Électricité: comment éviter le coup de grâce d’une hausse imminente?

Alors que partout les prix flambent, paradoxalement, il est possible de geler les prix de l’électricité à Maurice. C’est même une nécessité, car l’impact inflationniste d’une hausse dans le contexte actuel risque de faire souffrir davantage notre économie. La répercussion sur le coût de la vie et le danger d’une telle augmentation sur la stabilité sociale ne peuvent être sous-estimés.  Contrairement aux denrées importées et à d’autres services, le prix de l’électricité offre une rare marge de manœuvre qui peut être une vraie bouée de sauvetage face aux différentes crises qui nous menacent. Voici les raisons pour lesquelles un gel, même temporaire en attendant que la situation se décante, est possible et comment peut-on l’accomplir.

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1. Si la fourniture de l’énergie, particulièrement du gaz, pose un problème immédiat en Europe et dans d’autres pays suite à l’invasion russe en Ukraine, notre contexte par rapport à l’électricité n’est pas le même. Presque 60% de notre courant provient des Independent Power Producers    (IPPs) dont les contrats sont inchangés, voire ont été renouvelés selon les mêmes termes et conditions.  Ce que le CEB paie à ces IPPs aurait même dû être revu à la baisse parce que leurs centrales ont complété leurs cycles de vie, ou ont depuis longtemps recouvré leurs investissements. 

2. Pour ce qui est de la production du CEB à partir de l’huile lourde que nous importons, les cours du Brent  avaient atteint presque $139 le baril il y a plus d’un mois, mais depuis, une baisse a été notée.  En 2008, il y a eu pire avec un record absolu de $146, mais à peine 6 mois plus tard le cours retombait à $ 30 le baril. Il ne faut pas céder à la panique car une augmentation aujourd’hui serait un vrai coup de grâce. Le timing est tout sauf bon. Et nous avons les moyens de retarder cette hausse qui parait pourtant imminente.

3. Dans les mois suivants, avec l’hiver qui arrive à Maurice, il faut s’attendre à une nette diminution de la demande en électricité. Et l’été dans les pays du Nord y provoque une baisse similaire de la demande, donc du cours du pétrole sur le marché mondial. La croissance économique mondiale plus faible que prévue en 2022 ainsi que l’agitation sur les marchés suite à l’invasion russe pointent vers une stabilisation du cours de l’or noir dans un avenir proche. Toutes les crises énergétiques du passé n’ont pas duré trop longtemps et ont  déclenché des réponses stratégiques appropriées en termes de sécurité d’approvisionnement, mais surtout de recours aux renouvelables, aux économies d’énergie et à l’efficacité énergétique. Or, ce qui se passe sur le plan énergétique maintenant n’est même pas une crise réelle. Les solutions se dessinent et il ne nous faut pas faire de faux pas. 

4. Avec une très forte pluviométrie enregistrée à Maurice ces temps-ci,  l’hydro-électricité, étant  la source d’énergie la plus bon marché, a été d’un apport significatif. Aux heures de pointe, elle réduit le besoin de centrales à huile lourde ou au kérosène. Il faut aussi compter sur une pénétration de presque 25 % à partir de ressources locales comme la bagasse, le biogaz, le soleil et le vent. D’ailleurs, ce chiffre est appelé à passer à 60% dans 8 ans, soulignant le fait que notre dépendance sur les énergies fossiles importées ne doit pas devenir plus lourde. D’ailleurs, tous les projets en vue du CEB font appel aux énergies renouvelables qui sont devenues maintenant plus abordables que les ces dernières. À la lumière d’une telle vision et des stratégies en place, ou qui devraient l’être, toute hausse avec le cours du pétrole, ou la guerre en Ukraine, comme raison principale ne parait pas justifiée. Nous avons le choix de l’éviter dans l’intérêt supérieur du pays.

