Un jour de pluie, recherchant un abri, au détour d’un dédale de rues du côté du Théâtre de Port Louis, je m’engageai sur une ruelle pavée de l’époque coloniale qui guida mes pas vers le Musée de la Photographie.
Cet établissement, humble de par sa taille, mais si imposant par sa collection ésotérique et unique à Maurice, regorge de trésors historiques et culturels. Après un échange de politesses et après m’avoir dévisagé de haut en bas – probablement ravi d’accueillir un ‘client’ par ce temps de chien – Tristan Bréville décida de me faire découvrir les lieux.
Sa moustache, très bien entretenue, évoqua en moi le « moustas… take bwat siraz », expression rendue immortelle dans les paroles d’un séga hit de Cyril Ramdoo. Sa bonhomie et son affabilité laissèrent une impression indélébile sur ma personne.
D’abord, le musée est réputé pour abriter le premier daguerréotype de Maurice, l’ancêtre de la photographie. Le daguerréotype est un procédé photographique, mis au point par Louis Daguerre et Nicéphore Niépce en 1835, qui permet de fixer des images sur une plaque.
Dans un autre coin du musée, mon esprit nota avec une certaine délectation intellectuelle les commentaires de Tristan Bréville, qui souligna le fait que la première feuille imprimée destinée à une circulation en masse à Maurice remonte à 1773. C’était Annonces, Affiches et Avis Divers pour les Colonies des Isles de France et de Bourbon, qui était l’embryon d’un journal moderne, et servait à disséminer les informations d’intérêt public. À titre de comparaison, l’Inde, la plus grande démocratie au monde, ne vit sa première publication publique que quelques années plus tard. Et, l’Afrique du Sud, le pays réputé pour être le plus développé en Afrique, n’eut son premier journal qu’en 1800. Tout ça pour dire que Maurice était déjà très en avance en son temps et possède une longue tradition de la presse écrite.
De même, Tristan Bréville a su documenter au gré des images l’émergence de la Cybercité d’Ébène avec la construction de la première Cyber Tower, quasiment étage par étage. Encore un vaste champ verdoyant de cannes dans les années 1990, Ébène s’est transformée en une vitrine d’un des piliers de l’économie mauricienne en l’espace d’une décennie. Aujourd’hui quand on pense au secteur de l’externalisation et tous les services rendus possibles par les TIC, la Cybercité d’Ebène vient tout de suite à l’esprit avec ses bâtiments iconiques et ces multinationales comme occupants, tels que Accenture, Ceridian, Hinduja, Huawei, Orange Business Services, SD Worx, pour ne citer que quelques-uns.
Sur son ordinateur Apple, Tristan Bréville me montra aussi avec fierté sa précieuse collection de photos sur Chinatown. En 1993, il répondit présent pour ‘fixer sur pellicule’ le terrible incendie qui détruisit plusieurs bâtiments dans ce quartier incontournable que tiennent tant à cœur tous les Mauriciens.
Tristan Bréville s’en souvient comme si c’était hier car il vaquait tranquillement à ses occupations quand le ‘Breaking News’ tomba. Reniflant qu’un pan de notre patrimoine allait partir en fumée, il se rua au Chinatown, à Port-Louis, pour tenter de photographier ce qui était possible avant leur disparition.
Il ne croyait pas si bien dire parce que cet incendie réduisit en cendres le siège du Chinese Chamber of Commerce – qui abritait des archives irremplaçables sur l’immigration chinoise au début du 20e siècle –, quand la Chambre tint le rôle de consulat de la République de Chine à Maurice, avant l’instauration de la République Populaire de Chine en 1949.
L’expérience client du Musée de la Photographie n’aurait sans doute pas été de la même facture sans la visite guidée par le propriétaire lui-même, qui connaissait la provenance et l’historique derrière chaque pièce acquise avec patience et amour. Écoutant les anecdotes de Tristan Bréville, je ne pus m’empêcher de ressentir l’enthousiasme indéniable qui animait cet homme.
Cette ardeur acquit une transmissibilité comparable à un variant du jour sous la passion à fleur de peau de cet homme très cultivé. Le musée de la Photographie est son magnum opus qu’il avait monté pièce par pièce, ou cadre par cadre, et qu’il lègue à la postérité.