LORAINE DESCHÉZEAUX
Réaliser le tour du monde en quelques trajets ? Tout est possible quand la magie des livres opère !
D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été entourée de livres. Enfant, je me perdais avec joie dans les images colorées des contes de fées ou des bandes-dessinées, laissant volontiers les mots de côté. Le premier livre qui m’a plongée dans l’insatiable passion de la lecture – celle de la boulimie des mots – m’a été offert quelque part entre l’âge de huit ou dix ans : un exemplaire du Tour du monde en quatre-vingts jours de Jules Verne.
C’était une édition de Jules Hetzel datant de 1995, un colosse de 250 pages avec une somptueuse couverture cartonnée rouge grenat, richement agrémentée d’illustrations et de lettres dorées. Quoique fascinée par la parure, je n’étais pas pressée d’ouvrir et de parcourir ce qui était pour moi, à l’époque, un épais volume. Et je n’y serais jamais arrivée sans ma mère.
Il était certainement temps pour moi de lire plus « sérieusement ». Enseignante de profession, ma mère trouva le stratagème dont chaque parent devrait s’inspirer, selon moi, pour m’y inciter. Un matin, sur le trajet de Rose-Hill à Curepipe qui nous menait, moi à l’école, elle au travail, elle sortit l’illustre ouvrage de son cartable d’institutrice, et nous avons alors commencé à le lire ensemble. La couleur de la couverture de mon livre coïncidait avec celle des banquettes de notre autobus, et je me souviens avoir trouvé cela très amusant !
Les premières pages, dépourvues d’images, furent un peu dures à digérer. Très vite, cependant, la magie des mots opéra, faisant virevolter des images animées dans mon esprit. Maman lisait à mon rythme : elle ne tournait jamais une page sans que je lui eusse signalé, du bout du doigt, que j’avais terminé. C’était rassurant de la savoir à mes côtés dans cette aventure. Ainsi, chaque matin, dès que nous prenions place dans l’autobus, nous nous empressions de reprendre notre palpitant tour du monde. Oubliant, le temps d’un trajet, les bousculades et la cacophonie du trafic matinal, nous nous retrouvions transportées à Londres, puis à Bombay, à Allahabad, à Calcutta, à Hong-Kong, en Chine et au Japon, et à San Francisco, aux côtés du gentleman anglais, Phileas Fogg, et de son majordome, Passepartout. J’ai découvert, pour la première fois, combien il peut être difficile de décrocher d’un livre, mais alors… quelle douce et sereine addiction !
Le Tour du monde en quatre-vingts jours fut sans aucun doute le premier d’une longue série de Voyages extraordinaires dans lesquels je me suis embarquée. Ma mère avait réussi sa mission car, désormais, sans guide et en toute indépendance, je pouvais entreprendre un Voyage au centre de la terre, Vingt Mille lieues sous les mers ou Cinq semaines en ballon, partir à la découverte de L’île au trésor ou sur les traces de Robinson Crusoé, me joindre aux Trois Mousquetaires ou aux Quatre filles du Docteur March, accompagner Tom Sawyer, Arsène Lupin et Croc-blanc dans leurs aventures, ou encore Sherlock Holmes et Hercule Poirot dans leurs enquêtes… Tant de belles histoires qui ont nourri mon imagination et construit mon caractère, et qui ont aussi été mes refuges dans cette période parfois confuse entre l’enfance et l’adolescence.
Avec l’intrusion des nouvelles technologies dans nos vies, je me demande si la jeune génération s’intéresse encore aux bienfaits et aux plaisirs de la lecture. Si ce n’est pas le cas, je ne peux que l’y encourager fortement. La science est unanime : trente minutes de lecture profonde par jour est une véritable cure de vitalité pour notre cerveau. De plus, se plonger dans un roman, qu’il soit au format papier ou numérique, renforcerait parallèlement notre capacité à comprendre le monde qui nous entoure et à interagir avec celui-ci. Cela développe notre psychologie et notre empathie – des facultés souvent fragilisées par notre mode de vie moderne.
Ne cessons donc jamais de lire ! Et j’ajouterai qu’il n’est jamais trop tard pour s’y mettre (ou s’y remettre). Cela dit, la lecture ne devrait pas être abordée comme une obligation, mais comme un plaisir, d’abord initié dans un partage – entre un parent et son enfant par exemple –, qui deviendra à la longue un plaisir solitaire… et salutaire.