« Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ? » (Verlaine)
Alors que les élections municipales sont actuellement le talk of the town, et que nous espérons l’arrivée d’un plus grand nombre de touristes dans une belle petite île – qui fut le cadre splendide du film Netflix Resort to Love – nous ne pouvons que pleurer en regardant l’état de la ville de Curepipe.
Comme des globe-trotteurs à l’affût d’une destination, cherchons Curepipe sur internet. Certains sites la présentent comme une ville au charme d’antan; on parle de son architecture riche de 200 ans, on y présente ses plus beaux atouts, notamment le Jardin botanique, le Trou-aux-cerfs et bien sûr son bel hôtel de ville, datant de 1903. Ce voyageur aurait-il la mine déconfite en découvrant cette ville des Plaines-Wilhems en chair et en os, sans filtre? Des Curepipiens de longue date qui ont toujours été fiers de leur ville, sont déçus en tout cas, et à juste titre lorsqu’on remonte le temps:
« Peu à peu, Curepipe devenait une ville cossue abritant les demeures imposantes de grandes familles aisées. On leur donna le nom de « châteaux ». Parmi les plus connues, citons le Château de Senneville à la rue Lees, le Château Belle-Vue… Plus tard, fut également érigé le Park Hotel, l’un des plus beaux établissements hôteliers de l’île à l’époque.
Au centre de la ville, à la croisée des rues Royale et Chasteauneuf, trônait le magasin Guillemain, le plus imposant de l’île à l’époque, construit en pierres basaltiques.(…) Dans les années 50 et 60, Curepipe allait devenir le centre de toutes les attractions, sportives et culturelles. Un vélodrome y avait été aménagé en 1902, qui fut transformé en stade de football. Puis vint le premier stade de Maurice, construit à la périphérie de la petite ville en 1954 et qui fut baptisé stade George V. Lorsque la station de télévision nationale fut créée en 1966, elle élit domicile à la rue Pasteur… » [https://histoiresmauriciennes.com/tag/curepipe/]
La ville de Curepipe, renommée pour son climat froid et humide, porte bien son nom de ville Lumière car elle fut la première de Maurice à être pourvue d’électricité en 1889. Hélas, depuis quelques années déjà, elle ne brille plus. Où est passé ce cachet prestigieux?
Réfléchissons un instant. Quels sont généralement les critères qui caractérisent les belles villes du monde: superficie, architecture, espaces verts, patrimoine historico-artistique? Quels sont les points communs entre ces villes classées au top 10? La conservation du patrimoine, la propreté et l’authenticité. Prenons par exemple La Havane, La Nouvelle-Orléans, St-Pétersbourg, Prague, Grenade, Kyoto, Lalibela, elles ne se ressemblent aucunement mais sont pour nombre d’entre elles, le reflet d’une symbiose entre l’ancien et le nouveau. Qu’en est-il du développement durable? Quel projet pour notre Curepipe alors que nous savons que les villes sont responsables de plus de 60% de la pollution mondiale. Les questions de développement durable nous concernent tous pour la qualité de vie et de santé, de notre santé…
Regardons au-delà de la raillerie sur les réseaux sociaux quand on mentionne Manhattan. Pourquoi ne pas valoriser l’authenticité de nos villes mauriciennes? À travers le monde, on se modernise en gardant l’essence de son identité, de son histoire. Voilà peut-être l’erreur de nos représentants. Vouloir calquer une grande ville étrangère sur une ville locale alors que nous sommes une petite île, avec un climat, des cultures, un relief et des atouts différents. Pourquoi nous faut-il du grand, du gros, du béton massif, du tape-à-l’œil, des éléphants blancs? Les plus belles villes du monde ont-elles eu l’ambition de ressembler à Manhattan ? Préserver ou créer un cachet particulier à sa ville, voilà qui devrait être l’un des buts de celui ou celle qui s’installe, pendant un temps, dans le fauteuil mairal.
Oublions un instant l’élégance d’antan ou l’architecture, First things first. Parlons de propreté, d’environnement agréable et sain. Si Curepipe est réputée pour sa grisaille, elle l’est aussi quant à ses travaux de rénovation inachevés, son marché où les ‘dalo’ de fortune (on ne peut parler de gouttières) sont grossièrement soutenues par des bouts de ferraille, ses bâtiments en ruine qui deviennent des repaires de brigands, son odeur nauséabonde à l’arrière du bazar, ses nids de poule et ses rats.
Les jours de grosses pluies, les Curepipiens doivent slalomer entre les ‘mini-fontaines’ qui jaillissent en plein milieu de la voie; les habitués de la rue St-Clément en savent quelque chose. D’ailleurs, nous n’avons guère besoin de piscine à Curepipe. Les piétons se font asperger pendant les averses, car ils quittent les trottoirs endommagés pour la chaussée inondée. En parlant de trottoir, depuis 2019, les piétons empruntant la rue Lees doivent faire attention à ne pas se casser le cou ou la jambe dans ces drains à ciel ouvert…depuis plus de deux ans. On peut comprendre la grogne des citadins, n’est-ce pas?
Empruntons la rue Couvent, un soir. Préparez-vous à vociférer durant tout le trajet jusqu’au centre de Curepipe en passant par la rue Higginson. Pourquoi? Car vous serez frustrés de n’avoir pu éviter tous les nids de poule et toutes les ‘crevasses’. De la manne bénie pour les mécaniciens car on endommage châssis, amortisseurs et éléments de suspension à chaque coin de rue – mille fois colmatée – ou énième déviation surprise.
Qu’en est-il du fameux forum de Curepipe? Nous sommes toujours dans l’attente de ce bâtiment unique de l’océan indien qui remplacerait cette structure. N’est-ce pas là le défaut de nos élus? Vouloir nous éblouir avec des projets faramineux qui n’aboutissent pas ou qui sont irréalisables, encore plus dans la présente conjoncture économique. Que demande-t-on? Simplicité, priorité, humilité et travail bien fait. On grignote des projets de rénovation aux quatre coins de la ville. 2022, l’hôtel de ville ne renaît toujours pas de ses cendres.
Heureusement que le centre de Curepipe revit un peu avec le relooking des Arcades Currimjee dont la belle architecture est remise en valeur. Cependant, triste spectacle en face; le bâtiment qui abritait le premier supermarché très connu de la ville, ressemble à une bâtisse hantée envahie par la mauvaise herbe, véritable pollution visuelle. Ce n’est désormais qu’un raccourci ‘crevassé’, pour atteindre la gare ou prendre un taxi. Par conséquent, les commerces aux alentours perdent de leur attrait.
Pendant que les travaux de rénovation tâtonnent, ceux du métro à Malartic vont bon train. Dommage qu’ils enlaidissent la ville. Curepipe n’étant pas une ville particulièrement ensoleillée, de ces énormes poutres de béton massif obscurcissant désormais le ciel, l’eau de pluie dégouline. De quoi vous rendre morose, dans cette étroite voie menant à Eau-Coulée.
A-t-on concilié aménagement urbain, esthétique et écologie ? Comment concevoir une ville Lumière écologique aujourd’hui ? Va-t-on dépenser des millions pour son embellissement avec quelques fresques plus tard ? Curepipe est une ville avec du potentiel pourvu qu’on ait une vision. Imposons aux propriétaires d’entretenir les bâtiments en centre-ville; pour cela, que la mairie donne l’exemple! Faisons entrer du vert. Faisons ressortir le charme curepipien en la modernisant avec élégance. Malheureusement, pour beaucoup, modernisation rime avec métro, destruction, béton.