Une plume ou trois croix tracées à l’encre de nos espoirs…

– Non à la peur, oui à la démocratie !

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GILLIAN GENEVIÈVE

Dimanche, en faisant le tour de l’île, il était possible, déjà, de percevoir et de ressentir l’euphorie, comme un frémissement de joie dans tous les coins et recoins de l’île. On chantait même l’hymne national! Certes, l’attente allait être encore longue jusqu’au lendemain car, en sus de l’impatience, la crainte de la fraude était palpable; le citoyen mauricien avait peur qu’on lui joue un mauvais tour.

Mais on sentait, malgré tout, que les jeux étaient faits. Les Mauriciens avaient compris les enjeux, ils avaient intériorisé l’idée qu’on ne pouvait pas se permettre de garder ce gouvernement pour un troisième mandat et on ressentait chez eux, tôt le matin, dimanche, qu’ils étaient heureux et qu’ils trépignaient d’impatience de faire leur devoir.

C’est cela qui est beau en démocratie (quand les conditions sont réunies) : on a tous la possibilité, individuellement, à un moment ou un autre, de reprendre le pouvoir et d’exprimer notre volonté.

Le citoyen mauricien reste profondément attaché à cette démarche, il est profondément démocrate dans l’âme et, heureusement, malgré les coups de boutoir du régime sortant contre nos institutions et les coups de canifs profonds dans la chair même de ce qui fait notre démocratie, il nous restait encore, en termes de marge institutionnelle et de lucidité, ce qu’il fallait pour que le peuple puisse avoir la possibilité de s’exprimer.

Il est probable qu’un troisième mandat sous la bannière orange, vu la tendance de ces dernières années, aurait été fatal à cela. Tout cela est désormais, heureusement, derrière nous; nous avions une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes et nous nous en sommes débarrassés collectivement.

Je l’ai dit dans un précédent article : le Mauricien n’aime pas avoir peur, n’aime pas qu’on lui fasse peur; il n’aime pas vivre dans un climat de peur et de terreur. On a intériorisé l’idée de vivre dans un paradis où la paix et la légèreté règnent, où on se retrouve sur nos plages les week-ends ou chez la famille ou en randonnée pour profiter de cette quiétude propre à notre vécu dans ce pays ; cela fait partie de notre ADN. Et c’est cela aussi qui a été mis à mal par le régime sortant.

On vivait désormais dans la peur. Du planting et autres représailles. Même dans l’intimité des salons on osait à peine murmurer nos constats et griefs. Mais le Mauricien descend rarement dans les rues (on le lui reproche souvent) mais au fond, c’est aussi une espèce de bon sens inné chez lui. Il ne désire pas faire la révolution et provoquer un bain de sang.

Pacifique, et sentant intuitivement qu’une révolution, sur ce petit bout d’île, loin de tout, nous plongerait dans les méandres d’une guerre civile dont on se remettrait pas, le Mauricien attend le jour des élections et fait sa révolution dans les urnes. Dans ce sens, on peut parler de peuple admirable.

Les raisons d’une défaite

Ce qui est admirable également, c’est qu’il a su dire à Pravind Jugnauth et à ses alliés que tout ne se résume pas à l’argent pour le Mauricien. Certes, il était en passe de devenir un assisté avec un régime prêt à tout pour acheter son âme afin de se maintenir au pouvoir, mais il a su se ressaisir à temps ou trouver la lucidité nécessaire pour avoir le courage de dire non à une dérive démagogique dangereuse pour notre devenir commun.

En fait, en agissant ainsi, le MSM et ses alliés sont passés à côté de l’essentiel (n’en déplaise à Xavier-Luc Duval), à côté de ce qui fait la singularité du Mauricien: un profond attachement à des valeurs, entre autres démocratiques, qui font que nous arrivons à vivre en paix, malgré nos différences, dans cette île minuscule.

