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Vikash Tatayah (MWF) : « Les forêts mauriciennes disparaissent à vitesse grand V »

Alors que le développement durable, la protection de l’environnement et la biodiversité occupent une place de plus en plus prépondérante dans le discours politique à Maurice, Le Mauricien a rencontré cette semaine le directeur de la Mauritius Wildlife Foundation (MWF),Vikash Tatayah. Ce dernier nous parle de la préservation de la crécerelle, qui est devenue notre oiseau national depuis le 12 mars dernier, mais aussi du travail abattu par la fondation dans le domaine de la conservation. À ce propos, il tire la sonnette d’alarme quant à la disparition rapide de ce qu’il nous reste de forêts à Maurice. « L’environnement devrait devenir notre priorité No 1, parce qu’il est à la base de notre survie », dit-il.

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Comment avez-vous accueilli la proclamation de la crécerelle comme oiseau national de la République le 12 mars dernier ?
Cette proclamation démontre l’espoir d’inverser le déclin de la biodiversité. Maurice montre la voie à suivre. Il nous incombe cependant de continuer à restaurer notre faune, dans laquelle le faucon crécerelle de Maurice occupe une place de choix, et de construire un avenir meilleur et plus coloré, palpitant de vies.

Je vous avoue que c’est nous qui avons fait cette proposition au gouvernement, notre crainte étant alors jusque-là que le processus ne dure des années. On a été agréablement surpris que le gouvernement ait accepté. Tout s’est joué en l’espace de quelques semaines. On est très heureux que les autorités aient accepté cette proposition sans qu’il ne soit nécessaire d’organiser des comités et des discussions étendues. Le gouvernement était convaincu de la pertinence de notre demande. Une série de timbres-poste a aussi été lancée à cette occasion.

Comment se porte la crécerelle aujourd’hui ?
Nous avons entre 300 et 350 individus, qui évoluent sur la chaîne de montagnes de Bambous, à l’est du pays. On les retrouve aussi dans les gorges de la Rivière-Noire et dans les alentours.

Peut-on dire que la crécerelle est sauvée ?
Nous ne pouvons pas le dire. Il faut savoir que cette espèce a frôlé l’extinction dans les années 1970, où il ne restait que deux paires dans la nature et deux en captivité. Mais on a pu la sauver de l’extinction immédiate. La restauration du faucon crécerelle de Maurice est l’une des récupérations d’oiseaux les plus réussies au monde. Toutefois, il y a eu un déclin global depuis la fin des années 1990, lorsque nous avons cessé les soins intensifs des oiseaux sauvages et la libération d’un nombre relativement important d’oiseaux. Les crécerelles se sont adaptées à la capacité de rétention de l’habitat et il se pourrait bien que Maurice, avec sa quantité limitée de forêts de bonne qualité, ne soit pas en mesure d’en supporter beaucoup plus. Nous devrions, avec plus de soins apportés aux oiseaux sauvages et en installant des nichoirs supplémentaires, être en mesure d’arrêter ce déclin, et même avoir une augmentation modeste du nombre d’individus. Cet oiseau ne disparaîtra pas demain matin, mais il y a un travail de suivi à faire. C’est un exercice de longue haleine. Cela fait 50 ans qu’on y travaille et je suis certain que dans 50 ans, on y travaillera toujours. La crécerelle n’est pas sortie d’affaire complètement.
Le travail de conservation en est encore à ses débuts, et il y a encore beaucoup d’espèces d’animaux et de plantes qui ont besoin de notre aide. Il est important de développer une vision de ce à quoi nous voulons que Maurice ressemble dans un siècle et d’embrasser cet idéal, car dans la conservation, il y a peu de solutions rapides. Nous allons devoir prendre soin des crécerelles et leur fournir des nichoirs et des forêts saines, qui contiennent une abondance de geckos et d’autres aliments naturels.

Vous avez eu l’occasion de travailler avec Carl Jones à l’époque. Pouvez-vous nous en parler ?
Oui. J’ai été non seulement l’étudiant de Carl Jones, mais également son assistant. Il est mon mentor et mon gourou. C’était une occasion privilégiée que de travailler avec lui.

