S’il y a un phénomène dont l’on parle finalement assez peu en matière de réchauffement climatique, c’est bien de la disparition progressive, mais inéluctable, de la biodiversité.
Bien plus concernés par des intérêts plus immédiats, nous commençons lentement à réfléchir aux différentes manières d’entamer une transition économique et sociétale, de même qu’aux moyens pouvant nous permettre de minimiser l’impact climatique, et dont, c’est vrai, les conséquences seront au fil des prochaines années de plus en plus dramatiques. Du coup, on paraît complètement oublier les innombrables espèces avec qui nous partageons notre planète, dont la survie dépend pourtant de nos actions et dont la majorité, d’ailleurs, était déjà là bien avant nous.
Quant à ceux qui jettent malgré tout un regard compatissant sur la disparition des espèces, la plupart s’apitoient davantage sur ces images d’ours polaires désemparés sur ce qui leur reste de banquise, voire encore sur la réduction critique des populations de koalas ou de manchots, que par le sort d’autres espèces d’apparence plus insignifiantes, tout au moins par la taille : les insectes !
« Pourquoi devrions-nous nous en préoccuper ? » pourrions-nous nous demander. Et bien pour plusieurs raisons. D’abord, bien sûr, parce qu’à l’instar des planctons dans l’océan, sur terre, les insectes revêtent une importance capitale dans la chaîne alimentaire animale, laquelle, autrement, serait totalement bouleversée. Ainsi, oiseaux, araignées et reptiles, pour n’évoquer que de ces quelques espèces, se retrouvaient sans l’apport nutritif essentiel à leur survie.
Il faut ensuite rappeler à ceux qui auraient séché les cours d’histoire naturelle que les insectes constituent aussi la principale source de pollinisation, les rendant ainsi indispensables à nos écosystèmes naturels. Ainsi, pas moins de 75% des variétés de plantes que nous consommons sont liées à la pollinisation. Moralité : pas d’insecte, pas de pollinisation, et donc pas de plantes ! Et si l’on ajoute à cela le fait que nos amis à six pattes jouent un important rôle dans la fertilisation des sols, l’on comprendra à quel point notre propre existence est étroitement liée à la leur.
Tout irait d’ailleurs pour le mieux dans le meilleur des mondes si l’homme n’était malheureusement pas passé par là. Ainsi, une récente synthèse de plusieurs dizaines d’études entamées sur la question met en exergue un fait pour le moins inquiétant : 40% des espèces d’insectes sont aujourd’hui en déclin et un tiers sont menacées. Pire encore, la totalité des insectes pourraient définitivement disparaître de notre planète d’ici… 100 ans ! Ce qui constituerait la pire extinction d’une espèce depuis la disparition des dinosaures.
Évidemment, l’activité humaine est directement pointée du doigt, à commencer, bien entendu, par le réchauffement climatique dans lequel nous nous sommes engagés depuis que nous avons transformé notre économie en société carbone, soit depuis quelques décennies seulement. Qui plus est, nous avons radicalement changé nos habitudes de production. Or, c’est un fait, la disparition progressive des insectes est également liée à l’agriculture intensive, dont nous n’arrivons pas à nous détacher.
Un autre aspect du problème concerne les insectes décrits comme « nuisibles » (nuisibles à nos intérêts, bien sûr, car en réalité ayant tout autant le droit de peuplement de la Terre que nous). À l’inverse des autres insectes, ceux-ci voient en effet paradoxalement leurs populations croître dans des proportions inquiétantes. En cause, une fois encore le changement climatique, la hausse des températures dopant en effet l’appétit et la reproduction des insectes nuisibles. Ainsi, selon les experts, le rendement global (et donc planétaire) de nos cultures de blé, de maïs et de riz diminuerait de 10% à 25% pour chaque degré supplémentaire du fait des pertes occasionnées par les insectes. Oui, mais pourquoi un tel appétit ? Eh bien d’une part parce que la chaleur augmente le taux métabolique des insectes, ayant pour effet de doper leur appétit, et, ensuite, parce que les populations d’insectes nuisibles augmenteront dans les régions tempérées, grosses productrices de céréales, faut-il le rappeler.
On le voit, cette disproportion entre la prolifération d’insectes nuisibles et la disparition de tous les autres constitue un problème de taille. Rétablir ce fragile équilibre est d’autant plus cornélien que les dégâts sont déjà considérables et que, réchauffement aidant, ils ne pourront que s’accentuer au cours des prochaines décennies. Notre survie, une fois encore, est pourtant intrinsèquement liée à cette question. Rappelons ainsi que la contribution de pollinisateurs (principalement les abeilles) à la production alimentaire mondiale avoisine les 153 milliards d’euros. Seuls les chiffres arrivant, semble-t-il, à nous toucher, ce seul argument devrait en tout cas nous inciter à prendre le problème un peu plus au sérieux.