Le gouvernement MSM et ses alliés, surtout le PMSD, ont oublié cela. Le Mauricien, par le vote, leur a envoyé un rappel cinglant de ce trait propre à notre peuple : nous ne sommes pas des va-t-en-guerre, nous n’aimons pas vivre dans la peur, nous n’aimons pas subir et voir subir l’excès d’autorité, nous n’aimons pas bann ‘politik dominer’ et aussi l’argent n’est pas tout pour nous.

Cet oubli, ces oublis, le peuple mauricien, dimanche, l’a fait payer cash à Pravind Jugnauth et ses amis.

Pourtant, pour être juste, ils avaient à leur actif quelques réalisations décentes et non négligeables: le salaire minimum, l’augmentation de la pension de vieillesse, le métro, le SAJ Bridge et autres travaux publics d’envergure mais le prix à payer en termes de déficits et d’endettement pèse et pèsera lourd, surtout qu’ils ont été incapables de créer les conditions structurelles et économiques nécessaires pour rendre pérenne la capacité de l’État mauricien à tant de largesses.

Cela était déjà un crime en soi contre le pays. Mais le plus grave réside dans leur gouvernance viciée, voire vicieuse et malsaine, dans leur démarche dangereuse et inacceptable de vouloir tout diriger, tout contrôler, tout surveiller (quelle ironie quand on pense aux révélations distillées au quotidien par Missie Moustass !).

Il est désormais clair que Pravind Jugnauth et son épouse ne croyaient pas dans la nécessité d’institutions libres et indépendantes. Ils ont voulu, d’une manière ou d’une autre, contrôler toutes nos institutions ou au moins avoir la possibilité, en plaçant des hommes et des femmes à leur service exclusif, de les influencer. Ils n’ont reculé devant rien pour le faire y compris la tentative de faire passer le sinistre Prosecution Commission Bill.

Les audios de Missie Moustass ont mis en exergue à quel point tout était gangrené : la police, le parlement régi par le « loudspeaker », nos institutions chargées du recrutement et des promotions dans la fonction publique, la MBC, nos ministères. On y faisait régner la terreur, et les fonctionnaires avaient, à force d’insultes et de punitions, intériorisé l’idée dangereuse qu’il fallait toujours dire oui. La peur avait aussi gagné les citoyens. Ils avaient reçu comme message qu’il fallait qu’ils fassent profil bas et surtout qu’ils se taisent. Mais je l’ai dit plus haut : le Mauricien avait peur. Et il n’aime pas cela.

Par ailleurs, la liste des scandales ayant entaché la gouvernance du gouvernement Jugnauth est aussi sans doute aussi longue que le bulletin de vote utilisé dans la circonscription numéro 5. Il n’est pas nécessaire de les énumérer ici, le peuple mauricien a finalement démontré qu’il avait de la mémoire.

Une plume et des espoirs

Bref, les raisons de la défaite du clan Jugnauth sont nombreuses et il est heureux qu’ils n’aient pas eu ce troisième mandat espéré. J’ose à peine imaginer l’état du pays dans cinq ans. Aussi bien socialement, économiquement et politiquement. Pour le coup on aurait sans doute fini comme au Sri Lanka, dans un bain de sang. On était arrivé à l’extrême limite du tolérable, voire on l’avait déjà dépassée. On n’avait confiance en rien et on allait tôt ou tard basculer dans la violence.

Nous n’avions plus d’autre choix que de tout faire pour nous débarrasser de ce régime. Mais on n’a pas eu besoin d’avoir recours à la violence. Dimanche on était tous armé de la plus belle des armes: une plume!

Il est fou le pouvoir que cette plume nous donne le jour des élections!

Elle nous a donné le pouvoir de dire non au népotisme, à l’injustice, à la peur, à la suspicion généralisée, au manque de transparence, à la corruption, à une société gangrenée par la drogue, par les passe-droits, le mensonge d’État, la démagogie économique, la mauvaise gouvernance, l’arrogance, le ‘nou-banisme’, l’oppression, la surveillance institutionnalisée , bref la liste des vices et sévices de ce régime est longue et c’est contre tout cela que les villes et les villages du pays ont, d’une seule voix, dit non.

