« Le score de 60-0 des dernières élections est venu montrer que le pouvoir est entre les mains du peuple et non entre celles des politiciens ! ». Ainsi parle Véronique Leu-Govind, présidente des Nouveaux Démocrates (ND) et ex-présidente du PMSD, une semaine après avoir prêté serment comme Junior Minister des Arts et de la Culture. Admirée pour son courage d’avoir démissionné de son ancien parti, elle n’oublie pas la douleur ressentie après avoir été brocardée par ses pairs d’alors. « Ce qui m’a le plus blessée, c’est la manière dont on m’a dénigrée. On a fait des commentaires sur mon accent, mon origine, ma maison, ma situation financière etc. C’était dénigrant et à la fois révoltant. Quand on m’a mise à la présidence du parti, on n’a pas vu tout cela ? Pourquoi alors m’avoir choisie comme présidente ? Juste à cause de mon profil ? Pour montrer aux gens que le parti a placé tel profil en tant que présidente en vue d’obtenir les votes d’un certain électorat ? ». La nouvelle députée se dit fière d’être Junior Minister « car on dit toujours que j’habite Case Noyale, dans une cité ». Elle se montre en outre admirative de Kushal Lobine, cofondateur des ND et qui est doté, dit-elle, d’un vrai sens de leadership. « On peut être à la tête d’un parti mais il nous faut savoir faire des sacrifices et non regarder d’abord notre intérêt, celui de notre enfant avant les autres ».
Vous venez de prêter serment comme Junior Minister des Arts et de la Culture. Comment accueillez-vous cette victoire : comme une revanche sur votre ancien parti, le PMSD, que vous avez quitté à quelques mois des élections ou simplement une victoire couronnant un travail de plusieurs années ?
Je pense que l’électorat a vu le travail assidu que j’ai abattu pendant une dizaine d’années sur le terrain, cela, même après avoir perdu les élections en 2019. J’ai toujours été là malgré les difficultés, même lorsque je n’étais pas députée, j’ai été présente pour les habitants de ma circonscription, surtout pour les plus démunis. Cela a porté ses fruits aujourd’hui et cela a été une très belle victoire de l’Alliance du Changement. Pour moi, le PMSD, c’est du passé. L’électorat nous a donné un mandat clair aujourd’hui : 60-0. Il nous faut maintenant répondre aux attentes de la population et de nos circonscriptions respectives. Le PMSD est déjà écrasé là où il est, avec ce score de 60-0 et un seul député au Parlement. Et encore, il a fallu retirer Aurore Perraud de la circonscription no 4 pour qu’Adrien Duval soit Best Loser.
En avril dernier, peu après votre démission du PMSD, vous parliez, le cœur lourd, de ce parti où vous aviez milité plus de 10 ans et que vous disiez ne plus reconnaître. En tant que présidente, disiez-vous, vous vous êtes sentie blessée de ne pas être au courant que vous n’alliez pas avoir de ticket. Aujourd’hui, cette victoire est-elle venue panser cette blessure ?
On sait comment cela se passe en politique par rapport à la distribution des tickets. On ne va pas faire semblant de ne pas savoir comment cela se déroule. Il y a certains qui n’auront pas de tickets et ce n’est que la veille qu’ils le sauront. Mais, en tant que présidente d’alors du parti, je considère qu’il y avait un minimum de respect à avoir. Mais, ce qui m’a le plus agacée par-dessus tout, ce sont les négociations avec le MSM derrière notre dos. Nous n’étions pas d’accord pour aller avec le MSM. Je savais qu’aller avec le MSM serait une grande erreur. Ils n’ont pas voulu entendre raison et voilà le résultat.
