À la veille de l’annonce de son éventuel et imminent départ à la retraite du diocèse de Port-Louis, le cardinal Maurice E. Piat a choisi de proposer publiquement un texte aux allures testamentaires. Ainsi, il était évident que l’homélie, diffusée le dimanche 2 avril sur une des chaînes de la station de télévision nationale, allait générer des répercussions à la chaîne.
Le chef de l’Église catholique a choisi les derniers temps forts de l’actualité à Maurice pour projeter un éclairage sur des dérives, susceptibles de porter atteinte aux « fondations de notre démocratie ».
Telles des rafales d’une mitraillette, qui doivent faire mal, terriblement mal, des faits indéniables sont déclinés, allant du manque de respect au principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs au plus haut niveau des institutions à l’insolence estudiantine avec un condensé sans égal de mépris à l’encontre d’une communauté pour soi-disant célébrer des lauréats, en passant par une flagrante nonchalance dans le traitement d’un dossier, soumis par un pays ami, visant à mettre hors d’état de nuire un important réseau de drogue, qui déstabilise de manière insoutenable des foyers à Maurice et surtout le cancer de la corruption minant la société, en particulier la force policière.
Ces détails ont fait mouche au point où dans les 72 heures, recevant le cardinal Piat et le vicaire général, le père Maurice Labour, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, et le No 2 du gouvernement, Steven Obeegadoo, ont tenté de se défendre en parlant de faits non avérés. Toutefois, la réaction de l’Église, pour étayer ses dires, aura été encore plus délicate avec une autre séquence de faits, les uns aussi indéniables que les autres, énumérés entre les murs du Prime Minister’s Office.
L’Hôtel du Gouvernement préconise aussi un dialogue avec l’Église en vue de « clarifier les choses ». Toutefois, force est de constater que les autorités ont déjà laissé passer une kyrielle d’occasions pour entretenir cette plateforme d’échanges avec l’évêché.
Il n’est nullement un secret que le cardinal Maurice E. Piat se préoccupe des dégâts incommensurables du fléau de la drogue dans les familles mauriciennes. Pas une occasion ratée pour tirer la sonnette d’alarme. Que ce soit en termes de campagne de sensibilisation au sein des cellules familiales. Ou encore au plus haut niveau de la hiérarchie de l’Église.
Nullement innocent. Cet appel du pape François au pied du monument Marie, Reine de la Paix un 9 septembre 2019, en vue de ne pas laisser « les marchands de la mort voler les prémices de cette terre », trouve encore écho dans des familles vivant des drames au quotidien.
Il y a encore le cri du coeur de Sainte-Croix lors du dernier pèlerinage en date au caveau du père Laval. Le cardinal Piat a dénoncé avec force le taux d’échecs traumatisant, avec un système d’éducation privilégiant un élitisme outrancier.
Puis, avec le Carême 2023, la touche très mauricienne apportée au Chemin de Croix, proposé par La Vie Catholique, ne relève aucunement du fruit du hasard. Chacune des stations propose un discernement sur les croix que portent les Mauriciens, en termes d’épreuves, affectant le quotidien de tout un chacun.
La rédaction de l’organe du diocèse de Port-Louis, et le père Sylvio Lodoïska, curé de la communauté paroissiale Saint Sauveur-Saint Marc, n’auront jamais pris la décision de s’engager dans ce magistral cheminement à la mauricienne en cette montée vers Pâques sans la bénédiction venant du plus haut niveau de l’évêché.
Autant d’instances, qu’elles soient subtiles ou directes, dans le sens d’une invitation aux autorités pour un temps d’écoute au plus profond de l’âme meurtrie de la République de Maurice. Autant de perches tendues pour initier un dialogue entre les deux É, Église et État. Mais sans les résultats escomptés. Ne serait-ce que le début d’une simple écoute de l’autre au lieu de se complaire de toujours affirmer « nou’nn fer tou bien, nou! San fot »
Ainsi, l’homélie du Dimanche des Rameaux du cardinal Piat ne peut et ne doit pas être assimilée à un coup médiatique sporadique. Mais bien plus. L’évêque de Port-Louis ne s’adresse pas uniquement aux locataires de l’Hôtel du Gouvernement. Even if the cap fits…
Mais à nous surtout. À deux niveaux, soit repousser la tentation de se rendre complaisants et complices à la corruption ambiante et à l’injustice. Et surtout la responsabilité de réveiller cette « facette de l’île Maurice endormie » car concrètement « une autre île Maurice est possible, lorsqu’un accueil mutuel entre communautés, une solidarité, un travail en commun sont possibles et existent ».
Au final, un testament porteur d’espoir…