Désormais les attentes sont grandes de la part de la population. Lundi, c’était jour de fête. On était dans les rues avec nos drapeaux mauriciens. Car, oui, c’est Maurice qui venait de remporter une victoire. Et c’est toute l’île Maurice qui s’est sentie tout à coup légère, libre. Il était beau d’entendre la foule ou plutôt les foules amassées dans les différents centres de dépouillement entonner notre hymne national.

La défaite de l’Alliance Lepep est cinglante. La victoire de L’Alliance du Changement est belle. Mais elle est belle car elle appartient à tous les Mauriciens. Comme l’a dit Touria Prayag dans une tribune ce mardi, les dirigeants de l’Alliance du Changement et les députés élus, à commencer par notre nouveau premier ministre, se doivent d’être humbles. Car, oui, cette victoire est celle de tout un peuple qui était en passe de perdre ses droits souverains cadenassés par une clique constituée d’un Premier ministre indigne de ce nom et d’une cellule n’ayant aucune légitimité.

On a voté pour que plus jamais notre pays se retrouve dans la même situation, pour que plus jamais on se retrouve sous les projecteurs sur le plan international pour nos dérives et nos coups de couteau à la démocratie.

Cette victoire est celle de tout le peuple mauricien qui en offrant un pouvoir presque total à l’Alliance du Changement est en droit désormais d’avoir de la part de nos élus un respect total de leurs promesses, un respect total des espoirs qu’ils ont suscités.

Nous sommes en droit d’être en attente d’un respect de la démocratie, de notre république, de la souveraineté de tous les citoyens, du respect de notre intelligence, du respect de nos enfants en leur offrant une école digne de ce nom, du respect des institutions, de leur indépendance et de leurs prérogatives, du respect du tissu social riche de cette pluralité qui fait la singularité de notre identité, du respect de la dignité du citoyen mauricien qui a le droit de vivre dans des conditions sociales, politiques et économiques à hauteur d’un pays civilisé et développé.

Oui, ce pays, n’en déplaise à Madame Kobita Jugnauth, appartient à tous les Mauriciens et nous avons droit aux mêmes chances, nous avons le droit que nos mérites et compétences soient reconnus indistinctement de nos appartenances communautaires.

Les leçons de 2024

Dimanche, nous avons prouvé que le citoyen mauricien est désormais mûr et qu’il est capable de refuser d’être corrompu et d’être acheté. Il est capable de situer les enjeux et de dire non. Que nos nouveaux gouvernants retiennent les leçons de ces élections 2024 historiques ! Le citoyen mauricien n’est pas ce mouton décérébré prêt à suivre aveuglément des dirigeants incompétents n’ayant pas véritablement à cœur l’intérêt commun.

Navin Ramgoolam et Paul Bérenger ont déclaré vouloir laisser aux Mauriciens un héritage digne de ce peuple qui a su être admirable dans son refus et sa mise à l’écart brutale et sans appel d’un régime usé, pourri par dix ans de pouvoir sans partage. Espérons qu’ils sauront être à la hauteur des enjeux, à la hauteur des défis qui attendent le pays, à la hauteur de l’espoir qu’ils ont suscité.

À nous aussi d’être à la hauteur de ces défis et de ces enjeux; le pays a besoin de tous ces fils et de ces filles. Refusons d’être des assistés passifs.

Mauriciens, mettons-nous au travail et maintenons le même niveau de lucidité, d’intelligence et de vigilance qui nous a permis d’offrir au monde le spectacle d’un peuple capable de reprendre le pouvoir dans la paix à la force…d’une plume et de trois croix tracées à l’encre de nos espoirs.

Les Mauriciens le méritent. Le pays le mérite.

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