilles patiente sur un canevas adossé contre le mur de la cuisine. Quand ses émotions seront acerbes l’artiste replongera ses pinceaux dans sa palette où les couleurs figées en vagues silencieuses attendent pour compléter l’histoire qui se dessine lentement. Comme pour ses autres créations, à travers diverses nuances, la peintre rendra les yeux de la fillette expressifs. L’enfant pourra contempler les insectes dont les contours ont déjà été croqués sur la toile tendue. Les cheveux noirs de jais, des boucles turquoise pendant à ses oreilles, un anneau en or au nez, une tunique aux motifs ocres sur son jean et son top blanc Kamila Hurnaum est naturellement aussi élégante que surprenante. Ses tableaux portent cette part d’elle. Ainsi les abeilles seront comme dans des dessins animés pour contraster avec le réalisme du personnage principal de sa prochaine œuvre.

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Y rajoutera-t-elle des bouts de fil, des clous, du rocksand, des morceaux de tissus pour apporter du relief et des jeux d’ombres à cette scène surréaliste sortie de son imagination ? Kamila Hurnaum ne le sait pas encore. Jusqu’au coup de pinceau final, le tableau évoluera : “en fonction des émotions que je ressentirai dans l’instant présent.” On retrouvera, cependant, des couleurs en opposition mises sur la même fréquence. Il y aura aussi des détails inattendus. Peut-être des dentelles aussi finement dessinées que sur la robe de l’autre fille dont les brins de cheveux flottent dans une brise passante. Ou encore lignes fines imitant les craquelures de la Porcelaine de Chine qui constituent la peau du serpent blanc qui entoure son autoportrait. Des poils de chiens, des corps libérés. Des yeux qui parlent.

Tous ces éléments donnent de la dimension à ses tableaux tout en leur conférant une voix, quelque chose avec quoi dialoguer. Les œuvres de l’artiste sont aussi intenses que déconcertantes en cela. Elles interpellent comme des questions posées à l’improviste à ceux qui les observent. Une part de mélancolie, de l’optimisme, un sentiment d’évasion, du sombre et du clair, du clean et du trash, du réalisme, du surréalisme cohabitent dans les espaces où l’artiste dépose ses émotions sans retenue, sans chercher à plaire. « Dans le passé je peignais pour plaire. Désormais, c’est surtout pour exprimer ce que je ressens. » Et c’est alors que s’engage la conversation bien qu’elle préfère « ne pas répondre quand je suis questionnée sur la signification d’un tableau ». Sa part du dialogue ayant été posée sur la toile ou le bois, elle laisse l’interlocuteur écouter ce que lui dit la peinture puisque les réponses s’y trouvent déjà. Puis elle se met à l’écoute.

Quand elle sera complétée, la fillette aux abeilles rejoindra Alice devenue brune, son chat rose et son lapin blanc sur un fond jaune. Les deux personnages converseront certainement avec la fille aux yeux cheveux bleus dans sa belle robe à motifs et s’amuseront avec le chien poilu du garçon aux cheveux blancs qui contemple le mur rouge-ocre. Parmi les tableaux qu’elle dévoile Kamila Hurnaum nous présente ses ballerines. Parmi, une danseuse dont la robe rose porte des coups de pinceaux soyeux et aussi bien que les pointes agressives de petits tas de clous pour plus de reliefs. « Je n’ai jamais voulu m’enfermer dans un style. Depuis le départ je m’essaie à de nouvelles choses pour évoluer et ne pas rester figée. »

Après avoir longtemps mis la femme au centre de ses créations, l’enfant est son nouveau thème de prédilection. Il lui a fallu pour cela comprendre la raison de ce blocage qui lui interdisait de se tourner vers l’enfance. Elle a vécu avec des questions et des silences. Ce sont finalement des sessions de travail accompagnées et de méditation qui l’ont reconnectée avec son passé et des souffrances qu’elle avait tenté d’oublier. « Je voulais comprendre pourquoi je suis devenue ainsi et j’avais compris que beaucoup de choses étaient liées à mon enfance. Les séances m’ont aidée à prendre conscience des souffrances que j’avais portées et qui m’empêchaient de dessiner des enfants. »

Enseignante en arts depuis ses 19 ans, Kamila Hurnaum, 36 ans, a trouvé en la peinture un mode d’expression depuis sa plus tendre enfance. « Autant que je m’en souvienne, j’ai toujours peint. » L’enfant de Curepipe avait trouvé un exutoire pour dire ce que les mots ne lui permettaient pas de faire. Et c’est ainsi qu’elle s’est exposée et a exploré son monde. Les doigts, les yeux l’esprit ont suivi le processus lui permettant d’aiguiser sa technique qui se développait au fil de ses recherches et de ses rencontres avec d’autres artistes. L’exposition tenue à Curepipe, à 19 ans, indiquait la voie qu’elle avait choisie et son identité.

Depuis quatre à cinq ans, Kamila Hurmaun se dit artiste. « Jusqu’alors j’hésitai. Désormais c’est mon identité première. » La jeune femme s’exprime sur la toile comme d’autres le font dans un journal intime. « Pour moi l’art est comme un compagnon, un ami avec qui je chemine. » Chaque tableau porte un bout d’elle-même. Chaque personnage imaginé durant ses années « a été comme un personnage que j’ai enfanté. Quand je rentre chez moi, j’ai toujours l’impression qu’ils sont là pour m’accueillir. »

Animée par un esprit d’ouverture Kamila Hurnaum espère d’autres rencontres avec des artistes tout en saluant la Caudan Arts Centre, l’IFM, Lakaz d’Art, entre autres, pour les connexions qu’ils ont suscitées jusqu’ici. Les partages occasionnés ont été à la fois précieux et enrichissants pour l’artiste en perpétuel réflexion pour évoluer. Les projets viendront quand les occasions se présenteront. Les personnages existeront pour parler de son présent, Kamila Hurnaum demeure entretemps à l’écoute de la vie tout en parlant avec des couleurs.

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