AVINASH RAMESSUR
C’est pourtant aussi visible qu’une crise d’acné sur la joue de Miss Monde : le nombre d’accidents à Maurice est quasi-directement relié au nombre de véhicules circulant sur les routes. Le graphique ci-dessous est issu de Statistics Mauritius.
En utilisant les données de Statistics Mauritius, je me suis amusé à trouver ce que cela donnerait si tous les véhicules du pays se trouvaient simultanément pare-choc contre pare-choc sur les routes du pays. Les hypothèses prises sont les suivantes : la longueur calculée de la chaîne de véhicules a été divisée par deux pour prendre en compte le fait que les routes soient majoritairement bidirectionnelles ; les routes mineures classées comme « others » n’ont pas été prises en compte ; certains types de véhicules également ; la longueur moyenne de chaque catégorie de véhicule est estimée comme suit : voiture 4.5m, pickup 5m, bus et camion 12m, van 7m, 2-roues 1.5m ; le calcul consiste à multiplier le nombre de véhicules sur nos routes par la longueur de chaque catégorie et d’en faire la somme.
Ces chiffres sont approximatifs car ils reposent sur des hypothèses. Mais ils permettent déjà de valider ce qu’on sait déjà: le trafic est infernal et il est dangereux de circuler à Maurice. Mettez-y aussi le fait que la répartition du trafic n’est pas uniforme sur l’ensemble des axes routiers ; vous comprenez tout de suite pourquoi les motocyclettes roulent dans les caniveaux et les piétons rasent les murs ou les champs de canne. Il n’y a plus de place!
Cet encombrement contribue à nous transformer tous en assassins potentiels involontaires ou volontaires pour certains dès que nous prenons le volant car l’exiguïté de l’espace public et commun met en confrontation quasi-permanente les usagers de cet espace. Avec la hausse du nombre d’accidents, la probabilité d’avoir des accidents fatals augmente aussi.
Vous remarquez aussi que je n’ai pas utilisé l’expression ‘usagers de la route’. Ceci est à dessein car limiter le problème seulement à la route est une vision plus qu’étriquée de la chose et qui ne résoudra rien de rien. Pour appuyer, la campagne récente au sujet de « Koltar » n’est qu’un charabia pour se faire bien voir par les politiques et leurs acolytes qui conseillent mal mais elle ne s’attaque aucunement aux vrais problèmes et devrais-je dire les faillites qui mènent à la perte de vie et à la destruction de familles. Même le titre de cette campagne est trompeur.
Un mot sur le titre évocateur avant d’aborder les faillites. Comme Mauriciens, nous tirons une grande fierté d’avoir donné tort aux prédictions faites dans la période postindépendante (1972) par V.S.Naipaul, grand écrivain par ailleurs, dans un article intitulé « The Overcrowded Barracoon » suite à sa visite dans notre pays. Je ne me mets aucunement en équivalence auprès de V.S.Naipaul mais je prie pour que le futur me donne tort aussi.
Quelles sont donc ces faillites ?
Faillite d’abord d’une vraie politique de transport public au bénéfice de la politique du « tout voiture ». Cette dernière est la solution facile qui a un double avantage. Elle dispense d’abord nos politiciens, nos hauts-fonctionnaires et nos hauts-techniciens (on les appellera PFT par la suite dans le texte) grassement payés pour réfléchir à des solutions plus durables et moins encombrantes, ensuite elle permet d’engranger des taxes en transformant les possesseurs de véhicules en vaches à lait. Cette avidité pour les taxes aurait pu se justifier si elle avait servi à l’amélioration de notre quotidien mais à ce stade il vaut mieux croire au père Noël.
Il ne faut pas être mage pourtant pour voir que le transport public ne correspond pas aux usages des citoyens. Ceux-ci ont évolué d’année en année et il ne s’agit pas uniquement de compter le nombre de bus ou de commenter sur la qualité des bus. Il y a un manque criant par exemple de liaisons intra-villes. Un autre exemple : faut-il être grand devin pour s’apercevoir que la cyber-cité d’Ébène a besoin 1.) d’une gare de bus dédiée, 2.) d’une ligne circulante permanente et confortable à l’intérieur de celle-ci pour faciliter les déplacements courts 3.) d’horaires de bus alignés aux horaires réels de travail de ceux qui s’y trouvent.
Le tout-voiture a indéniablement des avantages auxquels aucun individu ne serait prêt à renoncer sans contrepartie mais il faut bien comprendre que dans un pays aussi étroit que le nôtre, on avance régulièrement plus vite à pied qu’en voiture avec la densité actuelle de véhicules et que le tout-voiture a d’immenses coûts cachés pour le pays, notamment en termes de productivité par rapport au temps perdu sur les routes. Ce n’est pas parce que ces coûts sont difficilement mesurables alors que la rentrée des taxes est tangible que nos PFT doivent s’adonner à la fainéantise.
