Tout doit disparaître !

Les collapsologues en sont convaincus : la fin du monde est proche. Des hurluberlus ? Des complotistes ? Pas du tout. D’ailleurs, la communauté des collapsologues compte parmi ses membres des personnalités très influentes, et même d’anciens dirigeants, gravitant dans des sphères aussi diverses que celles de la science, de la philosophie ou de la politique. Mais dans ce cas, qu’est-ce qui les autorisent à être aussi alarmistes ? Eh bien tout simplement parce qu’à leurs yeux, tous les signes sont là, et que notre modèle de société, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, n’est tout bonnement plus tenable. Et il faut avouer que leurs arguments tiennent la route.

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Avant d’approndondir la question, il faut tout d’abord s’entendre sur la notion même de « fin du monde ». Est-ce à dire que, pour les collapsologues, l’humanité serait irrémédiablement destinée à disparaître, ou au contraire demeure-t-il un espoir de survie ? À vrai dire, cette question est loin d’être tranchée, car il demeure encore pour l’heure trop d’inconnues, qui pourraient faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. En revanche, ce qui est certain à leurs yeux, c’est que par « fin du monde », ils entendent surtout « fin de notre civilisation ». Pour eux, plus de doute : à force de dépouiller la planète de toutes ses ressources, un jour viendra où il n’en restera plus. Même si, évidemment, nous schématisons ici l’idée à l’extrême.

Vous l’aurez compris, les collapsologues s’attaquent à de nombreux problèmes de manière simultanée, et leur mouvement est par conséquent multidisciplinaire. Ainsi parlent-ils autant du changement climatique que de la perte des valeurs sociales, de la dégringolade de notre système d’économie de marché, ou encore de la multiplication d’autres crises plus inattendues, comme l’aura été la pandémie de Covid. Tous ayant en commun bien sûr leur origine anthropique.

Mais plus que de prévoir un avenir proche où, comme le disait l’ancien ministre français Yves Cochet – et qui a depuis longtemps adhéré à la cause collapsologiste –, l’on assistera « au processus irréversible à l’issue duquel les besoins élémentaires (eau, alimentation, logement, protection…) ne seront plus accessibles à la majorité de la population », les collapsologues mettent d’abord l’accent sur les causes profondes de ce dérèglement sociétal. En d’autres termes, ils offrent des pistes de réflexion sur la manière, non pas d’éviter le mur, mais de limiter tout au moins au maximum la casse. Pour résumer, si la « fin du monde » est proche, c’est du fait de notre système capitaliste.

Là encore, cette vision tient largement la route, et est d’ailleurs partagée par votre serviteur, en attestent les nombreuses fois où nous avons mis en évidence cette triste réalité. Avec un constat : toute crise anthropique, quelle qu’elle soit, puise son énergie dans notre mode de consommation. À ce propos, l’écrivain et professeur de philosophie Léonor Fran affirme d’ailleurs que « le consumérisme a détruit le monde ». Ajoutant : « L’objet de consommation étant par définition éphémère, il ne permet pas de stabiliser un sens, de façonner un monde où l’orientation des humains est possible. Un monde où tout devient consommable n’est plus un monde. Seuls les objets qui ont une “permanence” le permettent. » Ce qui n’est depuis longtemps plus le cas, tout produit conçu à l’intention du public consommateur ayant aujourd’hui pour vocation d’être remplacé au plus vite, et ainsi maintenir vivant le système productiviste.

Nous sommes en effet rentré depuis un bon moment dans le monde du jetable, y compris au niveau des relations sociales. Comme le disait si bien le sociologue Zygmunt Bauman, les liens sociaux sont devenus… « liquides ». Quant au monde du travail, il a lui aussi détruit le monde. Tout d’abord en alimentant le système économique, le travailleur « fabriquant des produits » dont il sera souvent plus tard lui-même consommateur, mais aussi parce que le « temps libre » n’existe plus vraiment. Comme le disant Fran : « Le temps “libre” est établi dans l’horizon de la survie. Le temps des vacances doit lui aussi être gagné, rentabilisé, programmé, et donc travaillé. Malheur à celui qui, pendant les vacances, “perd son temps”. Tout doit être consommé, tout doit disparaître, même le vide. » Avec une dernière question restant encore en suspend : et l’homme, quand disparaîtra-t-il ?

Michel Jourdan

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