Chacun assume aujourd’hui ses responsabilités. Moi, ce qui m’a le plus blessée, c’est la manière dont on m’a dénigrée et rien ne pourra cicatriser cette blessure, je pense. On a fait des commentaires sur mon accent, mon origine, ma maison, ma situation financière etc. C’était dénigrant et à la fois révoltant. Quand on m’a mise à la présidence du parti, on n’a pas vu tout cela. Pourquoi alors m’avoir choisie comme présidente ? Juste à cause de mon profil ? Pour montrer aux gens que le parti a placé tel profil en tant que présidente en vue d’obtenir les votes d’un certain électorat ? Plus jamais ne laisserai-je les gens se servir de moi de la sorte ! Je ne mérite pas la manière dont on m’a dénigrée, surtout en tant que femme. Je ne mérite pas cela. Ce qui m’a aussi choquée, c’est qu’il y avait beaucoup de femmes dans le parti qui ont gardé le silence face à tout cela au lieu de voice out pour dire qu’on dépassait les limites. Je suis heureuse d’avoir des amis comme Kushal Lobine, Richard Duval, Rouben Mooroongapillay et Serge Arlanda qui m’ont suivie après ma démission. Je pense que c’est une étape de ma vie qui restera gravée. Je poursuis aujourd’hui mon chemin et cette expérience m’a rendue plus forte.
Vous attendiez-vous à aller aussi loin en dehors du PMSD ? Quelle leçon tirez-vous de cette expérience ?
En politique, si on ne prend pas de risque, on n’arrive pas bien loin. Il y a des décisions bien dures à prendre mais si nous restons dans notre zone de confort, nous n’irons pas loin. Il y a des situations où il nous faut Voice Out et dire notre désaccord, peu importe où on se trouve. Il nous faut des personnes qui réfléchissent en politique et non des followers. Je ne m’attendais pas à ma démission, il est vrai, à parvenir aussi loin où je suis aujourd’hui. Je remercie Kushal Lobine qui, lorsqu’un Junior Minister a été alloué aux Nouveaux Démocrates, a préféré me le laisser. Je lui suis très reconnaissante, de même qu’à Richard Duval, qui a aussi été profondément blessé dans l’ancien parti. Aujourd’hui, il est ministre du Tourisme.
Khushal Lobine, cofondateur des Nouveaux Démocrates, a été élu premier membre de la circonscription no 15, avec 35 834 voix. Êtes-vous triste qu’il n’ait pas été choisi comme ministre ?
Certes, mais en même temps je suis très fière de lui car il est doté d’un vrai sens de leadership. Il aurait pu militer pour obtenir un ministère ou un siège de Junior Minister mais il a jugé mieux de s’occuper du nouveau parti pour le faire grandir. Il a préféré céder sa place. On peut être à la tête d’un parti mais il nous faut savoir faire des sacrifices et non regarder d’abord notre intérêt, celui de notre enfant avant les autres. Kushal Lobine m’a fait savoir que je suis la première personne à avoir eu le courage de démissionner du PMSD et que je suis la seule femme à avoir eu un ticket aux ND et cela lui fait donc honneur de me céder cette place.
Comment interprétez-vous ce 60-0 des dernières législatives ?
C’est le mauricianisme qui a primé. La population nous a donné carte blanche, ce qui montre que le pouvoir est entre les mains du peuple et non entre les mains des politiciens. Chacun doit à présent assumer ses responsabilités car demain nous pourrons nous retrouver dans la même situation. Nous n’avons pas droit à l’erreur. Quand j’ai démissionné du PMSD, j’ai rencontré les deux leaders de l’Alliance du Changement. Ils m’ont redonné confiance alors que j’étais démoralisée. Paul Bérenger, par amitié, m’a confié ce que telle personne avait dit à mon encontre. Ils ont salué la décision que j’avais prise et ils étaient contents car sans ma démission, ils n’auraient pas su ce qui se tramait de l’autre côté. Ils m’ont assurée d’un ticket aux élections. Navin Ramgoolam m’a dit que cela relevait du fairness et de ne pas le remercier car je le méritais de par mon parcours et de par les problèmes que j’ai rencontrés. Aujourd’hui, je suis là, Junior Minister. C’est une fierté car on dit toujours que j’habite Case-Noyale, dans une cité. J’ai débuté à Case-Noyale, Petite-Rivière-Noire, en tant que conseillère de village. Ce sont mes villageois qui m’ont amenée là où je suis aujourd’hui. Ils sont très fiers d’avoir un Junior Minister dans leur endroit. Mais, il faut garder les pieds sur terre !