Le Metro Express abordera certainement une partie des récriminations ci-dessus et on doit savoir en donner crédit à tous ceux qui ont travaillé ou travaillent sur ce projet. Mais comme d’habitude en ce pays qui cultive l’amateurisme comme art professionnel, on ne peut que relever le fait que la planification, la préparation et la communication du projet laissent toutes à désirer.
Clin d’œil : Il paraît qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Soit! Mais encore faut-il savoir casser les œufs et avoir les outils pour. S’il agit de casser l’œuf sur son crâne avant de faire l’omelette, tout ce qu’on réussit c’est non seulement de se rendre ridicule mais aussi d’avoir une omelette rétrécie.
Faillite d’une politique de planification urbaine et d’aménagement du territoire. En fait, en la matière, nous sommes en dessous du degré zéro. Il n’y a qu’à circuler dans nos villes et nos villages pour s’en rendre compte. Le mal est plus profond que l’incompétence avérée des autorités locales et gouvernementales au quotidien car l’aménagement du territoire consiste, entre autres, à penser la proximité des emplois, des services et des marchandises à côté des lieux de vie et d’habitation.
Au lieu de cela, on a privilégié 1) la création de hubs polarisants et de couloirs circulants qui favorisent le tout-voiture y compris pour aller acheter son pain le matin faute de choix, 2) la prolifération de morcellements sans vue d’ensemble créant ainsi des flux de trafic non-planifiés et non-contrôlés et 3) le laisser-aller pour des activités parasitaires quasi-industriels dans des lieux de vie mettant ainsi en contact non-souhaitable des usagers vulnérables, tels des enfants et des véhicules dangereux.
Hormis cette absence de politique d’aménagement, la densité des constructions qui tapissent nos régions résulte de plusieurs maux. D’abord, conséquence de la spéculation foncière galopante, il faut bien comprendre qu’il est rare que les moins privilégiés puissent se permettre d’acheter un terrain et de construire. Il est plus abordable pour eux de construire une extension sur le terrain de leurs parents. Ainsi, de génération en génération, les terrains privés deviennent des capharnaüms étroits, où habitent plusieurs familles. Rajoutez-y au minimum une voiture par famille et vous avez la recette pour créer un bordel (au sens figuré) dans des lieux de vie. L’autre conséquence est que la route devient lieu de parking pour ces voitures, ce qui oblige les automobilistes et autres usagers à zigzaguer de façon quasi-permanente pour pouvoir circuler, créant ainsi du danger.
Ensuite, sous prétexte de “devlopman”, les permis de construction pour des blocs d’appartements dans nos villes déjà hyper-saturées sont légion sans considération pour l’impact que cela occasionne/occasionnera sur un réseau routier non-extensible en l’état actuel des choses. En la matière, la ville de Quatre-Bornes est devenue un enfer pour ceux qui y habitent ou y passent et un danger constant pour les usagers vulnérables de la route. Je tremble à chaque fois que j’y passe et que je vois un enfant avec son sac à dos chargé devoir slalomer sur la route principale afin de traverser pour pouvoir arriver à son école. Faut-il qu’il y ait un malheur pour qu’on agisse ?
Faillite de notre politique de sécurité publique qui, si elle était bien faite et bien exécutée, aurait dû nous faire sentir confortable soit à prendre les transports publics ou à circuler dans les gares à n’importe quelle heure soit à prendre un taxi lambda sans crainte. J’imagine qu’en la matière l’exemple à prendre est encore une fois celui de Singapour. En comparaison, il y a dans notre pays un gouffre et un manque de volonté qui frise l’aveuglement à tacler ce problème une bonne fois pour toutes. Est-ce dû au fait que les princes qui nous gouvernent et leurs acolytes qui conseillent mal ne sont pas au contact des réalités depuis leurs tours d’ivoire ?
Ceux qui sont pour le Metro Express feraient bien de s’attarder sur la problématique de la sécurité car personne ne délaissera sa voiture pour risquer de se faire trancher la gorge dans une rame de métro ou à proximité de celle-ci.