Quelle est sa contribution dans le sauvetage de la crécerelle ?
Il faut dire que Carl Jones a sa main, son pied et son cœur dans cette entreprise. Il est arrivé à Maurice à un moment critique. Le programme de conservation avait commencé en 1972 sans grand succès. Carl Jones a été un de rares chercheurs à être d’avis que la crécerelle pouvait être sauvée de l’extinction avec l’aide humaine. Il a travaillé de manière acharnée et a été au chevet des crécerelles jour et nuit pendant des années. Il n’était pas le seul à le faire, car il y avait aussi bien des étrangers que des Mauriciens, dont Yousouf Mungroo, qui étaient très actifs, mais il jouait un rôle central. Ce qui fait qu’aujourd’hui, Carl Jones est reconnu mondialement pour avoir contribué à ce sauvetage. Aujourd’hui, on continue le travail.

Doit-on toujours nourrir les crécerelles, même si elles sont dans la nature ?
On nourrit uniquement les oisillons, qu’on relâche dans la nature, comme cela a été le cas en février. On le fait jusqu’à ce qu’ils deviennent indépendants.

Il n’y a pas que les crécerelles qui ont été sauvées, car il y a aussi d’autres oiseaux. Pouvez-vous nous en parler ?
Maurice est le leader mondial en termes de sauvetage d’oiseaux. Cinq espèces ont été sauvées de l’extinction. Les crécerelles, bien sûr, mais aussi des pigeons des mares, les grosses cateaux vertes. À Rodrigues, il y a le cardinal de Rodrigues et l’oiseau au long bec. On a fait pas mal d’avancée pour le cardinal de Maurice et l’oiseau à lunettes. Le merle cuisinier, lui, demande une attention particulière.

Pouvez-vous nous parler de la MWF ?
La MWF a été créée en 1984, initialement sous le nom de Mauritian Wildlife Appeal Fund, par un petit groupe d’hommes d’affaires mauriciens motivés par la vision de Gerald Durrell, fondateur du Jersey Wildlife Preservation Trust, maintenant connu sous le nom du Durrell Wildlife Conservation Trust. Collin Hare, alors président d’IBL, était le premier président de la MWF. Il a joué un rôle très important pour la fondation.

Il faut savoir que pour qu’une Ong puisse fonctionner et perdurer, elle doit avoir une stabilité financière et organisationnelle. La MWF, qui fêtera son 40e anniversaire en 2024, est citée dans le monde comme une organisation modèle. Elle fait partie de quatre organisations qui tombent dans cette catégorie. De plus en plus, une Ong doit en outre fonctionner comme une entreprise pour pouvoir opérer. Elle doit gérer correctement les fonds mis à sa disposition, sans nécessairement faire de profits et être financièrement viable.

Collin Hare, qui avait une solide expérience des affaires, a contribué à jeter cette base organisationnelle de la MWF. Nous continuons sur cette base solide qu’il a construite. Ce qui fait que malgré les hauts et les bas, nous poursuivons le travail. La fondation est actuellement présidée par Tim Taylor. Les membres du conseil d’administration sont Deborah de Chazal, Feerdaus Bundhun, Philippe La Hausse de la Louvière, Gerard Pascal, Vikash Tatayah, Carl Jones, Eshan Dulloo et Jamieson Copsey.

La MWF a maintenu une relation très étroite avec le Jersey Wildlife Preservation Trust et dispose du soutien d’autres organisations de conservation, telles que le zoo de Chester (Royaume-Uni), le World Parrot Trust, le Peregrine Fund, le zoo de Philadelphie (États-Unis) et l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui travaillent tous en étroite collaboration avec nous, fournissant des fonds et partageant leur expertise sur les questions de gestion de la conservation. Depuis la création de la MWF, nous sommes fiers d’avoir été à la pointe du travail de conservation à Maurice et à Rodrigues. La passion et le dévouement sans faille de notre personnel et de nos bénévoles sur le terrain ont permis de ramener certaines des espèces endémiques d’oiseaux, de reptiles et de plantes les plus rares au monde, et qui étaient au bord de l’extinction.

Comment ces activités sont-elles financées ?
Il y a d’abord le CSR, entre autres. Concernant la crécerelle, nous bénéficions également de l’aide de la Standard Bank et de l’Adit Foundation, qui sont les deux « Gold Species Champions of the Kestrel Conservation Programme ».

Vous êtes également actif dans le domaine de la protection de la flore mauricienne. Pouvez-vous nous en parler ?
Beaucoup de travail se fait à Maurice et à Rodrigues concernant la flore. Des centaines d’espèces de plantes menacées auraient été beaucoup plus proches de la disparition si la MWF n’était pas intervenue. Souvent, ces plantes sont réduites à quelques individus seulement. Nous continuons à travailler sur des plantes rares, comme le poivrier noir, connu comme le bois de poivre à Maurice. À Rodrigues, il y a le bois pasner. Il y a un palmiste blanc à l’île ronde, dont un seul individu existe pour le moment.