À quel point sentez-vous que la nouvelle mission de Junior Minister des Arts et de la Culture est taillée pour vous, et comment comptez-vous y apporter votre contribution ?
J’ai toujours aimé les Arts. J’aime la danse, la musique et j’aime l’immersion dans les autres cultures. J’ai toujours mené le combat aux côtés des artistes. Je suis sensible à la manière dont les artistes sont traités ; j’ai fait des démarches pour qu’ils puissent organiser des concerts. On a déjà dit que j’étais la seule politicienne à être descendue dans les rues pour revendiquer les droits des artistes. Je remercie le Premier ministre de me donner l’opportunité de travailler une fois de plus avec les artistes mais aussi avec les instances paraétatiques dont les Speaking Unions, les centres de lecture etc. Il nous faudra faire de sorte à rendre notre culture plus vivante ; les musées et les centres culturels plus accessibles. J’ai été pendant un court instant présidente du Morne Heritage Trust Fund. Il y a beaucoup à faire au Morne aussi. On se targue d’avoir un site patrimonial au Morne alors que l’eau qui coule du robinet est boueuse. J’ai déjà parlé de ce problème au ministère concerné.
Quid de votre rôle de députée au No 14 (Savanne/Rivière-Noire). Comment comptez-vous venir en aide aux habitants de la circonscription ?
Il y a un gros souci d’eau dans la circonscription et les inondations aussi sont un problème avec les drains etc. Il existe des lacunes au niveau des ambulances et des dispensaires comme celui à Baie-du-Cap. La priorité est la santé des habitants. Il y a un manque d’effectifs au niveau de la force policière à Flic-en-Flac. Mes deux colistiers et moi avions déjà un plan de travail et nous verrons comment le mettre en œuvre.
Comment se portent les Nouveaux Démocrates après les élections et comment évoluera le parti ?
Les ND se portent à merveille. Sur ses 3 candidats, tous ont été élus ! Il nous faut grandir. Une personne qui croyait vraiment en un avenir pour ce parti, c’est Kushal Lobine. J’étais complètement perdue après ma démission du PMSD et c’est lui qui m’a encouragée. J’étais dégoûtée de la politique et il m’a persuadée que j’avais un grand avenir devant moi. Je suis Junior Minister aujourd’hui. Je le remercie et je remercie Richard Duval aussi.
Si vous deviez faire une relecture de votre parcours en tant que politicienne, qu’est-ce qui ressort comme leçon, comme morale ?
Il faut prendre des risques en politique et ne pas avoir peur d’affronter les difficultés. Dans le monde de la politique, il y a du bon mais cela peut être aussi cruel. Il ne faut pas baisser les bras. Surtout quand nous avons l’électorat et la famille qui nous soutiennent. Il y a des coups bas mais il faut persévérer.
La possibilité pour les femmes de percer en politique, y croyez-vous davantage aujourd’hui ?
Oui, avec les 60-0, nous avons eu 10 femmes au Parlement. C’est à nous de donner l’exemple, de bien faire notre travail pour qu’aux prochaines élections, la population renouvelle leur confiance en nous. Moi-même, j’ai déjà dit que l’électorat ne fait pas confiance aux femmes mais si nous voulons qu’on nous fasse davantage confiance, il nous faut ne pas rater cette opportunité que nous avons aujourd’hui en tant qu’élues de montrer de quoi nous sommes capables.
Qu’espérez-vous pour votre pays aujourd’hui ?
Que notre pays revive, que les citoyens retrouvent leur liberté après avoir été ‘muselés’ sous l’ancien gouvernement. Que les Mauriciens, surtout les démunis, retrouvent la joie de vivre ! Que nous puissions avoir des réformes constitutionnelles pour qu’aucun gouvernement ne vienne abuser de son pouvoir pour museler la population. Les fonctionnaires revivent aujourd’hui car ils étaient sous pression. Que prime la méritocratie ! Avec 60 élus, nous avons l’effectif nécessaire d’agir.