Faillite de notre politique d’éducation qui résulte en la production d’inconscients de la route (mais pas que) à tour de bras. J’ai déjà écrit dessus dans l’article « Au Royaume des médiocres »
Faillite d’une politique de propreté. Que dire sinon qu’il suffit de circuler à proximité des gares du pays pour visualiser cela. Qui a envie de sortir d’un bus plus sale que lorsqu’il y est rentré ? Le mal est encore une fois hélas plus profond que les seuls gares et bus. Je constate avec grand chagrin que nous sommes une île sale et nous avons une population de « san-konpran » en la matière. Comme exemple à suivre, il ne faut pas aller bien loin. Rodrigues pourra nous apprendre bien des choses en matière de propreté et si les « san konpran » ne veulent toujours pas comprendre, il faut avoir le courage de manier la trique.
Faillite d’une politique de développement économique qui protège et accompagne les employés. En bénéficiant du contexte mondial, nous avons fait de gros progrès économiques depuis le nouveau millénaire mais cela s’est fait au détriment des employés avec l’instauration de lois scélérates sur le travail qui leur a enlevé la sécurité de l’emploi. Nous avons aussi omis, au fur et à mesure que nous demandions plus aux employés en termes de présence et de productivité, de créer un écosystème qui les aiderait à concilier leurs responsabilités personnelles, familiales et professionnelles.
Il en résulte une génération de névrosés toujours en train de courir pour assumer l’ensemble de leurs tâches. Par nécessité, ils sont donc toujours pressés et prêts à prendre des risques inconsidérés au volant ou au guidon ; nous savons tous ce que cela donne à Maurice en termes de destruction de vies. J’ajouterai juste que dans ces cas, il y a de fortes chances que les vrais coupables de ces accidents ne soient pas ceux qu’on croit l’être.
Il en résulte aussi, sans que je ne justifie aucunement cela, que certains utilisent leurs véhicules comme moyens de décharge nerveuse en faisant les fous dans l’espace public. L’incapacité des gouvernements successifs à juguler le nombre d’accidents demande peut-être à ce qu’on fasse appel à d’autres métiers pour comprendre les pathologies cérébrales qui transforment les gens en inconscients du volant ou du guidon et ainsi permettre d’agir à la source du mal. Car enfin, comment se fait-il qu’en plein milieu résidentiel, les gens n’hésitent pas à foncer comme des malades sans aucune considération pour les autres usagers ? On pourrait citer une pléthore d’exemples similaires.
Faillite du système politico-légal à protéger les citoyens contre les chauffards. La lecture de la Road Traffic Act pourrait nous donner le confort que celle-ci nous protège de façon adéquate mais la réalité est tout autre :
primo parce que la mise en application des lois est souvent bancale dans notre pays.
secundo parce que des avocats usent et abusent d’astuces pour protéger leurs clients respectifs et donc l’aspect dissuasif des lois perd de sa vigueur.
Combien de fois n’a-t-on pas vu des responsables d’accidents fatals partir libres et des fois sourire aux lèvres alors qu’ils venaient juste de tuer un malheureux en étant négligents ou inconscients en conduisant ? Souvent, par ailleurs, il s’agit de gosses de riches ou de puissants ou de parents de politiciens. Comme disait Georges Orwell, « we are all equal but some are more equal than others ».
Combien de fois aussi n’a-t-on pas vu ceux conduisant sous l’influence de l’alcool et ayant tué des innocents se ruer dans les cliniques pour s’y réfugier sous prétexte de problème de santé ? Comment peut-on accepter qu’on protège autant ceux qu’il convient d’appeler des meurtriers ?
C’est le droit de l’avocat de faire ce qu’il faut pour protéger son client, il est payé pour et dans un monde mercantile on ne peut s’attendre à mieux de sa part mais c’est le devoir du législateur de s’assurer que de tels meurtriers ne passent pas à travers les mailles du filet et répondent au plus vite de leurs actes.
Je note par exemple qu’au Québec, la conduite dangereuse peut donner lieu à une poursuite au pénal. Extrait : « Certains comportements ou certaines actions en relation avec la conduite d’un véhicule routier sont des infractions au Code criminel. La déclaration de culpabilité pour l’une de ces infractions entraîne, en plus de l’interdiction de conduire, de l’amende ou de l’emprisonnement prononcé par le tribunal, l’imposition de sanctions en vertu du Code de la sécurité routière. »
tertio parce que le problème des accidents et des morts qui en résultent englobe beaucoup de facettes/secteurs/responsabilités diverses et l’approche fragmentée, privilégiée par les cancres administratifs qui nous gouvernent, ne permet pas d’adresser ce problème de façon holistique et d’avoir même un début de résolution.
Cet essai a abordé les faillites en termes de politique publique qui nous ont menés là, où nous sommes en termes d’accidents. Mais le problème ne se limite pas à cela et j’aurai l’occasion dans une suite de commenter les failles administratives.