On travaille également sur les reptiles et les chauves-souris. À ce propos, nous militons contre l’abattage des chauves-souris. Nous essayons de promouvoir une meilleure cohabitation avec les chauves-souris de Maurice. Nous avons également sauvé les chauves-souris de Rodrigues, qui frôlaient la disparition dans les années 1970. Les différentes administrations à Rodrigues nous ont beaucoup aidés en introduisant des législations concernant la protection des chauves-souris et la restauration des forêts. Il est vrai que des espèces exotiques et envahissantes ont été introduites, mais cela a quand même permis de créer de l’habitat pour les chauves-souris.

Nous venons de célébrer la Journée des forêts. Comment cette célébration vous interpelle-t-elle ?
À Maurice, il nous reste moins de 2% de notre flore endémique. La forêt qui est restée intacte par l’homme est un habitat naturel pour de nombreuses espèces endémiques, qui sont encore menacées d’extinction. Ces forêts, des forêts côtières sèches aux zones humides plus élevées, avec une vue imprenable sur les montagnes et les vallées, sont soit protégées par le gouvernement, par l’intermédiaire du National Parks and Conservation Service, soit sont des terres privées.
Je dois reconnaître toutefois que nous sommes très inquiets concernant l’état de nos forêts. La perte de forêts constitue à notre avis un problème majeur en ce moment. Il y a beaucoup de dégradations sous la pression des espèces envahissantes. De plus, on détruit les forêts pour construire des chalets ou lancer d’autres projets. Il y a des problèmes aussi bien sur les terrains privés que sur ceux appartenant à l’État.  Malgré les nombreux rapports produits afin de tirer la sonnette d’alarme, cette destruction se poursuit.

Que devrait faire l’État à ce sujet ?
Il doit protéger nos forêts. Le gouvernement a un droit de regard sur les terres de l’État. Cela veut dire que les autorités doivent aller voir sur place ce qui se passe. Il est urgent d’intervenir pour empêcher la destruction. Il faut non seulement sévir, mais également verbaliser ceux qui violent les lois. Il faut trouver une formule de collaboration entre le public et le privé, ce qui pourrait se faire, entre autres, à travers des incitations fiscales. Il est temps de réagir, car les forêts disparaissent à vitesse grand V. C’est vraiment très inquiétant.

Quid du tourisme et de la conservation ?
Nous essayons de promouvoir l’écotourisme. Si les touristes affectionnent nos plages, alors tant mieux, mais on voudrait promouvoir la découverte de l’intérieur de l’île. Nous souhaitons voir des projets qui allient le développement économique et la protection de l’environnement. Nous reconnaissons l’importance d’assurer un retour sur investissement, mais cela peut se faire en protégeant la nature, comme cela se fait à Ferney, à l’Ebony Forest, à l’île aux Aigrettes, à Grande-Montagne… L’industrie touristique évolue. Ce n’est plus celle qu’on a connue il y a 12 ans. Le touriste est plus écologique et averti. Il veut voir ce qui se fait de positif et veut être associé à des Success Stories. Or, Maurice dispose de Success Stories, que nous ne mettons pas suffisamment en exergue. Je connais des visiteurs qui viennent à Maurice pour voir les oiseaux. Ils veulent voir la crécerelle ou les pigeons des mares. Pourquoi ne mettons-nous pas cela en avant ? L’industrie locale aurait beaucoup à gagner.

Comment se présente l’île aux Aigrettes, située non loin du site du naufrage du Wakashio ?
L’île se porte très bien. Le naufrage du Wakashio nous avait fait craindre le pire. Mais on fait tout pour préserver l’état de santé des reptiles, de nos oiseaux et de nos plantes. Il faudrait un suivi à long terme afin d’être sûr qu’il n’y a pas eu d’impact irréversible dans les environs. L’île est désormais ouverte aux touristes. Nous sommes tributaires du nombre de visiteurs qui arrivent à Maurice. On attend nos visiteurs. Nous invitons les jeunes Mauriciens à venir travailler avec nous. Nous avons besoin de former les jeunes, qui sont susceptibles de prendre la relève.

