Zanzak Arjoon : « Les cadeaux vont pleuvoir sans pour autant que la chaîne de l’ignorance ne soit brisée »

Face à un système scolaire qui fait souvent violence aux enfants, notamment dans certaines régions défavorisées de l’ouest du pays, il fallait trouver un moyen pour les aider à réussir quand même. Zanzak Arjoon, président de l’association Le Pointe-Tamarin, fait le point.

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Zanzak Arjoon, vous êtes le président de l’association La Pointe-Tamarin et avez relancé le centre La Pointe-Tamarin Art et MUsic. Est-ce parce que le centre ne fonctionnait plus ?

Si au bout de 15 ans, les enfants et les jeunes qui fréquentent le centre continuent à être les meilleurs dans les arts dans leurs écoles respectives, c’est difficile de parler de dysfonctionnement.

Au contraire, le relancement s’inscrit dans la continuité. Au bout de quinze ans, nous avons voulu faire une rénovation adaptée dans l’air du temps. Elle est faite dans les règles de l’art par Mario Guillot, spécialiste de la décoration intérieure. Nous avons réussi grâce au génie de Mario l’agencement du vintage et du moderne pour restituer l’aspect de boutique coopérative qu’a connu ce bâtiment. Maintenant, c’est un bijou pour l’Ouest.

Quelque chose nous a tout le temps échappé dans l’histoire de ce projet. Vous pouvez nous en parler ?

En effet, ce projet repose sur deux mots, notamment la révolte et l’espoir. Je les ai empruntés du père Joseph Wresinski, fondateur du Mouvement ATD Quart-Monde. La révolte, parce que la circonscription No 14 a toujours été délaissée sur les plans éducatif, culturel et social. Certaines écoles peinent à traverser la barre des 30% de réussites aux examens. Il faut ajouter à cette carence la recrudescence de la drogue et de l’alcool. Le manque de mobilité par un système de transport inadéquat paralysait aussi la réussite scolaire et le développement sportif chez les jeunes. Il fallait se révolter en dénonçant la négligence des autorités à notre égard. Les institutions et la classe politique ont été interpellées et dénoncées.

Mais selon le père Joseph Wresinski, la révolte sans espoir n’est qu’une idéologie stérile. Alors, il fallait se retrousser les manches et se montrer créatif et déterminé afin de redonner espoir à un village happé dans sa routine. Mais la force de notre travail est tributaire d’une association de parents. Si les parents ont peur pour l’avenir de leurs enfants, vous avez là le principe moteur pour mener votre travail social.

Comment arrivez-vous à articuler révolte et espoir ? Un peu prétentieux, vous ne trouvez pas ? Parce que nous sommes à gauche ou à droite avec leurs extrêmes…

L’association La Pointe-Tamarin repose sur une théorie sociologique soutenue par l’éminent sociologue français, Pierre Bourdieu. Bourdieu, à partir d’une grille néomarxiste, affirme qu’il y a une violence symbolique au sein du milieu scolaire, mais ne propose pas de pédagogie d’action.

Pour nous, il ne s’agissait pas de combattre le système scolaire, ce qui aurait été d’ailleurs peine perdue. Alors, il fallait permettre aux enfants de nombreuses familles de réussir dans le système scolaire à travers la négociation culturelle. Puisque le clash de symboles dont parle Bourdieu est a priori culturel.

C’est dans cet ordre d’idée que l’association La Pointe-Tamarin a mis en place un emploi du temps autour de l’apprentissage de l’art plastique et la musique. Deux disciplines a priori culturelles.

Et parlons de l’école de Saint-Benoît R.C.A…

En parallèle, à l’école du village, nous y avons  introduit des cours d’art. Nos animateurs ont eu l’accueil désiré pour mener à bien cette expérience. Madame Favory, la maîtresse d’école de l’époque, avait compris notre démarche d’une importance capitale. Il faut noter que le personnel enseignant faisait tout son possible pour que dans d’autres matières les enfants arrivent à bien s’en sortir. Il y a eu une bonne articulation entre les matières dites académiques et les arts plastiques et la musique. Le rationnel et l’émotionnel étaient au rendez-vous de l’apprentissage. Nous suivons les théories d’Howard Gardner et celle de Pierre Bourdieu. C’est cette articulation qui nous a permis d’aboutir à faire monter la courbe à 70 % après deux ans.

