Quand vous êtes-vous pour la dernière fois posé, un soir sans nuage, la tête dirigée vers les étoiles pour en contempler, dans un silence absolu, toute la splendeur ? Quand avez-vous ouvert un livre pour la dernière fois ? Quand avez-vous repris vos cours de piano, ou encore ressorti le vieux Monopoly qui dormait dans l’armoire ? Quand avez-vous remis vos gants et repris vos outils de jardinage sans avoir à regarder constamment votre montre ? À quand tout cela remonte-t-il ? Pour beaucoup d’entre nous, notre récente histoire nous aura pourtant permis de renouer avec ces plaisirs simples, à l’heure où la pandémie secouait encore notre système bien huilé, nous imposant des confinements forcés. Avec pour conséquence de nous pousser, une fois ce bonheur retrouvé, à faire des résolutions… que nous n’aurons bien sûr jamais tenues.
Autant pouvons-nous déplorer l’arrivée du Covid, il y a plus de quatre ans déjà – et plus particulièrement au sein des familles qui, comme celle de votre serviteur, auront perdu un des leurs –, autant nous devrions en effet être reconnaissant au virus de nous avoir permis de retrouver, si ce n’est découvrir – paradoxe de notre temps –, des « espaces de liberté dans des lieux confinés ». Plus que tout, nous aurons réappris le sens de l’entraide – entre amis, entre voisins –, de la solidarité, de la compassion. Et, c’est vrai aussi, quelquefois, de la débrouillardise. Mais aussi pris conscience de la fragilité de notre société consumériste, qui se sera révélée tout sauf résiliente. Aussi certains, et non des moindres – à l’instar du sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa – n’auront pas manqué d’affirmer haut et fort que nous avions là une occasion unique de décélérer.
Pour autant, tout n’aura pas été rose pour tout le monde durant ces courts laps de temps offerts par les confinements sanitaires. À commencer par les moins chanceux, et dont la vie déjà précaire se sera rapidement compliquée davantage. Puis dans les familles dont des proches auront dû braver les dangers du virus, car faisant partie des services essentiels, comme les membres du personnel médical. Mais aussi au sein de la classe moyenne, où nombre de personnes se seront retrouvées piégées par un étrange paradoxe, à savoir coincées entre le sentiment épanouissant d’avoir « enfin du temps » et celui, bien plus oppressant, de se sentir obligées de devenir plus actives numériquement qu’elles ne l’étaient physiquement.
Malgré cela, et quelle que soit la situation sociale qui était la nôtre à cette époque, le confinement aura généralement été psychologiquement salvateur. Sans aller jusqu’à qualifier la pandémie de « miracle sociologique », ce qui serait particulièrement indécent envers les familles de ces sept à huit millions d’âmes perdues, celle-ci nous aura en effet permis de penser (et de voir) notre société autrement. Ouvrant, tout du moins dans notre esprit, d’autres champs du possible.
Sur le plan sociétal, le monde économique – coincé par moult lockdown – aura connu une décélération inédite. Avec une économie tournant au ralenti, nos émissions de gaz à effet de serre auront, elles aussi, accusé une baisse historique. Une bouffée d’oxygène qui, cependant, aura été de courte durée, puisqu’une fois la page Covid tournée, le monde des affaires aura repris son cours de plus belle. Reste que cette parenthèse sanitaire aura engendré un phénomène nouveau : celui d’entrevoir la possibilité d’un système en partie débarrassé, tout du moins virtuellement, de ses habituelles contraintes économiques. Virtuellement, car ce n’était évidemment pas tout à fait le cas.
Le virus nous aura aussi permis de voir que, lorsqu’éclate une crise mondiale, l’appareil politique est capable de dégager des avenues de possibilités nouvelles. En ce sens, le Covid est porteur d’espoir, car nous savons désormais que quels que soient les défis qui s’offrent à nous, y compris celui du changement climatique, l’humanité dispose des outils politiques pour agir.
Malheureusement, la mémoire humaine est de courte durée, et plus encore la mémoire politique, et l’épisode Covid nous apparaît déjà bien loin. Ainsi avons-nous déjà oublié que nous n’avons peut-être pas besoin de voyager autant, de multiplier nos activités, nos rendez-vous, nos contacts… Que notre bonheur n’est en réalité aucunement conditionné par le système qui nous est imposé, car empruntant le plus souvent des sentiers secondaires. Pour autant, rien ne nous empêche de reposer de temps à autre, au moins un instant, nos soucis sur le rebord d’une table, d’éteindre nos portables et de se coucher à même le sol, les yeux rivés sur les étoiles !
Michel Jourdan