Ah quelle belle époque nous vivons ! Et ne voyez pas dans cette affirmation une note sarcastique (ou alors à peine voilée, Spoiler Alert), car c’est une vérité absolue. Comment en effet nier les énormes progrès accomplis depuis l’avènement de l’ère thermo-industrielle, tous secteurs confondus ? Avec pour résultat, dans nos sociétés modernes, non seulement de bénéficier d’une espérance de vie prolongée en comparaison au Moyen-Âge ou à la période moderne (qui a commencé en 1492, avec la découverte des Amériques), mais aussi d’un degré de confort inégalé dans toute l’histoire de l’humanité. Et tout cela aura été rendu possible (roulement de tambour)… grâce aux énergies fossiles.
Mais alors, où est le problème, puisque tout va bien dans le meilleur des mondes. Eh bien le souci, et nous ne prétendons pas vous l’apprendre, c’est que nous subissons l’effet boomerang de ce développement accéléré, et que ces mêmes énergies sont à l’origine du changement climatique, qui nous promet les pires choses dans les années et décennies à venir. Oui, mais alors que faire ? Eh bien réduire bien sûr notre empreinte carbone pardi. Sauf que, bien évidemment, du fait de notre hyperdépendance au pétrole notamment, cela réduirait plus que substantiellement notre espace de confort. Et ça, eh bien on n’en veut pas !
Raison pour laquelle les défenseurs du climat, à travers leur argumentaire, mettent très souvent en avant le fait que nos réserves de pétrole, tout comme de charbon (mais un peu moins de gaz), s’épuisent à grande vitesse, et que leur pic sera bientôt atteint. Et avec la certitude que ces pics dépassés, nous retournerons à l’Âge de Pierre, à moins de se retrouver plongés dans l’univers de Mad Max. D’où l’urgence d’accélérer la transition énergétique. Un point de vue qui se tient, et que nous partagions, au point d’ailleurs de l’avoir évoqué dans ces mêmes colonnes à plusieurs reprises. Sauf que… depuis, les choses ont radicalement changé.
Ainsi, pendant plusieurs années, la thèse du pic pétrolier avait été érigée en socle de l’écologisme, avec comme leitmotiv que rien ne viendrait remplacer le pétrole une fois celui-ci disparu, et que l’or noir commençait à se raréfier. Or, l’ingénieur, enseignant et conférencier français Jean-Marc Jancovici, reprenant de récents calculs de l’Agence internationale de l’énergie, avançait il y a quelques mois encore que, loin d’approcher la pénurie de pétrole, le monde s’acheminait plutôt vers un excédent de production à l’horizon 2030. Mais ces calculs ont depuis été contredits, et pas dans le bon sens, et ce, en raison de la découverte par la Russie d’un immense gisement pétrolier évalué à 511 milliards de barils sous l’Antarctique. Soit de quoi prolonger la consommation actuelle au moins d’une trentaine d’années de plus.
Pour les écologistes, il s’agit évidemment d’un double drame. D’abord parce que l’Antarctique est considéré comme un continent sanctuaire, et donc quasi préservé de la présence humaine – autrement dit une nature restée relativement intacte depuis un loin passé géologique –, mais aussi et surtout parce qu’un tel gisement pétrolier ne nous incitera certainement pas à sortir des énergies fossiles… Ce qui constitue cette fois un drame climatique.
Pour résumer, le monde ne sera pas – et ce, contre toute attente – en « panne sèche » de pétrole avant plusieurs décennies encore. Réduisant ainsi à néant ce qui constituait jusqu’ici un des principaux arguments des défenseurs de l’environnement et autres lanceurs d’alertes lorsqu’ils cherchaient à convaincre quelques irréductibles d’adhérer à la cause climatique et de presser le pas. A bien y réfléchir, jouer sur ce tableau était d’ailleurs une erreur, car jusqu’à l’heure, il est toujours quasi impossible d’évaluer avec exactitude l’étendue de nos réserves, et par conséquent de s’aventurer à faire des pronostics. Le pari était très risqué; le voici perdu.
Tout l’enjeu consiste aujourd’hui à prouver que l’on peut déployer un mix énergétique décarboné capable de remplacer les énergies fossiles sans tenir compte des réserves et des projections. Et pour les écolos, de comprendre que la transition énergétique ne doit pas nous être imposée par des contraintes géophysiques, autrement dit par l’état de nos ressources fossiles, mais qu’elle dépend de nous et de nos politiques énergétiques et climatiques. En d’autres mots : puisqu’il n’y aura pas de pic pétrolier avant longtemps, prenons nos responsabilités, à la fois pour le climat et les générations à venir. Après tout, pétrole ou pas, ce ne sont pas les arguments qui manquent pour justifier l’urgence de réduire notre impact carbone !
Michel Jourdan