Et Jean-Yves L’Onflé dans tout ça ?

Ce travail expérimental n’aurait pas connu le retentissement qu’il a aujourd’hui sans Jean-Yves L’Onflé, plus tard rejoint par Éric Laviolette et Mirella Ah-Fock. Enfant de pêcheur lui-même, Jean-Yves ne pouvait donner que ce qui l’a toujours hanté. C’est-à-dire, la plage et la mer. Jean-Yves a su trouver “the relevance of pedagogy’’. Nos jeunes se relativisent, se soignent et s’épanouissent dans l’apprentissage qu’ils entreprennent avec lui.

Le vécu culturel à l’intérieur des symboles du littoral était restauré et valorisé. À juste titre, l’école ne pouvait violenter symboliquement les jeunes. Donc, il y a eu quelque part l’instauration d’un dialogue entre la culture de l’école et celle du village.

Mais nous ne pouvons occulter tout le travail autour de la musique. Nous avons eu des pédagogues maestros pédagogues comme Kurwin Castel et ses lieutenants Samuel Dubois et Loïc Auguste avec la méthode Menwar. Gaëtan Sophie et bien d’autres sont venus consolider le système mis en place après.

Effectivement, à regarder le centre aujourd’hui, nous sommes en droit de se poser la question sur le financement d’une telle rénovation. Qu’en dites-vous ?

C’est triste, mais c’est important de dire des choses quelquefois. Il est important de souligner que la rénovation s’est passée à deux niveaux. D’abord, il y a eu l’apport des ami(e)s de l’association belge ASBL Hugo, dirigée par Éric et Michèle Klein, soutenus par leurs enfants Émmanuelle et Amandine. Et celui de l’Irlande à travers le couple Ben et Naomi Kitchin. Les gens sont venus, ont vu et ont cru. Ils ont même senti dans le long terme l’impact que l’association La Pointe-Tamarin produirait sur les plans artistique et éducatif dans cette région du pays.

Cela voudrait-il dire que vous n’êtes pas aidé par les autorités locales ?

Nous avons compris depuis longtemps que le social est intrinsèquement lié à la politique (non partisane) et aux institutions. C’est pour cela que dans vos colonnes, je réitère mes remerciements au conseil de district de Rivière-Noire. Les présidents se sont succédé certes, mais l’aide de cette institution est restée constante car chaque président(e) a compris le travail que l’on accomplit à Tamarin pour les enfants de la région.

L’histoire reste l’histoire et nous devons rester honnêtes devant l’histoire. Il est juste de dire que quand Alan Ganoo était au MMM, il nous a soutenus dans cette démarche sociale. Je souligne aussi l’autre ancienne militante en la personne de Shirin Aumeeruddy-Cziffra en tant qu’Ombudsperson for Children. Et comment oublier la place qu’a occupée Brigitte Masson dans notre mouvement pédagogique ?

Cette action mérite d’être reprise et répercutée dans toute la région. Les acteurs sociaux de la région doivent s’octroyer d’une structure comme celle de La Pointe-Tamarin. Il y va de l’avenir de cette circonscription, notamment pour ce qui du combat contre l’ignorance involontaire (celle qui relève de l’analphabétisme historique) et l’ignorance volontairement orchestrée pour maintenir le sous-développement du peuple de l’Ouest.

Après 15 années de pratique pédagogique, culturelle et sociale, nous aurions dû normalement avoir un statut consultatif auprès de diverses instances dans la promotion artistique, éducative et sociale. Nous sommes dans une conjoncture électorale et les cadeaux vont pleuvoir sans pour autant que la chaîne de l’ignorance soit brisée. J’invite le peuple à choisir les politiciens qui travaillent pour l’avenir de leurs enfants. C’est ma prière.

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