REYNOLDS MICHEL
Le temps de l’Avent – cette année à partir du 28 novembre – est, pour les chrétien-ne-s, la période liturgique qui les prépare à célébrer la Nativité de Jésus à Bethléem. Cette année, cette préparation se fait sous le signe du Synode, un processus en cours dont la première phase vise à favoriser l’écoute et la consultation du Peuple de Dieu dans les Églises particulières (octobre 2021 – 2022)*. Et ce, dans un contexte marqué par les révélations terrifiantes du rapport Sauvé (5 octobre 2021) sur les abus sexuels commis dans l’Église catholique et les décisions courageuses des Évêques de France réunis en assemblée plénière à Lourdes du 2 au 8 novembre 2021. Bref, un contexte qui nous invite à regarder les choses en face pour rebondir et une invitation synodale à cheminer ensemble dans l’écoute, le dialogue et le discernement en vue d’un renouvellement de l’Église.
Regarder les choses en face pour rebondir
Lors de leur assemblée plénière à Lourdes, du 2 au 8 novembre 2021, pour examiner les recommandations du rapport Sauvé, les Évêques de France ont fait connaître leurs décisions après une écoute de la parole des victimes sur les choses terribles qui ont eu lieu (Mgr Leborgne, évêque d’Arras, vice-président de la conférence des évêques de France) et une écoute réciproque entre frères-évêques au contact de la parole de Dieu. Les faits sont là, incontestables, insiste le vice-président de la Conférence de France. « Les agresseurs ont trahi leur mission. Et ceux qui ont laissé faire, par complicité ou par leurs silences, ont trahi notre mission ». Il s’agit à présent de regarder les choses en face pour « rebondir. (…) Seule la vérité rend libre », ajoute l’évêque d’Arras.
Pour Véronique Margron, théologienne et présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, « C’est épouvantable de se dire que c’est dans une maison qui devrait être la plus sûre que des crimes se sont produits à cette ampleur et de cette façon. » (TV5 Monde, 07/11/2021) Elle évoque « le scandale de l’usage du secret : un secret funeste, coupable, complice, qui a entouré tant et tant de crimes commis. Les rendant plus cruels encore ». Bref, le secret comme pierre d’angle du “système”. Tout est là – dans cette loi du silence qui protège l’agresseur et non la victime – et depuis longtemps. C’est, du moins, un des facteurs qui ont permis que ces actes d’abus se perpétuent et ont empêché qu’ils soient dénoncés et sanctionnés.
En regardant en face la réalité des faits – le constat terrible du rapport Sauvé et le séisme qu’il a provoqué – et en se mettant à l’écoute des personnes victimes et de leurs proches, dans la prise de conscience que sauver une vie l’emporte sur tout, les Evêques de France, au terme de leur Assemblée plénière, ont reconnu la responsabilité institutionnelle de l’Église dans les violences sexuelles et leur caractère systémique. « Elles – ces violences – ne sont pas seulement le fait d’individus isolés, mais ont été rendues possibles par un contexte global. Des fonctionnements, des mentalités, des pratiques au sein de l’Église catholique ont permis que ces actes se perpétuent et ont empêché qu’ils soient dénoncés et sanctionnés », lit-on dans un texte synthétisant leurs décisions (Cf. Libération, 05/11/2021).
Ils ont acté les décisions suivantes : une instance nationale aura pour mission d’organiser l’indemnisation et la réparation dues aux victimes, neuf groupes de travail chargés de mettre en œuvre les recommandations de la commission Sauvé et une plus grande place des laïcs dans les sphères décisionnelles. Il convient de souligner que ces décisions ainsi que la reconnaissance de la responsabilité systémique de l’Église ont été accueillies avec une énorme satisfaction par les associations des victimes et le peuple chrétien dans son ensemble. Cet engagement dans un travail de renouvellement de l’Église est un grand pas en avant. Long est encore le chemin à parcourir pour être vraiment une Église de l’écoute et de la proximité.
Un moment providentiel pour une réforme profonde de l’Église
Le Synode sur la synodalité – processus de rencontre, d’écoute, de discernement et d’action en cours depuis le mois d’octobre 2021 – tombe au beau moment pour aider l’ensemble des baptisés, femmes et hommes, laïcs et clercs, à cheminer ensemble sur la voie du renouvellement de leur Église. Après un rappel « de la souffrance vécue par des personnes mineures et des adultes vulnérables à cause d’abus sexuels, d’abus de pouvoir et de conscience commis par un nombre important de clercs et de personnes consacrées au sein de l’Église », le Document préparatoire du Synode « reconnaît que l’Église n’a pas su suffisamment écouter le cri des victimes », tout en pointant un cléricalisme mortifère : « l’Église tout entière est appelée à reconnaître le poids d’une culture imprégnée de cléricalisme, héritage de son histoire, et avec pour conséquences des formes d’exercice de l’autorité sur lesquelles se greffent différents types d’abus ». D’où l’appel synodal à une conversion de l’agir ecclésial (Document préparatoire : Pour une Église synodale : communion, participation et mission, Rome, 7 septembre 2021).
Le synode, événement dans le monde catholique, sans doute, le plus important depuis la tenue du Concile Vatican II (1962-1965), est une opportunité pour le peuple chrétien de prendre son destin en main sous la conduite de l’Esprit, en cheminant sur la voie d’une réforme profonde des structures de l’Église. Ce moment synodal a même quelque chose de providentiel, parce qu’il offre un espace d’écoute et de discernement communautaire qui permet de coconstruire des remises en cause profondes, à commencer par un « démontage effectif de ce ‘système clérical’ qui est au principe à la fois des abus et de leur occultation par l’institution » (Danièle Hervieu-Léger, Le Monde, 21/10/2021).
L’Église, dit le pape François, existe pour évangéliser et elle doit commencer par elle-même, commencer par ‘nettoyer devant sa porte’, regarder et relire son histoire, puiser sa force dans l’Évangile, panser ses blessures et prendre davantage en compte ceux qui sont au bord du route. C’est toute l’Eglise qui est appelée à marcher ensemble » (L’Église en marche, octobre 2021 ; 03/08/2021). C’est là le défi. Est-ce que les baptisés dans leur ensemble – laïcs prêtres, religieux, religieuses – saisiront ce moment opportun pour entrer dans ce processus de réforme ? Le peu d’enthousiasme d’un certain nombre de laïcs et de prêtres pour entrer dans ce processus montre qu’il faut s’attendre à des résistances au changement. Mais le fait que de nombreuses Églises aient déjà entrepris des rencontres et lancé des processus de consultation du Peuple de dieu constitue un motif de grande espérance.
* MICHEL Reynolds, L’Église catholique convoquée en synode, In Presse-locale, octobre 2021