Est-ce que les jeunes, justement, sont intéressés par la biodiversité et la conservation ?
Je dirais que ceux qui se sont joints à nous finissent à terme par épouser une carrière dans la conservation, C’est un métier qu’il faut continuer à valoriser. Il y a beaucoup de pressions sur nos jeunes. Il y a un changement culturel qui doit s’opérer et il faut également éduquer les parents. Il arrive en effet que ces derniers découragent les jeunes à se joindre à nous, en leur disant : « Ki to pe al travay dan bwa ? Rod enn travay dans biro ! ».

Il est malheureux que la société mauricienne n’ait pas encore valorisé ce métier de scientifique de terrain. Il y a des gens qui, après s’être joints à nous, ont complété leur Phd, sont aujourd’hui des directeurs dans la conservation et la protection de l’environnement. D’autres sont dans le secteur de la pêche. Plusieurs de nos collaborateurs font actuellement leur doctorat à l’Université de Maurice. La conservation est un métier d’avenir. Il est vrai que le démarrage est un peu lent, mais si vous avez la volonté, vous pouvez réussir. J’invite les jeunes à se joindre à nous. Un gros travail les attend. Ceux qui aiment la nature seront heureux d’effectuer ce travail, qui, soit dit en passant, est très exigeant.

Y a-t-il beaucoup d’étudiants étrangers qui viennent faire leur apprentissage à Maurice ?
Il y en a un peu moins aujourd’hui, en raison de la pandémie. Beaucoup ont par la suite épousé des carrières internationales. Ils sont Lecturers à l’université, chercheurs émérites, journalistes… Certains qui ont travaillé chez nous occupent actuellement de hautes responsabilités au Canada. Pas mal de Mauriciens ayant travaillé avec nous travaillent aujourd’hui au Labourdonnais ou sont partis aux Seychelles dans la conservation. Ils ont pu utiliser Maurice comme tremplin pour une carrière internationale.

De plus en plus, les partis politiques placent l’écologie et la conservation dans leur liste de priorités.
Tant mieux. Maurice est un peu en retard, car les partis écologistes, en Europe, datent des années 1960. Si l’écologie intéresse les partis politiques de tout bord, on ne peut qu’encourager cette démarche. De plus en plus, avec le changement climatique et les défis mondiaux, les politiciens doivent avoir dans leur programme un élément concernant la protection de l’environnement et l’écologie. C’est très encourageant.

Êtes-vous satisfait de la place accordée à l’écologie dans le curriculum scolaire ?
Regrettablement, non. La nature se découvre. C’est-à-dire qu’il faut sortir. Malheureusement, les sorties dans la nature ne sont pas encouragées. Or, c’est dans la nature qu’on découvre les espèces, qu’on découvre la faune et la flore. Comment peut-on amener les gens à aimer la nature s’ils n’ont pas vu de leurs propres yeux les éléments qui font la beauté de la nature. Il est important d’inculquer aussi bien aux jeunes et aux moins jeunes l’amour de la nature. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé un club, le Friends of Mauritius Wildlife, dans le but de familiariser ceux qui le souhaitent à la nature.
Les membres du public pourront ainsi découvrir les espèces et les plantes endémiques à travers des activités de plein air, comme la randonnée dans les forêts indigènes et les réserves protégées. De plus, devenir membre du Friends of Mauritius Wildlife signifie contribuer au travail de conservation intensif qui est effectué par la MWF depuis près de quatre décennies.

Un message pour terminer ?
Plus que jamais, il nous faut être au chevet de la nature et de l’environnement, qui se dégradent à Maurice. Si vous regardez les SDG des Nations Unies, Maurice est bien classée sur pratiquement tous les SDG, sauf le SDG 15, qui concerne la vie sur Terre et la nécessité de « protect, restore and promote sustainable use of terrestrial ecosystems, sustainably manage forests, combat desertification, and halt and reverse land degradation and halt biodiversity loss ».

Nous avons donc encore un long chemin à faire. Beaucoup de choses en dépendent. L’eau que nous buvons, l’air que nous respirons, les plages, la mer, les coraux, tous en dépendent. Il ne faut pas prendre tout cela en compte que pour l’industrie touristique, mais pour nous-même, qui vivons ici. Notre propre survie en dépend. Nous avons besoin d’avoir une eau potable, d’avoir des plages convenables, de pouvoir voir les dauphins et les baleines. L’environnement devrait devenir notre priorité No 1, parce qu’il est à la base de notre survie. Ce message ne passe pas suffisamment.

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