Si le changement climatique semble de moins en moins inquiéter, la cause en revient bien sûr à sa banalisation. Mais aussi, il faut bien l’avouer, à notre regain d’optimisme. Combien de crises en effet l’humanité n’aura traversées tout au long de son histoire, avec toujours cette extraordinaire faculté de se relever et de repartir de plus bel. En atteste encore celle de la Covid qui, si elle aura emporté nombre de nos proches – sans avoir réellement d’ailleurs arrêté de sévir –, n’est, dans l’esprit de beaucoup, déjà plus qu’un souvenir. Aussi, pourquoi devrait-il en être autrement de la crise climatique ?
D’autant, et nous en sommes persuadés, que notre incommensurable intelligence finira bien par trouver une issue. Et qui dit intelligence, dit aussi technologies. C’est un fait : nous sommes quasiment tous convaincus que nos têtes pensantes viendront à la rescousse de cette nouvelle menace planétaire. Que nous n’aurons pas besoin de revoir notre sacro-saint modèle économique, pas plus que de consentir à quelconque sacrifice. Bref, tout va très bien, et tout ira toujours très bien. Nous en sommes sûrs : les technologies nous sauveront !
Et si… Et si, finalement, c’était plutôt l’inverse. Et si nos technologies venaient au contraire aggraver le problème ? C’est en tout cas ce que sous-tendent les derniers chiffres, statistiques et autres estimations. Du moins au sens large du terme. Autrement dit non pas la minorité des innovations technologiques permettant de réduire notre impact carbone, mais l’immense majorité de celles destinées à alimenter le marché, et donc à doper la croissance. Bref, tous ces objets et services numériques du quotidien dont nous ne pouvons aujourd’hui plus nous passer. Différentes études corroborent d’ailleurs un fait indéniable : sur le plan global, le secteur du numérique génère davantage de gaz à effet de serre que l’industrie aérienne.
Surfer sur Internet, poster une photo sur Facebook, envoyer un message Whatsapp ou regarder un film sur Netflix a en effet un coût. Pire : l’empreinte carbone existe toujours même en étant inactifs, puisque les principaux services que nous utilisons sont centralisés sur d’immenses (et très polluants) serveurs. Car oui, l’empreinte carbone du numérique va bien au-delà des émissions de gaz à effet de serre liées à notre utilisation directe. A cela, l’on devrait également ajouter à liste de cette pollution numérique la fabrication de nos équipements électroniques – exponentielles, ces produits étant en effet de plus en plus limités dans le temps (nous changeons notre portable en moyenne tous les deux ans) –, l’acheminement de ces mêmes produits, leur utilisation et, bien entendu, l’entretien des réseaux permettant le transit de données. Sans compter qu’arrivés en fin de vie, nombre de composants ne peuvent être recyclés.
Et ce constat ne vaut pas que pour le numérique, car à cette importante source de pollution nous devons ajouter toutes les autres, générées par nos télévisions, nos jeux vidéo, nos équipements hi-tech (frigos, chaînes hi-fi, etc.). Et qui sont autant de sources d’émissions de gaz à effet de serre, tout au moins au niveau des usines et des chaînes de transport. Or, le problème, c’est que même si les constructeurs misent aujourd’hui davantage sur des modes de production plus « eco-friendly », le marché explose, avec pour résultat de voir réduits à peau de chagrin le peu d’efforts consentis sur le plan environnemental.
Au final, les experts s’accordent à dire que si nous continuons sur cette voie, téléphones, ordinateurs, télévisions et autres centres de données contribueront, d’ici à peine 25 ans, à pas moins de 40% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, contre dix fois moins aujourd’hui. Passant ainsi de trois gigatonnes d’équivalent CO2 par an actuellement à plusieurs dizaines. De fait, pour rester dans les clous, notamment de l’Accord de Paris, rien que le secteur du numérique devrait réduire son empreinte carbone de 42%… d’ici 2030. Ce qui, au vu du nombre d’appareils en circulation et de notre dépendance à ces technologies, est tout bonnement impensable. Autant dire qu’à moins la consommation électrique soit rapidement assurée par des énergies vertes, nous sommes de ce côté-là aussi mal embarqués.