Dans le jargon hippique, les spécialistes parlent toujours de la grande incertitude du turf. En fait, avec le flou total qui s’installe au Champ-de-Mars par rapport à la prochaine saison des courses sous l’enseigne Revisited du plus que bicentenaire Mauritius Turf Club (MTC), cela doit être encore plus vrai. Mais comment parler des résultats des courses quand les chevaux ne sont pas encore derrière les stalls de départ.
Nullement le propos du jour de se lancer dans des conjectures fantaisistes au sujet des Inns and Outs aux tribunes et écuries du Champ-de-Mars. La grosse incertitude, qui ne trompe pas, accable le front de l’économie. Depuis le 2 avril, le facteur incontournable demeure les répercussions de cette partie de roulette russe à laquelle se livre l’Américain Donald Trump.
Le nouveau plan tarifaire présenté par le président des États-Unis, devant entrer en vigueur dès le 5 avril, a injecté une forte dose d’incertitudes et d’appréhensions au sein du système économique mondial. Cette démarche ne s’arrête pas là. Les effets de ce séisme fiscal se font sentir non seulement au sein des plus importants conglomérats régnant en maître sur le marché américain, mais ils constituent une menace constante à la survie de la petite entreprise ayant pignon sur rue n’importe où ailleurs. Surtout à Maurice.
Pierre-Olivier Gourinchas, chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), officiant à la Grand-Messe de l’économie mondiale en ce mois d’avril, n’a pas la langue fourchue dans les circonstances. « Nous entrons dans une période où le système économique mondial que nous connaissons depuis 80 ans est réinitialisé (…). Au-delà des droits de douane, l’augmentation de l’incertitude politique autour des échanges commerciaux a un impact majeur sur les perspectives économiques », fait-il ressortir dans son sermon semestriel.
Des tours jumelles du FMI et de la Banque mondiale, le bulletin de la météo économique met en garde contre de gros nuages noirs à l’horizon. Peut-être sans avertissement spécifique. Sauf une révision à la baisse de la croissance pour cette année.
Mais pour Maurice, l’adéquation sur le front économique et les prévisions de croissance sont encore plus inquiétantes. Le dernier Policy Brief du Common Market for Eastern and Southern Africa (COMESA), regroupement régional dans cette partie du monde, rendu public fin de semaine dernière, place Maurice comme un des deux Big Losers, avec une régression de 40%, au même titre que Madagascar (47%).
Cette analyse ne tient compte que des retombées de la première ligne de l’offensive tarifaire du Jour de Libération, décrété par Donald Trump pour marquer le début de son nouveau mandat présidentiel. Et quid des conséquences de la riposte des taxes douanières des autres géants économiques, comme la République populaire de Chine et l’ensemble des économies de l’Union européenne ? Et des effets sur cette même croissance dans le monde ?
Autant de nouvelles incertitudes à haute tension pour une petite économie aussi ouverte et dépendante que Maurice. Certes, le gouvernement du Changement mise sur les recommandations d’un High Level Committee sous la présidence du Premier ministre pour la formulation et la mise en pratique de la prescription appropriée face à ce diagnostic économique sans appel. Le vaccin n’a pas encore été confectionné.
Presque aucun secteur économique stratégique de Maurice n’est épargné. Difficile de dire immunisé. Les associations professionnelles, dont la Mauritius Export Association (MEXA) en première ligne, la Mauritius Chamber of Commerce and Industry (MCCI), l’Association des hôtels et restaurants de l’île Maurice (AHRIM) et Business Mauritius, ont déjà complété le mode de consultations.
Le constat est plus qu’évident. Le plus inquiétant demeure les Trickle-Down Effects dans le tissu socio-économique. Même si la population continue de croire pouvoir surfer sur la déferlante des promesses à l’emporte-pièce de la dernière campagne électorale pour les législatives du 10 novembre 2024. Certes, le Junior Minister aux Finances affiche un sourire désarmant à chacune des séances de consultations prébudgétaires avec les partenaires socio-économiques. Ses interventions à chacune de ses sorties officielles tentent d’assurer une couverture d’assurance aux risques sous-jacents à l’économie. Pourtant, dans le cadre de ce Budget Run-Up pour le prochain exercice, le mot d’ordre est déjà esquissé sous forme de rupture avec la consommation et la tendance aux Allowances.
Tiens ! La frénésie de l’exode de devises de l’ordre de Rs 18 milliards au seul item d’importation de voitures de luxe n’a pas été freinée. Les dernières plaques d’immatriculation délivrées par la National Land Transport Authority en cette fin d’avril en disent long. Le leader de l’opposition a déjà signalé sa présence politique sur le front de la lutte contre tout ajustement de la politique des Allowances.
En tout cas, au cours de ces six prochaines semaines, à l’exception de celle qui débute et qui doit être consacrée aux élections municipales, le gouvernement du Changement aura à trouver la bonne carburation et le dosage socio-économique approprié pour faire passer politiquement son premier budget avec cette grosse incertitude qui ne trompe pas…