5. Dans un passé récent, le CEB avait des profits de plus Rs 3 milliards en réserve. Pourquoi n’avait-on pas baissé alors le prix de l’électricité ? On avait préféré transférer les fonds ailleurs, jusqu’à subventionner le prix à l’exportation du sucre, par exemple. Le raisonnement derrière le gel du prix de l’électricité aujourd’hui est le même derrière ce qui a motivé le Gouvernement à aider certains secteurs en difficulté, comme le tourisme, ou encore à sauver des emplois. Il y a une urgence socio-économique à apaiser la situation dans le pays. La hausse de l’électricité peut être la goutte d’eau qui fait déborder le vase car son effet se fera sentir partout. Dans tant de pays, un gel, ou des actions similaires, font leurs preuves. Là où le pouvoir a fait l’erreur de ne pas venir ainsi en aide à la population et au secteur économique, une  hausse n’a souvent apporté que du malheur. 

6. Le CEB a une marge de manœuvre non-négligeable car de nombreux gros consommateurs paient beaucoup moins que le coût de la production d’électricité. Dans l’industrie et le secteur des services financiers, les bénéficiaires de tarifs concessionnaires doivent payer le juste prix ou être sommés à faire des économies d’énergie. Nous avions même vu une usine utiliser de l’électricité pour chauffer de l’eau pour sa production car cela lui revient plus abordable que le gaz ou le solaire thermique. À Rodrigues, l’électricité est vendue à un coût subventionné. Afin de ne pas pénaliser ses habitants, tout en évitant que le CEB encoure des pertes, les énergies renouvelables doivent être encouragées.  Finalement, il y a trop de manque à gagner lorsque le CEB  investit dans la transmission et la distribution sans faire payer les coûts réels à certains gros promoteurs comme pour les smart cities, les centres commerciaux, les collectivités locales ou même le Metro Express. Et que dire si l’organisme réclamait une compensation de la part de firmes internationales, ou locales, si jamais celles-ci sont reconnues coupables de corruption à son détriment ?

7. Le gel des tarifs rendra le CEB déficitaire, tout au moins pendant un temps, mais l’ampleur de ce manque peut être réduite grâce à la maîtrise de la demande.  L’électricité la plus accessible, la moins chère et la plus propre est celle que nous n’utilisons pas. C’est ce que certains appellent les négawatts. Il faut une grande campagne nationale d’économie d’énergie et d’efficacité énergétique. Sans aucun investissement en technologie ou équipement, la sensibilisation seule peut mener une réduction d’au moins 5 % de la consommation dans la plupart des cas. Non seulement les utilisateurs en sortiront gagnants, mais le CEB accusera moins de perte au cas où il n’est pas payé comme il se doit pour chaque unité vendue. C’est le rôle de l’Energy Efficiency Management Office (EEMO) de piloter une telle campagne en agissant sur tous les fronts, de l’éducation des acheteurs aux étiquettes d’efficacité énergétique à la promotion d’une culture sobre de la gestion de l’énergie au quotidien en passant par la mise-en-œuvre des normes ISO 50000 développées par la Mauritius Standards Bureau (MSB) pour les entreprises.  Les trois items prioritaires de cette campagne doivent être les bâtiments, la climatisation et la réfrigération où le potentiel de réduire la facture est plus que significatif.

Concluons en soulignant que le gel des tarifs est une mesure temporaire pour donner à la population, mais aussi aux acteurs économiques, la possibilité de respirer. Sinon ce sera un coup de grâce très probablement pour beaucoup parmi eux. Contrairement au carburant pour les véhicules, par exemple, l’électricité provient de plusieurs intrants et son coût est répercuté directement dans plusieurs secteurs. Avec la contribution grandissante de sources locales renouvelables et la pratique du management de l’énergie, nous serons plus résilients à l’avenir. C’est en regardant dans cette direction que le CEB pourra se permettre de faire une croix un jour sur les énergies fossiles, à commencer dès maintenant en évitant de lier sa survie à la dépendance sur les revenus provenant de l’exploitation de ces énergies. Aura-t-on le courage politique de placer la survie économique du pays et la stabilité sociale au-dessus de la situation financière du CEB ? Tout au moins le temps qu’une certaine normalité soit retrouvée…

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